A propos d’un salon du dessin contemporain
par Christophe Comentale, coordination éditoriale Alain Cardenas-Castro

La fréquentation des salons reste un exercice obligatoire pour qui continue de prendre la peine de séparer le bon grain de l’ivraie.
La formule peut sembler rude, elle l’est, certes, mais s’avère un phénomène tout à fait « normal » ! En fait, le succès de la manifestation renvoie à la fréquentation d’autres lieux, a priori éloignés l’un de l’autre : quoi de commun entre les espaces nouvellement redessinés du vaste show room Ikea dans le 13e arrondissement de la capitale et celui qui accueille la manifestation Drawing now au carreau du temple ? La même curiosité et le même engouement pour une culture en train de se structurer, de prendre ses marques face à la curiosité de toutes formes de publics attirés par l’attrait bien normal de la nouveauté.
Le dimanche après-midi, dernier jour de la manifestation est vraiment cruel, c’est le temps du farniente, de la digestion, de l’éclatement entre amis qui cherchent des lieux où des choses soient à voir autant qu’eux-mêmes ont besoin de se faire voir, d’être vus… Ce vaste déploiement d’énergie, assez baroque, envahissant, est la frontière à franchir pour parvenir au fond des choses, une confrontation parlante avec les images qui sont présentées sur ces stands répartis pour former un patchwork saisissant, une mosaïque changeante en fonction de la lumière du jour et de celle des éclairages, et aussi des variations chromatiques induites par les déplacements de ce public bourdonnant. Il n’empêche que le spectacle est déjà là, le voyeurisme est déjà intense face aux tenues de celles et ceux qui ont eu le temps de se préparer pour se substituer aux œuvres par leur présence ainsi pensée, tout à fait complémentaire à celle des œuvres.
Telle était l’atmosphère enjouée qui régnait ce dimanche après-midi au carreau du temple. En particulier dans le périmètre alloué à la galerie Husk, une galerie belge sise à Bruxelles. Le binôme formé par la galeriste Ingrid Van Hecke et l’un des artistes Peter Depelchin était saisissant : face à l’enthousiasme d’un nombre important de visiteurs, ils semblaient garder leur calme. Professionnalisme oblige ! Sur ce fond mouvant, un immense dessin me renvoya, d’emblée, aux saisissantes œuvres de Félicien Rops, à cette sensualité immédiate et trompeuse d’un baroque captivant mais quasiment dérangeant et vite fastidieux par la façon de l’artiste à décaper tout raffinement de ses créatures comme possédées par un feu autre…
En fait, le spectacle de cette fresque dessinée tenait le choc, il y avait la truculence, il y avait la densité, il y avait le choc raffiné et maîtrisé — sans en avoir l’air tellement c’était bien dessiné [ça compte !] de ce réel désuet et chevillé dans un aller-retour allusif au contemporain avec une fin de siècle à la polychromie savante et maîtrisée…
Peter Depelchin est né à Ostende en 1985. Il a grandi à Nieuport. Il a étudié à Sint-Lucas à Gand. Il a suivi une formation de dessinateur et de graveur.
La pratique artistique de Depelchin s’articule en deux grandes étapes : d’abord, une phase de recherche, pour laquelle il développe un certain nombre d’études et de petits écrits. Ces examens préliminaires aboutissent à des séries d’esquisses ou de collages. Dans un second mouvement, après avoir longuement étudié son sujet et après avoir tracé les contours des œuvres visées, il commence à dessiner, graver, filmer ou créer des installations. Les esquisses initiales sont utilisées soit comme un point de départ stable pour des œuvres d’art ultérieures, soit comme des œuvres d’art autonomes à part entière. Malgré son intérêt et son expérience avec une variété de médias, le dessin constitue le cœur de sa pratique artistique. Les matériaux qu’il utilise pour développer ses dessins sont la plume, l’encre de Chine, le bistre et le papier de soie. Cette combinaison évoque à juste titre des images aux influences culturelles orientales et occidentales. Il en va de même pour son emprise sur plusieurs techniques de gravure anciennes telles que la gravure sur bois et la taille-douce.
Ce jour là — le dimanche après-midi où je découvris cette œuvre imposante — il avait rendu et présenté un Hommage à Pan. Pour mémoire, la mythologie grecque a donné vie à cette force de la nature, Pan, aussi un dieu de la nature, protecteur des bergers et des troupeaux, une créature hybride, mi-homme, mi-bouc, à l’image d’un satyre. La figure de Pan a retenu l’attention de Peter Depelchin. Pour plusieurs raisons, la toute première étant certainement qu’ll a dû instantanément répondre à ce besoin de le rassurer sur la sensualité qui avait pu le gagner et lui imposer un rythme de vie particulier. Un autre, plus insidieuse, plus constructive, plus structurante, étant que cette créature — Pan encore — lui permet d’aborder les questions d’hybridité et de métamorphose qui sommeillent en tout humain. Pan signifie Tout.
A contrario de ce besoin d’expansion environnementale, se cachait, presque, un ensemble de petits formats : les œuvres de Céline Marin (Nice, 1986), des œuvres où le réel laisse place à l’imaginaire. Les dessins au crayon méticuleusement exécutés par cette créatrice évoquent un monde surréaliste plein d’humour. L’artiste construit son iconographie singulière en collectionnant des clichés amateurs et personnels, des cartes postales, des images découpées dans des magazines, des gravures anciennes, des articles scientifiques illustrés et des guides pratiques. Il s’agit ensuite de les classer et de les ordonner selon de grandes thématiques, avant de les assembler. L’acte d’assembler/démonter et de combiner/décombiner rappelle les collages surréalistes.
La rencontre avait valu le déplacement. Je décidai qu’en 2026, nous referions un saut, mais à un horaire autre. A suivre