Compte-rendu.
par Marie-Paule Peronnet (*)
Depuis six ans, cette manifestation met l’accent sur la pluralité du type de création à la fois récent et historique que constitue le livre d’artiste. Apparu en Occident vers le 19e siècle selon certains, en Chine sous la dynastie des Song (10e-12e siècles) pour d’autres, il a déjà fait l’objet de nombreuses recherches et attentions qui ont abouti à la constitution de collections très diverses. A ce jour, 1000 titres étoffent le fonds de la médiathèque d’Issy.
A Marion Nino, Directrice des Médiathèques d’Issy-les-Moulineaux, le mot du début : « Ce sont les mains qui font, qui vont en silence, et le livre est né ». Ces mots de Stéphanie Ferrat, lauréate du prix du livre d’Artiste de la Ville d’Issy-les-Moulineaux, nous rappellent l’ampleur de l’univers dans lequel se déploie un livre d’artiste : œuvre complète, à la fois plastique, organique et poétique, il trouve une place naturelle dans l’espérance un peu folle des bibliothèques de rassembler dans leurs murs savoirs et artistes. Cette année encore, la Médiathèque centre-ville se réjouit de contribuer modestement par ce concours à valoriser l’extrême diversité et richesse des créateurs de livres d’artistes.
Un règlement publié très en amont permet notamment aux créateurs intéressés de préparer un livre récent et inédit, pour la circonstance. Les lauréats des années précédentes ne peuvent à nouveau candidater.
Comme chaque année, un jury très à l’écoute de la diversité de ce que peut être un livre d’artiste, s’est rassemblé afin de décerner le prix au lauréat. Sa composition est donnée ci-après :
Candice Attard, directrice des affaires culturelles à la mairie d’Issy-les-Moulineaux, Gwenael Beuchet, chargé de conservation au Musée de la carte à jouer d’Issy-les-Moulineaux, Alain Cardenas-Castro, enseignant, artiste et médiateur scientifique et culturel au Muséum national d’Histoire naturelle, Christophe Comentale, auteur, conservateur en chef honoraire au Museum national d’Histoire naturelle, Laetitia Cuisinier, chargée de programmation culturelle, Frédéric Harranger (**), Virgile Legrand, galeriste et éditeur, Marie Minssieux-Chamonard, conservatrice en chef à la Bibliothèque nationale de France, responsable des collections XXe-XXIe siècles, réserve des livres rares, Marion Nino, conservatrice en chef, directrice des médiathèques de la ville d’Issy-les-Moulineaux, Jean-Marc Thommen, artiste et directeur de l’école d’art « Les Arcades », Hélène Valotteau, conservatrice en chef, responsable du pôle jeunesse et patrimoine à l’Heure Joyeuse, Médiathèque Françoise Sagan.
–1 Un démon gentil modèle. Marie-Christine Dauphin. D’après un texte de Christian Bobin. Œuvre composée de trois éléments : leporello de 10 x 16 cm, découpage et collages ; livret 16 x 10 cm qui réorganise les expressions entières ; un recueil d’aphorismes, 4 x 9 cm. Exemplaire unique.
–2 Lignes de crêtes. Catherine Decellas, texte de François Cheng. Leporello sculpté aux formes des motifs. Aquarelle. Texte manuscrit.
Diplômée d’art textile et arts appliqués, Catherine Decellas élabore des livres d’artiste depuis 1993. Ce sont plus précisément des leporelli (livres en accordéon) peints tels des panoramiques. Dans ces œuvres, peinture, encre et poésie se répondent. Les couvertures sont également travaillées dans l’esprit de chaque livre. L‘artiste s’inspire entre autres de textes de poètes tels que François Cheng, Andrée Chedid…Chaque exemplaire est unique.
–3 L’avenir est dans la nuit. Eva Demarelatrous, texte de Bertholt Brecht. Linogravures. 25 x 32 cm.
Etonnant parcours que celui d’Eva Demarelatrous, créatrice qui vit et travaille à Puyravault (Vendée). Après avoir été étudiante aux Beaux-arts de Düsseldorf, son mariage lui permet des séjours en Algérie, en Allemagne et en France. C’est à Bordeaux, Tübingen et Strasbourg qu’elle fait également des études de Lettres. Dès les années 80, elle reprend une activité de peintre avec des confrères comme Laubreton et Jacques Dominioni. Elle s’initie à la gravure dans l’atelier de François Verdier à Niort, la typographie et les techniques du livre avec Djamel Meskache à La Roche sur Yon. Parallèlement à la peinture et à la gravure, elle réalise des livres d’artistes et de dialogue, crée des œuvres textiles de grands formats, participe à des chemins d’art et crée des jardins à Chaumont sur Loire et au musée-parc du textile à Wesserling en Alsace. Eva Demarelatrous se meut « entre jubilation et douleur ».
–4 Manifeste de l’aréalisme. Dominique Digeon.
L’artiste a créé de toutes pièces ce livre-éphéméride. Découpages et collages de fragments imprimés d’un texte d’André Breton sont disposés sur un éphéméride, accompagnés d’une mosaïque de morceaux de cuir colorés sur le panneau de bois de l’éphéméride.
Né en 1959 à Paris, l’artiste vit et travaille en région parisienne. Il commence à peindre à l’âge de 12 ans. Depuis 1991, il privilégie une logique de séries. Inventeur d’une technique de « papiers pelés », il travaille la relation espace-temps, représentant le déroulé de parties d’échecs en une seule image. Il est en 1992, le lauréat du prix de peinture Pierre Cardin. Deux ans plus tard, l’obtention de l’agrégation d’arts plastiques marque conjointement le début des détournements de photos, cartes et affiches. Parallèlement aux séries de tableaux il commence en 1999 un travail plastique sur le livre imprimé, enrichissant des ouvrages d’éditions courantes en objets précieux qui entrent dans les collections nationales : bibliothèques Kandinsky, Forney, Sainte Geneviève…
–5 b.a-ba. Dbl-j. Texte de pH et conception plastique Léonore Fandol. Texte imprimé sur plaques de verre serties dans des montures en métal. L’œuvre est accompagnée d’une montre à gousset en état de marche avec sa clé. 20 x 20 cm
L’originalité de [[ dbl-j ]], né à l’automne 1994, est de montrer le travail croisé d’un écrivain, Léonore Fandol, et d’un peintre, pH, unissant ainsi l’art littéraire à l’art plastique. Issues des textes de l’auteur, interprétées alors en tant que matière, les créations de [[ dbl-j ]], créations de connivence par les deux artistes, trouvent leur expression dans des domaines différents. Œuvres plastiques, livres objets et livres d’artiste, ces créations témoignent d’une volonté d’expérimentation où objets et matériaux détournés de leurs fonctions premières de même que techniques traditionnelles ou innovantes agissent en tant que réponses au texte toujours présent, nouvelle ou poésie. La recherche de ce binôme tend à s’éloigner des limites établies en pénétrant les marges, en fouillant les ombres, [[dbl-j]], l’œuvre devient alors un lieu d’échange suscitant un dialogue immédiat avec tous les publics.
–6 L’existence est ailleurs. Stéphanie Ferrat. Texte de l’artiste. Peintures avec adjonction de matières sur cartes marines.
Stéphanie Ferrat développe une œuvre attentive aux oscillations du vivant, entre relevés terriens et récolte du ciel, qui interroge dans un geste fort et délicat les sillons du monde. Végétation, animaux, roches, territoires, elle traverse les registres naturels dans un travail pictural fait de pigments, d’empreintes et de traces qui est régulièrement exposée en galerie (Sabine Puget, Unes Galerie, Univer, Pome Turbil…). Elle est également l’auteur de poèmes suspendus entre notation du réel et palpitations sensibles, publiés notamment par les éditions La Lettre volée, Fissile ou L’atelier La Feugraie. Stéphanie Ferrat réunit ses trajectoires artistiques et poétiques depuis une vingtaine d’années avec la création d’une maison d’édition de livres de bibliophilie, les mains, où elle croise interventions picturales, textes et impression typographique. Une centaine de titres a paru à ce jour, nourris de collaborations avec de nombreux auteurs parmi lesquels Ludovic Degroote, Jean-Louis Giovannoni, Erwann Rougé et avec des plasticiens tels que Philippe Guitton, Leonardo Rosa ou Vincent Verdeguer.
–7 Fourrure de neige. Magdéleine Ferru (Extraits de textes de Jules Verne). Livre réalisé en textile avec photographies sur canvas coton, calques et feuilles transparentes. Coffret en bois. 14 x 20 cm.
Magdéleine Ferru :
Magdéleine -JustMagD- française, a choisi de faire ses études de photographie à Montréal … Les livres l’attirant de plus en plus, elle se forme au design, à la mise en page et à diverses techniques de reliures. Un « livre sculpture » Musée de Mariemont (2019) et une « Reliure copte » avec Marjon Mudde comptent parmi ses nombreuses créations.
–8 Chemins éperdus. Anne Lascoux. Inspiré de chansons d’Antonio Machado. Leporello asymétrique à géométrie variable. Se range dans un boitier à couvercle aimanté. 7 x 7 cm.
–9 Vivre là-ailleurs. Viviane Michel. D’après un poème de Rousselot. Leporello emboité dans un coffret en forme de maison. Illustration et texte manuscrit aux crayons de couleurs. 16 x 7 cm.
Viviane Michel a fait ses études à l’école des Beaux-Arts de Toulouse où elle a partiqué différentes techniques d’expression (peinture, dessin, photographie, pliage, photogravures…) qu’elle poursuit encore aujourd’hui. La singularité de ses ouvrages s’articule autour de ces techniques qui s’entrecroisent avec la finesse du tracé de son dessin. Artiste indépendante depuis 2005, elle vit et travaille en Mayenne.
–10 Ziran. Marjon Mudde. Texte de l’artiste et un extrait du Tao Te King. Typographie au plomb. Eaux forte, linogravures, dessin, collage, broderie, couture. Papier végétal, papier marbré, papier népalais sur pages en textiles. Gaze teinte, éléments de récupération en métal. 20 x 20 cm.
Marjon Mudde :
Artiste polyvalente, à l’esprit d’expérimentation infatigable, Marjon Mudde aime revisiter les techniques anciennes, pour les employer – parfois d’une façon inattendue – dans ses gravures, ses livres d’artiste ou ses céramiques. Elle n’hésite pas non plus à mélanger les genres : du textile ou de la céramique dans ses livres, du carton pour graver, du bois et du métal dans les reliures…Ses créations sont régulièrement exposées et collectionnées par des institutions et des particuliers, en France ou à l’étranger.
–11 A contre-emploi. Catherine Pomper. Texte de l’artiste. Collages, peintures et texte manuscrit.
–12 Aliunde. Rachel Rivière. Texte de l’artiste. Photographies sur papier de riz. Marouflage sur papier Fabriano. Gaufrage à l’encre noire. Texte imprimé au tampon. 15 x 15 cm. Boitier avec sur le dessus, une photographie sur papier de riz marouflé.
Rachèle Rivière :
Céramiste plasticienne, Rachèle Rivière explore les traces visibles et invisibles du souvenir, qu’elle esthétise avec une grande force graphique. Ces formes épurées et familières contrastent avec la densité mystérieuse de ces impressions photographiques en noir et blanc. Les images semblent surgir à la surface de ces objets témoins de notre quotidien, ressuscitant les fragments oubliés d’une mémoire défaillante. Pour quel motif ? La relativité du temps, la fragilité de la mémoire sont des motifs constants de la réflexion de cette archéologue de l’âme.
–13 Je serai là. Patricia Sarne. Texte original de Flora Delalande. Peintures et gaufrages au carborundum. 20 x 28 cm.
Patricia Sarne est coutumière d’une pratique des arts (danse classique, guitare, piano, peinture), qui a imprégné ses premières années. Après le diplôme de l’Ecole Supérieure des Arts Appliqués Dupéerré en 1981, où elle aborde les techniques d’art mural, la photographie et la restauration de tableaux, Patricia Sarne travaille comme coloriste dans une agence d’architecture et de recherches chromatiques. Puis elle se consacre à la peinture en des thèmes toujours renouvelés (Ombres, Reflets, Lumières d’hiver, Cosmos, Galets, Torrents, Musique et Danse, Jours, Swing calligraphies, Eléments, Saisons, Danse des calligraphies, lumières et ombres végétales, Aqua…), quête de la permanence éphémère. Dès 1980, le dessin calligraphique au pinceau et à l’encre de chine, d’après modèles en mouvement, est une part importante de sa recherche. (aïki-do , danse contemporaine, vols de mouettes, musique)… Depuis 2012, ses livres d’artiste ont recours aux techniques les plus diverses : gravures, encres, collages, photos et poésies.
–14 Croisée des passages. Sylvie Schambill. Texte d’Agnès Adda. Collages, peintures céramique.
Sylvie Schambill explore les ressources de multiples médiums pour révéler mes mondes intérieurs, mes chemins de vie et ensuite en partager la mémoire ».
–15 L’enfer. Marc Vernier. Papiers structurés. Couverture en métal mordu à l’acide. 30 x 21 cm.
La complexité de la création de Marc Vernier se construit sur des structures simples. Il rappelle son approche dans le texte suivant : « pour chaque artiste, il existe un travail à découvrir par la sensibilité de celui qui le regarde en dehors des jugements critiques ou intellectuels… Le travail de plasticien est une recherche d’harmonie avec des jeux de matières (bois, métal, ardoise, papier) et une juste répartition de différentes intensités de noirs, de bruns, de blancs. Inspiré des jardins japonais ou du Bauhaus, mes tableaux et mes gravures sont le résultat d’une réflexion approfondie et d’une réalisation exigeante. Leurs formats identiques forment un ensemble cohérent. Mes livres sculptures, toutes des pièces uniques, sont le prolongement en volume de ma peinture ».
NB: le compte rendu reprend partiellement les biographies publiées antérieurement.
(*) Marie-Paule Peronnet est spécialiste de l’histoire du livre, notamment du livre de création et d’artiste et de la bibliologie moderne et contemporaine occidentale, l’autrice est collaboratrice régulière à la revue AML.
(**) Frédéric Harranger, musicien et créateur, est en charge du fonds de livres d’artistes à la médiathèque d’Issy-les-Moulineaux.