par Marie-Paule Peronnet (*)
L’art floral est le résultat, la conclusion d’un processus individuel devenu la mise en scène présentée, à priori, au tout-venant, en fait à des catégories aussi diverses que sont le s spectateurs ou les acteurs, ceux qui vont redonner une approche autre à ces éléments d’une « nature » métamorphosée en une donnée autre, une approche qui peut vaincre le temps, lui-même limité à la durée de vie de cet art de l’éphémère.
Si l’on s’attarde sur les définitions…
Si l’on s’attarde sur les définitions du mot botanique, on peut constater une hiérarchie dans les différents domaines s’y rapportant, en commençant par la science qui a pour objet l’étude des végétaux, en fait, la botanique générale. On distingue ensuite, des sous domaines qui s’y rattachent tels que la taxonomie, la systématique, la morphologie végétale, l’histologie végétale, la physiologie végétale, la biogéographie végétale et la pathologie végétale. Il y a aussi d’autres disciplines plus spécialisées comme la dendrologie (du grec dendron signifiant « arbre » et logos signifiant « discours, science », c’est la science de reconnaissance et de classification des arbres, et plus généralement la science des végétaux ligneux) et plus spécialisée encore, la dendrochronologie (méthode de datation basée sur l’étude et la mesure des cernes de croissance annuelle de l’arbre). Ce sont aussi, pour terminer cette liste non exhaustive, les domaines de la botanique se rapportant aux connaissances précises et détaillées des végétaux. Des domaines trouvant leurs applications en pharmacologie, dans la sélection et l’amélioration des plantes cultivées, en agriculture, en horticulture, et en sylviculture. Tous ces métiers relatifs aux sciences botaniques sont exercés par des scientifiques (ill. 1 et 4) qui œuvrent à leurs recherches, animés par la passion des végétaux. Passion partagée par d’autres chercheurs et praticiens que sont les dessinateurs scientifiques (ill. 2), les fleuristes (ill. 3) et les peintres (ill. 3), prenant pour matériaux et modèles le végétal.



Ci-dessus, de haut en bas et de gauche à droite. (ill. 1) Patricia Salmón (1962) ; (ill. 2) Joseph de Jussieu (1704-1779) ; (ill. 3) Pierre-Joseph Redouté (1759-1840) ; (ill. 4) Adrien de Jussieu (1797-1853).





Ci-dessus, de haut en bas et de gauche à droite. (ill. 5) Alain Cardenas-Castro. Camelia sinensis, illustration du livre Des plantes et des Hommes d’Alain Amariglio ; (ill. 6) La créatrice florale Patricia Salmón ; (ill. 7) Pierre-Joseph Redouté (1759-1840), Éllébore in Choix des Plus Belles Fleurs, Paris, 1827, gravures au pointillé avec rehaut à l’aquarelle 10 1/4 x 9 3/4″ ; (ill. 8 et 9) Préparation et agencement pour un mariage sur une plage privée du Pacifique.
La densité de l’histoire des sciences
Après les premiers « naturalistes » des temps préhistoriques observant et dessinant leur environnement sauvage qui deviendra par la suite domestique, l’approche scientifique de la nature commence, dans notre monde occidental, avec Aristote (384-322 av. J.-C.) qui organise une classification des animaux. Néanmoins, le premier grand spécialiste des plantes est le philosophe Tyrtamos d’Érèse, surnommé Théophraste (371-288 av. J.-C.). Les neuf livres de son Histoire des plantes traitent de la morphologie et de la classification des végétaux. Un autre de ses ouvrages, consacré à la botanique, Causes des plantes, aborde, en six livres, des questions de physiologie végétale, comme la croissance et la reproduction. Au Moyen Âge, l’œuvre de Théophraste n’est connue qu’au travers de citations de Pline l’Ancien (23-79 apr. J.-C.) dont les botanistes redécouvrent l’œuvre à la Renaissance. L’Histoire des plantes a été la référence en matière de botanique pendant plusieurs siècles, elle a été complétée au XVIIe siècle par le botaniste Giovanni Bodeo da Stapelio (1602-1636), qui y ajouta son Commentarius et des dessins, dans une édition publiée à titre posthume, à Amsterdam en 1644.
Les traces les plus nettes de l’activisme scientifique appliqué à la botanique se retrouvent notamment à travers l’œuvre d’éminents Quelques botanistes du Jardin du Roy,Joseph Pitton de Tournefort, Sébastien Vaillant, Adrien de Jussieu, Joseph de Jussieu.
Le Jardin du Roi créé en 1635, devient le Muséum national d’Histoire naturelle en 1792. Plusieurs botanistes de renom se sont succédés au sein de l’institution tels Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708) et Sébastien Vaillant (1669-1722) à la fin du XVIIe s. et au début du XVIIIe. Ces naturalistes se déplaceront pour étudier les plantes en France et jusqu’aux portes de l’Asie, détaillant leur sexualité, mettant en place leur classification et constituant ainsi des herbiers.
Tous les naturalistes ne sont pas des voyageurs, quelques-uns d’entre eux évoquent le voyage mais restent sédentaires. C’est le cas d’Adrien de Jussieu (1797-1853), professeur de botanique, directeur du Muséum d’histoire naturelle en 1834, membre de l’Académie des sciences et créateur du Grand herbier de la flore française. Adrien de Jussieu se confie à Victor Jacquemont (1801-1832), son ami naturaliste et explorateur avec lequel il fonde la Société naturaliste de Paris :
« […] Que je voudrais pouvoir me transporter sur ce tapis enchanté dont parle les Mille et une nuits ! Cette végétation de l’Himalaya, ces régions montagneuses et tropicales, cette réunion de formes neuves pour mes yeux avec celles des formes de mon pays. Voilà qui titille l’amas nerveux situé sous ma protubérance des voyages (laquelle pourtant s’affaiblit au fur et à mesure que je vieillis). « Enfin, je verrai tous ces végétaux par petites branches, un à un et entre deux feuilles de papier et je serai content, tant un botaniste est un animal singulier ! ».
(ill. 10) Emmanuel Le Maout. Botanique. Organographie et Taxonomie. Histoire Naturelle des Familles végétales et des principale espèces suivant la classification de M. Adrien De Jussieu, Paris : L. Curmer, 1852, 389 p., fig. et pl. en noir et en coul.
Parmi les botanistes, quelques-uns sont des voyageurs, tel Joseph de Jussieu (1704-1779) qui accompagne en 1735 Charles Marie de La Condamine (1701-1774) lors de l’expédition chargée de mesurer l’arc du méridien à l’Équateur. Joseph de Jussieu sillonne également le Pérou et l’Équateur, il prospecte longuement les rives du lac Titicaca. Au cours de trente-six années passées en Amérique du Sud, il constitue des collections permettant par cette quête une connaissance de nombreuses plantes rapportées en France pour enrichir la collection d’herbiers du roi, des ouvrages aujourd’hui conservés au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris (ill. 11).
(ill. 11) Joseph de Jussieu (1704-1779), « Kina kina vegetior… », illustration du quinquina in Voyage au Pérou par Joseph de Jussieu, xviie siècle. Dessin rehaussé à l’aquarelle. Paris, Muséum national d’Histoire naturelle.
Patricia Salmón Zazzali, fleuriste à Lima
Les praticiens œuvrant aux préparations florales, les fleuristes, sont tout autant animés par la passion des plantes que les botanistes, ils privilégient une certaine proximité avec leurs formes, leurs textures, leurs odeurs et leurs couleurs. Des éléments que Patricia Salmón, héritière d’une lignée de passionnés de la matière végétale, s’ingénie à assembler en bouquets, couronnes, parures de table et de vêtement (ill. 12 à 15 ) et, par ailleurs, compositions et décors floraux. (ill. 8 et 9).
Cette créatrice compte parmi les professionnelles latinoaméricaines qui choisissent de travailler à partir des fleurs et des feuillages disponibles localement. Ce choix tient compte des échanges commerciaux internationaux rendant possible l’élaboration de compositions exotiques dans le monde. De même elle est désireuse de satisfaire les demandes multiples en privilégiant les variétés de fleurs locales.




Ci-dessus. (ill. 12 à 15 ) bouquets, parures de table et de vêtement.
C’est dans sa fleuristerie de Lima que Patricia Salmón déploie son activité multiple. Une fleuristerie singulière, celle des Salmón qui se sont consacré au végétal en transmettant leur passion des plantes sur plusieurs générations. L’histoire familiale commence avec celle du grand-père, Pablo Salmón, un horticulteur passionné qui transmet son savoir à son fils Pablo Antonio Salmón Jordan (1934-2019) — le père de Patricia — qui devient ingénieur agronome et travaille au Ministère de l’Agriculture péruvien. Au cours des années 1970, à l’âge de quarante ans, Pablo Antonio Salmón décide de quitter son emploi de fonctionnaire pour cultiver des fleurs. Dorénavant entrepreneur, il acquiert à Lima un terrain de 10 000 m2 et quelques bâtisses, dans le quartier de Monterrico. Il y développe alors une pépinière spécialisée et crée avec son épouse une floristerie baptisée Los Herrajes (ill. 16 et 18). Un nom quelque peu étrange, quincaillerie ou ferrures en français. Une traduction qui s’explique par la présence des fers à cheval dont la maréchalerie du centre équestre voisin avait pris l’habitude de se débarrasser, ils jonchaient alors le sol de la floristerie à venir (ill. 17).
Ci-dessus, de haut en bas. (ill. 16) Le premier local de la floristerie Los Herrajes de Monterrico, à Lima ; (ill. 17) Les ferrures ornementales posées par Pablo Antonio Salmón Jordan (1934-2019) sur les fenêtres et les portes de la floristerie Los Herrajes ; (ill. 18) Le fondateur de la floristerie Los Herrajes, Pablo Antonio Salmón Jordan et son épouse Cecilia Leonor Josefina Zazzali Carrera.
Après quelques années de développement de sa pépinière, Pablo Antonio Salmón devient le premier importateur de plants de roses de Hollande, plantées en sillon sur son terrain de Monterrico avec l’idée d’exporter les fleurs coupées. Le projet ne prenant pas l’ampleur espérée, Pablo Salmón arrête l’exportation et décide de vendre les roses directement sur son site. En même temps, il commence à développer une pépinière de plantes ornementales. C’est quelques années plus tard, au début des années 1980, qu’il décide d’ouvrir un magasin de fleurs dans la pépinière, avec l’aide de son épouse Cecilia Zazzali Carrera (1938-2017) (ill 18). Par la suite, il vend le terrain de Monterrico pour continuer son activité à Tomina, non loin de Lima, tout en inaugurant un autre local pour la fleuristerie Los Herrajes reprise par son fils, Pablo Adolfo José Salmón et sa fille, Patricia Salmón, qui, après des études de floristerie en Angleterre et en France, dirige aujourd’hui avec son frère l’entreprise familiale tout en développant son activité artistique de décoratrice. En 1986, Pablo Antonio Salmón continue le développement de son activité, il acquiert une grande parcelle de l’Hacienda Tomina à Lurin, la « Tabla larga », sur laquelle il fait pousser du muflier des jardins — ou gueule de loup (Antirrhinum majus) — et des œillets.
Patricia Salmón continue aujourd’hui de développer son activité de fleuriste, alliant à une grande technicité une conception large de ses réalisations qui couvrent les événements et rituels sociaux les plus ornementaux (ill. 6, 8, 9, 20), qu’il s’agisse d’anniversaire, de mariage (ill. 19), voire aussi des compositions complexes réalisées pour des funérailles.

(ill. 19) Patricia Salmón. Eléments d’un agencement floral pour un mariage ; (ill. 20) bouquet de Saint-Valentin
Peintres de fleurs ou peindre des fleurs
D’autres créateurs sont attirés par le végétal, notamment et de manière générale, les peintres sensibles aux formes et couleurs qui se sont intéressés aux plantes pour en retranscrire leurs détails anatomiques à des fins scientifiques et documentaires.
Le peintre, graveur, éditeur et enseignant wallon Pierre-Joseph Redouté, (Saint-Hubert [Wallonie] 1759 – Paris1840), est devenu célèbre pour ses aquarelles de fleurs (ill. 7), et plus particulièrement de roses, ce qui lui vaut le surnom de « Raphaël des fleurs ». La rencontre des botanistes Charles Louis L’Héritier de Brutelle (1746-1800) et René Desfontaines (1750-1833), le décide à partir à Londres, en 1787, pour étudier les plantes aux jardins botaniques royaux de Kew près de Londres afin de devenir illustrateur botanique, une discipline alors en plein essor. A son retour à Paris, en 1788, Redouté est introduit à la cour par L’Héritier. La reine Marie-Antoinette devient sa protectrice. Il reçoit le titre de dessinateur et peintre du Cabinet de la Reine. En 1792, c’est l’Académie des sciences qui l’emploie. Dès 1824, il donne des cours de dessins au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris.
D’autres créateurs encore prennent les végétaux pour modèle en les intégrant à leurs compositions, s’attardant sur les lignes et courbes organiques et la symbolique tout en les réinterprétant en dessin et peintures (ill. 5 et 21).

(*) Historienne de l’art, spécialiste de l’estampe et du livre [d’artiste] occidental. Collaboratrice au bimestriel Art & Métiers du livre.
Eléments de bibliographie
- Site de la fleuristerie Los Herrajes : https://losherrajes.com.pe/
- Laissus Yves. Les voyageurs naturalistes du Jardin du roi et du Muséum d’histoire naturelle : essai de portrait-robot. In: Revue d’histoire des sciences, tome 34, n°3-4, 1981. pp. 259-317
- Brown A. W., Chinard G., Duprat G., Huard P., Josserand P., Laissus Y., Leriche R., Leroy J., Lombard A., Michel F., Théodoridès J. & Villenoisy H. de 1959. — Jacquemont. Muséum national d’Histoire naturelle, Paris, 461 p. (Les grands naturalistes français ; 3).
- Christophe Comentale. A propos d’un dialogue écriture-dessin-jardin, in Sciences & art contemporain, mai 2023.






