L’or, couleur de pouvoir et de raffinement dans l’art chinois contemporain

par Christophe Comentale  

Différents articles ont permis de rappeler que, contrairement à des idées reçues, la Chine a, très tôt, donné une importance particulière à l’or, couleur, symbole, matériau. Les fouilles archéologiques qui ont mis au jour des artefacts de différentes époques, comme sous les Zhou[1], ont révélé des pièces étonnantes tant par leur forme qu’en raison de leur conception esthétique ou de leur poids rituel.

« En dépit de la fascination que le métal jaune exerce et de l’impact de sa valeur, il reste confiné dans le secret des demeures impériales [2]». La provenance de ce métal est renseignée par différentes sources dont un dictionnaire rédigé au 3e siècle avant notre ère, Le Erya[3] (ill.1) où est consignée la présence de ce métal sous la dénomination d’or jaune (huangjin). Sous les Tang, des mines sont exploitées dans les provinces du Sichuan, Hunan, Anhui, Jiangxi, Yunnan, Guangdong, Shaanxi et Gansu.

(ill. 1) Le Erya

Au fil de l’histoire dynastique du pays, des pièces hors du commun, réservées à des personnages en renom, vont être réalisées par des artisans au service des monarques. Les exemples ne manquent pas, notamment des Royaumes combattants (ill.2) aux différents périodes dynastiques, Liao (ill.3) , Ming (ill.4), Qing (ill.5, 5b), …. C’est surtout dans le domaine des arts appliqués que cette illustration d’une munificence exceptionnelle est constatable. Les matériaux les plus précieux constituent une symbiose singulière, notamment avec l’adjonction de morceaux de jade. Même les papiers d’offrande, souvent pourvus d’un papier or (ill. 2a) rapporté sur les rectangles destinés à être offerts aux divinités bouddhiques ont un impact et une séduction particuliers.

Pour ce qui a trait aux Beaux-arts, la conception de l’œuvre change avec les interpénétrations nombreuses suscitées par des contacts mondialisés. On peut dire sans se tromper que cette couleur, reflet de la divinité dans l’Occident antique et médiéval, est ressentie en Chine comme une couleur liée au pouvoir et aussi au raffinement.

A contrario, nombre d’artistes occidentaux ont senti la nécessité d’assimiler l’or provenant des mines à un matériau arraché aux entrailles de la terre. Différents artistes en jouent pour constituer des livres d’artiste dits assez improprement livres pauvres.

D’un usage particulier de l’or sur une pièce de mobilier.

Place du Châtelet, à Paris, un magasin spécialisé dans la vente de thé et d’accessoires en lien avec cet arbuste accueille confortablement ses clients et visiteurs. Plusieurs sièges sont à leur disposition. L’un de ceux-là, un fauteuil en bonnet de lettré des années 1920 comporte sur la partie intérieure de son dossier, tracé en noir sur fond doré, un texte autobiographique du Maître des Cinq Saules (ill. 6), surnom que se donne Tao Yuanming (365-427) [陶淵明 五柳先生傳], en raison de la présence de cinq saules poussant près de sa maison. Le texte est écrit quand le poète a vingt-huit ans, il s’agit davantage d’un texte exprimant son idéal qu’une biographie.

(ill. 6)

[Texte chinois]

先生不知何許人也,亦不詳其姓字,宅邊有五柳樹,因以爲號焉。閒靜少言,不慕榮利。好讀書,不求甚解;每有會意,便欣然忘食。性嗜酒,家貧不能常得。親舊知其如此,或置酒而招之;造飲輒盡,期在必醉。既醉而退,曾不吝情去留。環堵蕭然,不蔽風日;短褐穿結,簞瓢屢空,晏如也。常著文章自娛,頗示己志。忘懷得失,以此自終。

贊曰:黔婁之妻有言:“不慼慼於貧賤,不汲汲於富貴。”其言茲若人之儔乎?銜觴賦詩,以樂其志,無懷氏之民歟?葛天氏之民歟?

[Traduction]

Nul ne sait d’où vient le Maître. Son nom et son prénom sont aussi incertains. Cinq saules bordent sa demeure, et c’est ainsi qu’on le surnomme. Tranquille et taciturne, il ne convoite ni les honneurs ni les richesses. II aime à lire et étudier, mais sans exégèse pointilleuse ; et chaque fois qu’une intuition lui vient, ivre de joie, il en oublie de manger. Par nature, il adore le vin, mais sa famille étant pauvre, il ne peut s’en procurer toujours. Ses amis et ses proches, connaissant ce qu’il aime, ne manquent jamais de l’inviter dès qu’ils donnent un banquet. On lui verse une coupe, il la vide aussitôt, n’attendant que l’ivresse ; sitôt ivre, il prend congé. Jamais il ne fait de manières, qu’il veuille partir ou rester. Ses quatre murs délabrés laissent entrer le vent et le soleil. II se vêt d’étoffe grossière, courte et perforée. Sa gourde est souvent vide, sa corbeille aussi, mais il conserve la tranquillité. II écrit sans cesse, pour se divertir, et dévoile beaucoup de ses désirs. Cœur oublieux de vaincre ou perdre, ainsi parvient-il à son terme. 

Éloge : 

L’épouse de Qian Lou disait de son époux : « II ne s’affligeait pas d’être humble et pauvre ; il ne recherchait ni les titres ni les biens. » Ces deux-là ne sont-ils pas comme des compagnons ? Ivre, ii compose des poèmes pour égayer son cœur. Serait-il du peuple de Wuhuai ? Ou de celui de Getian* ? 

*Wuhuai 無懷 et Getian 葛天 sont deux souverains des âges légendaires, emblèmes de cette simplicité originelle et primitive à laquelle le poète voulut confirmer son art et sa vie.

[pour la traduction, voir la notice développée in : Tao Yuanming…  p. 132.]

Outre l’attrait de l’or pour la fabrication de pièces qui constellent les rituels et l’apparat en Chine, la magie du métal est tout aussi visible dans l’Occident nanti et raffiné. Ainsi en va-t-il des pièces de mobilier où l’or est présent à travers ses variations chromatiques larges, allant d’un ton mat à des brillances fulgurantes. Une récente exposition qui s’est tenue à la fondation Custodia[4] montre des objets très divers relatifs au goût et à l’agencement de l’univers hollandais au 18e siècle. Certains exemples (ill.7, 8, 9) sont édifiants et curieux, ils traduisent le plaisir de la diversité tant esthétique que thématique.

Des ors au jaune solaire de l’art contemporain

Les créateurs n’ont pas échappé à cet attrait de la brillance. Même si, justement, tout ce qui brille n’est pas d’or, les reflets et luminosités variables ne cessent de fasciner des artistes contemporains comme Catherine Pomper (ill.10 et 11) ou Véronique Durieux (ill.12) pour la France.  Que la première utilise différentes qualités de papiers retravaillés, collés, rehaussés de notations diverses, fixés sur un fond autre et dont le chromatisme rappelle un or mat, que la seconde réalise un assemblage de tissus anciens ou de chutes plus ordinaires et superposées à l’égal de notations superposées, la présence du soleil sur cette pièce de tissu est éloquente, la composition prenant l’allure d’une nature en transition.

Les artistes chinois n’échappent pas davantage à cet attrait de l’or jaune !  Dès les années 90 du 20e siècle, Liu Ziming (1954, Malaisie) recourt à la feuille d’or en symbiose avec sérigraphie et taille douce (ill.13). Sa technique compliquée et raffinée renvoie à des atmosphères de lieux de recueillement médiévaux à ornementations mosaïques. Ma Desheng (1952, Pékin) risque des œuvres érotiques, dont Poésie des formes XIV en 2013 sur une importante (150 x 250 cm) œuvre à l’acrylique sur toile (ill.14). Comme il l’expliquait lors d’une rencontre récente avec l’auteur, « je me suis rendu compte que l’atmosphère de la maison n’était pas assez claire, l’utilisation de cette couleur dans mon œuvre a permis de remédier à cet environnement sombre ». Quant à Fan Yifu (1963, Pékin), il continue depuis quelque temps des paysages paradisiaques. Ces édens implicites sont le support idéal des tracés à l’encre sur des cartons or (ill.15).

Ces quelques exemples permettent un survol rapide sur l’inventivité et le recours à des supports fluctuants qui induisent tous un plaisir du regard et de la curiosité émanant de toute création.


[1] Faisant suite à la dynastie Shang, la dynastie Zhou est la troisième dynastie dans l’histoire de la Chine, son apparition et sa montée en puissance est liée à celle des rois appartenant au clan Jī. La prise du pouvoir est effective au XIᵉ siècle av. J.-C., et reste en place jusqu’en 256 av. J.-C., date à laquelle s’achève le règne du dernier roi des Zhou. Elle s’éteint en 256 av. J.-C., son territoire est intégré au royaume de Qin en 249 av. J.-C. Cette longévité fait de la dynastie Zhou la plus longue de toutes celles qui se sont succédé ou concurrencées durant l’Histoire de la Chine.

[2] Sun Chengan, voir en bibliographie.

[3] Composé dans les derniers siècles av. J.-C., le Erya [爾雅] est le plus ancien dictionnaire chinois, il constitue aussi l’un des treize Classiques confucéens. En dépit d’une attribution au duc de Zhou (XI siècle av. J.-C.), le Erya date plutôt de la fin de l’Antiquité ou du début des Han (-206 – 220).

[4] Voir la présentation de l’exposition sur le blog Sciences & art contemporain : 300 dessins exposés à la Fondation Custodia de fin février à mai-2023

Remerciements : ZHAO Fei, HU Jiaxing

Bibliographie

  • Thomas Chaize, La production d’or des grandes mines d’or in : La production d’or dans le monde, publié le 4 oct. 2011.
  • Site : https://petrorama.fr.
  • Christophe Comentale, La série des fonds or. A propos d’un récent paysage de Fan Yifu, in : Sciences & art contemporain, 3 oct.2023.
  • Christian Deydier, L’or et la Chine ancienne. Paris : Arthis, 2001.
  • Sun Chengan, Jade, promesse d’éternité. Paris : Lienart, 2014. Bibliog. pp. 68-73.
  • La Grande encyclopédie chinoise, volume Archéologie. 中國大百科全書 ;考古冊
  • Tao Yuanming, Œuvres complètes, poèmes présentés, traduits et annotés par Philippe Uguen-Lyon. Paris : Les Belles lettres, 2022. LXXXIV + 318 p. : une ill. en noir. (Bibliothèque chinoise ; 35).

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