De la comparaison de pièces archéologiques chinoises et péruviennes

par Alain Cardenas-Castro et Christophe Comentale

Le rapport entre art et sciences se traduit parfois avec la comparaison d’objets produits par l’Homme. Nous avons choisi huit pièces chinoises et péruviennes d’un matériel archéologique intégré dans des collections patrimoniales. Ces artefacts issus d’époques et de lieux différents permettent d’analyser la fonction de ces objets, leur fabrication, les techniques et les matériaux mis en œuvre ainsi que les motifs de leur décor : des caractéristiques qui reflètent des comportements symboliques communs.

En premier lieu, trois planches (pl.1, 2, 3) concrétisent et accompagnent l’analyse comparative. La planche 1 regroupe les huit objets selon quatre binômes mettant en vis à vis les pièces chinoises et péruviennes. Ensuite, la planche 2 comprend deux cartes de localisation des sites archéologiques d’où proviennent les pièces choisies. Les deux cartes indiquent la situation des différentes cultures auxquelles ces pièces appartiennent en Chine et au Pérou. Enfin, la planche 3 met en contact visuel les pièces archéologiques en les reliant à leurs sites d’origine.

PLANCHE 1. TABLEAU COMPARATIF.

CORPUS DES PIECES ARCHEOLOGIQUES


PLANCHE 2.

CARTES DE CHINE ET DU PEROU


PLANCHE 3.

POSITIONNEMENT SUR CARTE DES PIECES SELECTIONNEES


COMPARAISONS PEROU – CHINE

ŸŸŸŸŸŸ° BOL A MOTIF DE COCHONS / BOL A MOTIF DE RENARD

D’un bol en céramique noire à décor incisé de deux cochons et d’un bol avec un motif gravé représentant un renard.


Ci-dessus, de gauche à droite. (ill. 1) Bol en céramique noire à décor incisé de deux cochons (7 000 à 5 300 av. notre ère, période primitive de la culture de Hemudu) Haut. 11,7, Long. du rebord 21,7, Long. base 15, Ep. env. 1,1 cm, Musée provincial de Zhejiang ; (ill. 2) Bol avec un motif gravé représentant un renard (culture Paracas tardive env. 300 av. notre ère), h. 10.2 × diam. 18.4 cm, coll. Nathan Cummings, The Metropolitan museum of art.


La culture Paracas

La péninsule de Paracas se trouve sur la côte du Pérou dans le département d’Ica, à 200 kilomètres environ au sud de Lima. Entre 1925 et 1930, l’archéologue Julio C. Tello (1880-1947) y découvre divers sites funéraires contenant des momies bien conservées grâce à la sécheresse du climat désertique. Tello distingue alors deux phases selon les sépultures et la céramique qu’elles contenaient : Paracas Cavernas et Paracas Necrópolis. Les datations de ces sépultures s’échelonnent de la seconde moitié du 1er millénaire environ aux premiers siècles de notre ère.

À Paracas Cavernas, culture la plus ancienne, correspondent des chambres funéraires collectives creusées dans la roche à 6 ou 7 mètres de profondeur, et dont l’accès se fait par des puits verticaux. Chaque chambre funéraire contient de trente à quarante individus, enveloppés dans des tissus et entourés d’offrandes. Une céramique incisée, décorée de pigments colorés appliqués après cuisson, caractérise aussi cette période. Des différences dans la qualité des tissus et dans l’importance des offrandes reflètent sans doute une certaine hiérarchie sociale des défunts.

La culture Paracas (800 – 200 av. J.-C.) s’est développée à la période formative récente (800 – 400 av. J.-C.) principalement dans le département d’Ica, sur la côte Sud péruvienne (ill. 9). De nombreuses études ont été menées concernant sa chronologie basée sur les céramiques et textiles découverts en contextes funéraires. On retrouve dans la céramique paracas des vases à goulot unique et à double goulot et anse en pont mais aussi des jarres, des bols et des terrines. Les décors représentent le plus souvent des motifs incisés en deux dimensions avec une peinture résineuse appliquée après cuisson, onote la présence de couleurs : jaune, blanc, noir, vert et rouge.[1]

Le bol de la culture Paracas tardive (env. 300 av. J.-C.) Bol avec un motif gravé représentant un renard (ill.2) est une céramique incisée, décorée de pigments colorés appliqués après cuisson, caractérisant cette période de la culture Paracas.

(ill. 9) Aires géographiques des cultures classiques régionales, ou « Intermédiaire ancien » (env. 200 av.- 600 apr. J.-C.) in les Andes, de la préhistoire aux Incas.

La culture de Hemudu

Sur la céramique chinoise découverte sur le site de culture Hemudu à Yuyao, les motifs sont deux cochons.

Ce bol, fait de poterie noire mélangée à du charbon de bois, est de forme oblongue à coins arrondis. Il présente une surface extérieure polie et brillante et une surface intérieure rugueuse avec des rayures laissées par le frottement horizontal. Sur les deux côtés les plus longs se trouve un cochon incisé en lignes lisses et vigoureuses. Le museau est long, les oreilles dressées, de longues pattes, une queue courte, des poils épais et un ventre légèrement tombant. Le ventre est orné de cercles incisés et d’un motif de brin d’herbe, motifs courants dans la culture de Hemudu. Les deux cochons font face à des directions différentes, l’un étant plus petit que l’autre et présentant des décorations plus simples. De telles différences de décoration entre des motifs animaliers symétriques sont également courantes sur divers objets de la culture de Hemudu. (Deng Cong)[2]

En comparant les deux céramiques, péruvienne et chinoise, en dépit d’une différence de datation, la première, la céramique péruvienne (ill.2), plus récente et polychrome, se rapproche du Bol en céramique noire à décor incisé de deux cochons (ill.1) issu de la période primitive de la culture de Hemudu (7 000 à 5 300 av. notre ère). On constate une similitude dans la forme utilitaire du bol, une même technique d’incision de la matière pour dessiner le motif animal. Le style est marqué par une représentation figurative des animaux gravés avec une liberté de trait qui ne nuit pas à la reconnaissance de la forme de l’animal, mais au contraire, aide à en définir l’essentiel.

Les animaux représentés sont différents : domestiqués il y a environ 10 000 ans en Chine, les cochons jouent un rôle important dans la culture chinoise où ils symbolisent la bonne fortune et le bonheur. Animal important dans la culture chinoise, le cochon [猪] est le douzième animal de ce zodiaque spécifique, il figure également dans le pictogramme du «foyer » [家]. Le cochon utilisé pour sa viande, était également utilisé lors des sacrifices en hommage aux divinités. Aujourd’hui, il reste un symbole de richesse et de réussite personnelle en Chine. On peut retrouver le cochon représenté autrement, dans d’autres techniques et matériaux issus d’époques différentes (ill. 10, 11 et 12).

(ill. 11)

(ill. 10) Cochon verseuse. Terre cuite à engobe rouge (période finale de la culture de Dawenkou, vers 3 000-2 500 av. notre ère) Jinan, musée de la province de Shandong. (ill. 11). Cochon sculpté (époque de la dynastie des Han orientaux) Metropolitan Museum of Art. (ill. 12) Sculpture de cochon-dragon (dyn. Yuan 1279-1368). Musée d’art du comté de Los Angeles).


Quant au renard de la pièce péruvienne issue de la culture Paracas que l’on peut retrouver dans la culture Mochica (ill. 13), il correspond au type du renard local, le renard chenu, ou renard de Magellan (ill. 14), dit encore renard de Sechura (Pseudalopex Sechurae). En espagnol, c’est le Zorro andino : ce Zorro qui court les régions semi-désertiques des Andes est caractérisé par un pelage plus gris que roux sur une grande partie du corps, passant au blanc et au crème sur les zones inférieures, sa tête, son dos et ses oreilles peuvent présenter des taches brunes ou rougeâtres. C’est un chasseur opportuniste qui se nourrit de ce qu’il trouve : charognes, plantes, insectes et œufs d’oiseaux. L’animal est attesté de longue date dans ces régions par des ossements fossiles, identifiables à l’espèce, qui ont été mis au jour en plusieurs endroits, notamment dans des tombes. Ces renards sont offerts en sacrifice funéraire parfois à côté d’autres animaux tels que des cochons d’Inde, des chiens, des chauves-souris ou des camélidés. Sa vocation d’animal funéraire vient probablement du fait qu’on l’associait à la Lune, à la nuit donc au monde des morts[3].

(ill. 13)
(ill. 14)

Ci-dessus. (ill. 13) Bouteille à anse-goulot en étrier en forme de renard Pérou, Mochica, phase IV, IVe – Ve s. après J.-C. Terre cuite moulée et engobée. 24 x 19 x 12.5 cm. Coll. Fondation Gandur pour l’art, n° inv. FGA-ETH-AM-0164. Provenance : Ancienne collection Rémy Audouin, 1975, puis collection Gérald Berjonneau ; acquis chez Millon et Associés, à Paris, le 20 septembre 2017, lot n° 20 ; (ill. 14) et un renard de magellan


Le Renard de Magellan (Lycalopex culpaeus, syn. Pseudalopex culpaeus ou Dusicyon culpaeus), aussi connu sous le nom de Loup de Magellan ou Renard des Andes est appelé communément culpeo en Argentine et Chili. C’est le second plus grand canidé vivant d’Amérique du Sud, seulement dépassé par le loup à crinière ou aguará guazú en langue guarani. Il ressemble à un très grand renard roux avec sa tête et ses grosses pattes rougeâtres. Le ventre, le cou et la gueule sont blancs et le pelage de son dos est gris rayé de noir. La queue est abondamment pourvue de poils gris qui deviennent noirs à son extrémité. Il mesure de 95 à 132 cm de long. Les mâles pèsent environ 11,4 kg. Les femelles, plus petites, pèsent en moyenne 8,4 kg. Il habite dans les prairies et les bois caducifoliés de Terre de Feu, de Patagonie et des Andes, parvenant au nord jusqu’en Équateur. On le trouve jusqu’à 4 800 m de haut.

ŸŸ ŸŸŸŸŸŸ° ŸŸŸŸŸŸ° URNE FUNERAIRE / JARRE A MOTIF D’OISEAU

D’une urne funéraire de culture Miadigou et d’une jarre de culture Nasca.


Ci-dessus, de gauche à droite. (ill. 3) Urne funéraire peinte avec motifs de cigogne, poisson et hache de pierre. Miaodigou (v. – 390-3 000) Yangshao moyen, site de Yancun, Henan. Haut 47 cm. Musée national de Chine ; (ill. 4) Jarre à double goulot ornée d’un oiseau en train de pêcher, culture Nasca (100 à 600 env.), style ancien, céramique polychrome, 20,5 cm, Musée régional d’Ica, Pérou.


La culture de Yangshao

La culture de Yangshao, 仰韶文化 (4 500 à 3 000 av. J.-C.) tire son nom de celui du village où en 1921, l’archéologue suédois Johan Gunnar Andersson (1874-1960) a conduit des fouilles. Sur ce village et sur les sites circumvoisins du Nord du Henan, non loin du Fleuve Jaune, les fouilles, largement continuées au cours du 20e siècle, ont livré un matériel funéraire important, en particulier un grand nombre de céramiques à la typologie diversifiée. Leur cuisson s’effectue à environ 900°. Les pièces, montées au colombin, étaient ensuite tournées sur un tour lent pour les plus petites pièces à la fin de la période. Certaines pièces sont gravées, peintes et décorées de motifs figuratifs stylisés ou de motifs géométriques dont la récurrence est liée à une symbolique qui reparaît à d’autres périodes culturelles et historiques du pays. En dépit de l’extension des zones de fouilles sur d’autres provinces, une dizaine, les sites identifiables par des critères récurrents, sont situés au Shaanxi, au Shanxi et au Henan, avec une zone centrale dans la zone frontière de ces trois provinces.

Malgré le besoin de systématiser l’étendue de chaque culture néolithique, les différentes cultures, notamment antérieures à celle de Yangshao, ont eu un développement sur des zones parfois identiques, entre autres, avec la culture de Hemudu (5 000-4 500) au Sud-Est (autour de Hangzhou dans la province actuelle du Zhejiang). Les cultures regroupées sous le nom de Yangshao ont cohabité, entre autres, avec la culture de Dawenkou (4 300-2 400) vers l’embouchure du Fleuve Jaune, la culture de Hongshan (4700-2900) au Nord-Est du pays, notamment au Liaoning et celle de Daxi (4 500-3 000) sur le moyen Fleuve Bleu.

D’autres cultures leur ont succédé : Majiayao (3 000-2 700) à l’Ouest au Gansu, au Qinghai et au Ningxia et la culture de Longshan (3 000-2 000) du centre de la vallée du Fleuve Jaune jusqu’à la mer de Chine orientale.

La céramique Nazca.

La culture Nasca [ou Nazca] (de 100 à 600 env.) occupe les vallées de la côte sud du Pérou, entre les villes de Pisco et Acari, durant l’Intermédiaire ancien (200 av. – 500 ap. J.-C.) (ill. 9), la culture Nasca est connue pour sa poterie à décor polychrome qui utilise jusqu’à seize couleurs obtenues à partir de colorants d’origine minérale. La culture Nasca est divisée en neuf phases stylistiques regroupées en trois grands styles. Au cours des phases II à IV, les motifs — plantes et animaux — sont réalistes et caractérisent le style dit monumental.

La céramique Nazca A ou Monumental est naturaliste et colorée. La peinture recouvre la totalité des vases. Les récipients munis de deux petits goulots et d’une anse-pont prédominent. La sculpture modelée a été peu développée.

Les artistes Nazca représentaient sur leur céramique la faune et la flore de leur environnement. Ils enregistraient, avec grande adresse et délicatesse, les détails des animaux et des fruits. Ils représentaient des pêcheurs et des agriculteurs, mais aussi des scènes de chasse et de combats entre guerriers. Les divinités égorgeuses étaient également peintes. Un autre motif fréquent est la représentation de têtes trophées. Une grande quantité de vases figure la divinité du félin anthropomorphe, personnage qui combine à la fois les traits du félin, de l’oiseau et du serpent.

En comparant les deux céramiques, du néolithique chinois (ill. 3) et de la culture Nasca du Pérou précolombien (ill. 4), de périodes différentes, on remarque une similitude des motifs peints, deux oiseaux tenant dans leurs becs un poisson. On peut identifier l’oiseau marin représenté sur la pièce péruvienne comme un Fou de Grant (Sula granti) ou Fou de Nazca (ill. 15)  (tirant son nom de la province de Nazca), une espèce d’oiseau marin appartenant à la famille des Sulidae. Il vit au large des côtes nord-ouest du Pérou, ainsi qu’en Colombie, aux îles Galápagos, sur l’île de la Plata ou aux îles Revillagigedo, en Basse Californie.

ŸŸŸ ŸŸŸŸŸŸ° ŸŸŸŸŸŸ° ŸŸŸŸŸŸ° JARRE / VASE A MOTIFS RECCURENTS

D’une jarre chinoise de culture de Dawenkou et d’un vase péruvien de culture Inca.


Ci-dessus, de gauche à droite. (ill. 5) Jarre, céramique peinte (culture Dawenkou 4500-2000 av. J.-C.), 41 x 30 cm, Tai’an Shandong Province. Coll. Shandong provincial Institute of cultural Relics and Archeology ; (ill. 6) Vase (Kero ou Quero) avec motifs géométriques : triangles, lignes horizontales et carrées concentriques. Céramique, Côte nord du Pérou. Culture Inca. Chronologie de John Rowe : Horizon tardif (1 476-1 532), Hauteur : 154 mm / Longueur : 141 mm Largeur : 139 mm / Poids : 545 g. Museo Larco, Lima Pérou.


Les qeros[4] de l’ancien Pérou.

La forme des qeros remonte à plus de mille ans avant J.-C., ils sont donc pré-incas. Ils ont été fabriqués en or, en argent, en cuivre, en bronze, en céramique ou en bois et ont une forme cylindrique avec une bouche élargie et un corps rétrécit qui s’élargit à la base. Les décors peints sont composés de scènes du quotidien : les activités agricoles, l’élevage, la chasse, les guerres. A l’époque coloniale des personnages historiques y sont représentés. Dans la partie centrale du qero, on trouve des dessins de plantes, d’animaux et de motifs géométriques, les tokapus[5] (ill. 16).

La fabrication des qeros par paires (ill. 17) est une caractéristique andine illustrant la dualité féminine et masculine participant de la cosmogonie andine. Au cours du temps, le commerce de ces antiquités a eu pour effet de dissocier les paires de qeros en des lieux aussi éloignés de Cuzco que la ville de Berlin. La signification des qeros et leur importance en tant que symbole du nationalisme n’ont pas été ignorés par le gouvernement colonial espagnol.[6]


(ill. 16) Détail des motifs géométrique (tokapus) sur le qero (ill. 6) ; (ill. 17) Paire de keros (XVIe-XVIIe s.), bois, incrustation de résine pigmentée, Hauteur 18 cm, coll. The Metropolitan Museum of Art, n° inv. : 1994.35.15, .16


La culture néolithique de Dawenkou

La culture néolithique de Dawenkou 大汶口文化 est, depuis quelques décennies, vue comme étant constituée de deux cultures : la culture de Beixin (v. 5 300-4 300 avant n. ère) et la culture de Dawenkou, proprement dite et qui en est en quelque sorte une continuation au vu des fouilles effectuées et des interprétations des archéologues (4 300-2 600 av. n. ère). Au contact de la culture de Yangshao (4 500 à 3 000 av. n. ère) dans la région du Fleuve Jaune, ici dans le cours inférieur du fleuve tandis que la culture de Yangshao se développait dans le cours moyen. Elle témoigne d’une grande continuité dans le temps et d’une hiérarchisation croissante de la société. Elle a été précédée par la culture de Houli (6 500-5 500) qui relève, quant à elle, de la transition vers le néolithique, ou néolithisation de la Chine.

Depuis sa découverte dans les années 1960, le site de Beixin à Tengxian, dans le Sud-Ouest du Shandong, une centaine de sites ont été découverts dans les plaines inondables au Nord et Nord-Ouest des monts Taishan, toujours dans l’actuel Shandong. La culture qui s’y est développée s’est étendue ensuite en débordant tout autour dans les provinces voisines, le Henan, le Anhui et le Jiangsu et est alors nommée culture de Dawenkou, qui est donc à peu près contemporaine de la culture de Yangshao (4 500 à 3 000), et sa voisine orientale. Plus précisément la culture de Dawenkou est documentée entre 4 100 et 2 600, et traditionnellement divisée en trois phases : ancienne (4300-3500), moyenne (3 500-3 000), et tardive (3 000-2 600). Elle est beaucoup mieux connue par ses sépultures que par son habitat. Elle a produit de belles céramiques ornées.

Le premier site de la culture de Dawenkou identifié était une nécropole de 130 tombes au bord du fleuve Dawen. Au contraire des sépultures de Yangshao, celles fouillées à Dawenkou contiennent un abondant mobilier funéraire, inégalement réparti, signe d’une hiérarchisation de la société. Les tombes les plus riches comportent des ossements de porcs sacrifiés. Les objets de prestige sont en jade, en turquoise, en ivoire et en os. Parmi les objets rituels, on trouve des crécelles fabriquées à partir de carapaces de tortues et des sculptures en os. Les poteries sont souvent polies et de couleur rougeâtre. Celles du tripode de type ding, et de coupe à pied unique, sont courantes dans la culture de Dawenkou et ont été communiquées à la culture de Yangshao. D’autres poteries grises tournées, à pâte fine, préfigurent celles de la culture du néolithique final de Longshan, située également au Shandong.

Différentes interprétations, aussi intéressantes que mystérieuses, dont celle de Stanley Starosta (1939-2002), considèrent que les cultures de Dawenkou et Hemudu sont des cultures des Pré-Austronésiens (ou de langues austronésiennes) avant de que ceux-ci ne s’établissent à Taïwan. De temps à autre, des collègues archéologues se penchent sur les ressources de la linguistique et des prolongements pluridisciplinaires pour aboutir à des rapprochements sur différentes cultures, leur donnant alors une globalité et une force plus larges. Il n’en reste pas moins que les analyses typologiques et leurs prolongements restent les approches les plus immédiatement porteuses de résultats objectifs…

Les quantités impressionnantes de pièces céramiques, utilitaires et funéraires, sur les différents sites fouillés qui constituent ces cultures, permettent de voir l’expansion extraordinaire de la civilisation chinoise dès l’époque néolithique qui remonte vers 12 000 avant notre ère selon les données des collègues du département d’archéologie de Pékin.

La production de pièces peut être considérée comme une activité devenue ainsi une importante source de production d’objet. La technique du « lavage » de la terre était maîtrisée comme le travail de l’argile de bonne qualité. De même, différentes qualités de vaisselles sont connues : de la vaisselle d’usage courant à grain grossier, majoritaire, à une vaisselle à grain fin. Le corps des céramiques est, le plus souvent, brun jaunâtre. Des terres appropriées avaient été mises au point afin de convenir à différentes fonctions précises. C’est, sur ce point, un moment décisif dans l’histoire de la céramique en Chine. Des petits fragments de coquillage ont été intégrés à la terre dans un usage précis de ce type : afin d’augmenter le coefficient de dureté de la terre cuite. Du mica et du talc ont été aussi utilisés à cette fin. Avec une température nettement plus élevée qu’à la période Houli la cuisson a été bien meilleure.

On rencontre une plus grande variété de formes de céramiques que pendant la période de la culture de Houli (6 500-5 500) et plusieurs formes-types déclinées en variantes : des tripodes ding qui apparaissent alors en grand nombre et la forme la plus représentative, mais aussi des chaudrons fu, des jarres guan, des bassins pen, des bols bo et des supports de chaudron zhijia.

Les deux pièces (ill. 5 et ill. 6), des céramiques, ont quasiment la même forme, un corps symétrique, tronconique et concave à la courbure divergente depuis la base de petit diamètre jusqu’à l’embouchure élargie de plus grand diamètre. Une lèvre à terminaison arrondie est présente pour la pièce péruvienne. Les décors sont des bandeaux positionnés différemment. La pièce chinoise comporte un décor de deux bandeaux placés au centre du corps. Pour la pièce péruvienne un seul bandeau est situé en partie haute non loin de la lèvre. A cet endroit, sur la pièce chinoise, on note la présence d’une série de reliefs en forme de picots. Les deux pièces ont en commun une représentation symbolique des « quatre parties du monde », le Tawantinsuyu[7], les quatre points cardinaux (ill. 18).

(ill. 18) Détail des motifs géométrique de la jarre chinoise (ill. 6).

ŸŸŸŸ ŸŸ ŸŸŸŸ° ŸŸŸŸŸŸŸŸ ŸŸŸŸŸŸ° ŸŸŸŸŸŸŸŸ ŸŸŸŸŸŸ° ŸŸŸŸŸŸŸŸ ŸŸŸŸŸŸ° ŸŸŸŸŸŸŸVASE A MOTIF D’ETOILE / BOL PLAT A MOTIF D’ETOILEŸ

D’un Bol en céramique noire à décor incisé de deux cochons et d’un bol avec un motif gravé représentant un renard.


Ci-dessus, de gauche à droite. (ill. 7) Painted pottery bowl, Neolithic Dawenkou culture 28,4 x dia. 26 et 14,5 cm. Tai’an Shandong Province in the Shandong provincial Institute of cultural Relics and Archeology ; (ill. 8) simplified figures and heads of trophy-head-cult deities, décor intérieur d’un bol plat (culture Paracas tardif), 2e-1er siècle av. notre ère), h. 5.7 × diam. 17.8 cm, coll. Nathan Cummings, The Metropolitan museum of art.


Les deux pièces comportent un motif d’étoile centré sur la composition du décor. Un symbole solaire que l’on retrouve d’Est en Ouest.

De ces quelques exemples, emblématiques de deux civilisations bien distinctes, se dégage une diversité dans l’universalité thématique des pièces, une tendance quelque peu favorisée par des pratiques visant à uniformiser les processus et aussi avec l’usage des matériaux. Oublier le plaisir ou la dimension esthétique qui est présente à leur conception semble de plus en plus dommage pour une véritable compréhension des patrimoines et de leur spécificité entre science et art…

Les objets se croisent, se volatilisent. Lors de réapparitions inattendues, leur vie se poursuit au sein de collections publiques ou privées. Ou bien, détruits, ils auront irrémédiablement disparu…

Ainsi, en est-il de cette jarre funéraire néolithique chinoise à deux anses, au décor de quadrillage récurrent sur les pièces la culture de Banpo ou de ce tripode en céramique grise, caractéristique des cultures précolombiennes (Pérou, Colombie, Équateur)… Deux pièces aperçues le temps d’un regard sur un stand dans un marché d’antiquités parisien.

[1] Voir en bibliographie, Le vase à anse-goulot en étrier en Amérique précolombienne : un cas d’étude des transmissions et contacts interculturels et de la diversité des processus technologiques.Thèse de Valentine Wauters, Université Libre de Bruxelles 2019.

[2] Voir Deng Cong en bibliographie

[3] Voir Isabelle Tassignon en bibliographie.

[4] Le kero du quechua qiru, s’écrit également quero ou qero.

[5] Les tocapus du quechua tokapu sont des motifs ornementaux de forme carrée que l’on retrouve tissés ou brodés sur les textiles et peints sur les récipients cérémoniels (keros) utilisés pendant la période inca et coloniale. La signification des tocapus est toujours inconnue, plusieurs hypothèses proposent un rapport à l’écriture ou à l’héraldique.

[6] Au cours du temps, malgré des mesures répressives pour les détruire, les qeros, transformées en art clandestin de résistance au régime colonial sont parvenus jusqu’à nous. Voir en bibliographie les ouvrages de Jorge Aníbal Flores Ochoa (1935-2020), anthropologue péruvien qui a été professeur et recteur de l’Universidad Nacional San Antonio Abad del Cusco (UNSAAC) et directeur de l’Instituto Nacional de Cultura (INC) à Cuzco, Pérou.

[7] Avant la conquête espagnole, l’Empire inca s’appelait Tawantinsuyu,en langue quechua, les Quatre-Régions-Unies (tawa : quatre, –ntin : ensemble, suyu : région). Le Tawantinsuyu était divisé en quatre parties dénommées Chinchasuyu, Antisuyu, Collasuyu, Cuntisuyu. Ces quatre parties s’étendaient sur les actuels Colombie, Chili, Bolivie, Argentine Pérou et Équateur.

ELEMENTS DE BIBLIOGRAPHIE

  • Jorge Flores Ochoa. Gráfica inca y tradición oral. – La Habana : CU : Oficina Regional de Cultura de la Unesco para América Latina y el Caribe, 1990. – p. 53-58 – Anual – (2, 1990) – Oralidad ; No. 2. – Oficina Regional de Cultura de la Unesco para América Latina y el Caribe.
  • Jorge Flores Ochoa, Elizabeth Kuon y Roberto Samanez. Qeros. Arte inka en vasos ceremoniales, Banco de Crédito del Perú, 1998, Lima.
  • Alan R. Sawyer, Ancient peruvian ceramics, The Nathan Cummings collection, The Metropolitan Museum of Art, 1966. 144 p., ill coul.
  • Collection Nathan Cummings d’art ancien du Pérou, catalogue de l’exposition, musée des arts décoratifs, 1956. Préface d’Henri Lehmann, 58 p. ill.
  • Alain Cardenas-Castro. Le puma à plume et autres motifs précolombiens. Des dessins scientifiques retrouvés dans l’atelier de Juan Manuel Cardenas-Castro : l’art de l’Ancien Pérou enseigné par l’image, in : Sciences & art contemporain, février 2023.
  • Christophe Comentale. La céramique néolithique chinoise. Paris : MNHN, s.d [ca 2010].
  • Christophe Comentale. Le Néolithique chinois. Paris : Sorbonne université, 2011. Un des volumes constituant le corpus de l’habilitation à diriger des recherches.
  • Deng Cong, A propos des éléments constitutifs des céramiques de Hemudu. Texte en chinois. Version en ligne in Wangji wanglu dang’anguan 鄧聰:〈從河姆渡的陶質耳栓說起 (頁面存檔備份,存於網際網路檔案館)〉。
  • Danièle Lavallée, Luis G. Lumbreras. Les Andes, de la préhistoire aux Incas. Paris : Gallimard, 1985. (coll. L’Univers des formes).
  • Danièle Lavallée. Les représentations animales dans la céramique Mochica. Thèse, Université de Paris, Institut d’ethnologie, Paris, 1970.
  • He Li. La Céramique chinoise. Paris : Éditions de l’amateur / L’aventurine, 1998, 352 p. Trad. de l’anglais. The Asian Art Museum of San Francisco, 1996.
  • Li Feng. Early China: A Social and Cultural History. Cambridge et New York, Cambridge University Press, 2013. 367 p.
  • Li Liu, The Chinese Neolithic: Trajectories to Early States. Cambridge et New York, Cambridge University Press, 2004, 498 p.
  • Isabelle Tassignon. « Un renard peut en cacher deux autres. A propos d’un vase Mochica de la Fondation Gandur pour l’Art (FGA-ETH-AM-0164) », [Œuvre du mois], Genève, Fondation Gandur pour l’Art, 2018 [En ligne]. Disponible sur https://www.fg-art.org/om_19 (mis en ligne le 01.06.2018)
  • Zhang Guangzhi. L’archéologie de la Chine antique. Nankin : Jiangning jiaoyu chubanshe, 2002. Texte en chinois. 張光直《古代中國考古學》(南京:江寧教育出版社,2002年) 
  • Site du musée Larco (Museo Arqueológico Rafael Larco Herrera), Lima, Pérou : https://www.museolarco.org/
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