Les uniques. Regard sur quatre œuvres rares de Jacqueline Ricard

par Christophe Comentale

Peintre, éditrice-fondatrice des Editions la Cour pavée, amatrice et créatrice de gaufrages uniques, dans la lignée d’artistes tels István [Etienne] Hajdú (1907, Turda, Roumanie – 1996, Bourg-la-Reine), Jacqueline Ricard, comme cet aîné sculpteur et inventeur de reliefs entre bois et métaux, aime la proximité des arbres, celle des pierres et reliefs qui sacralisent les sites où elle enchaîne des missions d’observation. Elle sait, par ailleurs, la place de l’écrit, du signe, une approche favorable aux coopérations avec des créateurs, des gens de lettres. Ces analyses de sinuosités cachées entre pétroglyphes et traces immémoriales ont très naturellement amené cette voyageuse à enchaîner à l’international des expositions qui font admirer son travail depuis différents points du monde de l’art.

Regard sur un œuvre peint, gravé, de gaufrages nés entre les méditations sinueuses du bouddhisme chan et un besoin de se mettre à l’unisson des éléments.

Une cinquantaine de livres ont vu le jour, quatre œuvres, sélectionnées ci-après, jalonnent ce parcours d’une créatrice polymorphe.

Une technique ouverte, la gravure au carborundum

Diplômée de l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris, Jacqueline Ricard s’illustre par ses recherches en taille-douce, notamment avec l’eau-forte, suivant les conseils et préceptes d’un de ses maîtres, Piza (1928, Sao Paulo), pour infliger ou prodiguer au métal des morsures extrêmes et fascinantes. La familiarité avec les œuvres de Soulages (1919, Rodez), Clavé (1913-2005), oriente profondément la direction de son travail et de son imaginaire. C’est avec Pierre Duclou, qu’elle approfondit vers 1992 à la technique du carborundum. Une technique qui permet des empreintes et des reliefs plus importants que la taille-douce mais avec des effets parfois semblables. Mise au point par Henri Goetz (1909, New York – 1989, Nice) dans les années 1950, cette technique au carborundum consiste à déposer sur une plaque de métal ou de plastique de la matière qui peut ensuite être gravée. Cette matière : colle, vernis ou résine, est mélangée à de la poudre de carborundum (carbure de silicium) qui durcit au séchage et permet alors d’être travaillée – gravée – et encrée puis imprimée comme une gravure en taille-douce. Cette technique peut se combiner avec d’autres techniques de gravure. L’impression se fait sur une presse taille-douce. Les œuvres naissent alors au fil du temps et rejoignent les collections d’ici et d’ailleurs.

Transitions gravure – peinture 

En parallèle à son attachement à la gravure, elle a peint, achève une série de drapés travaillés avec de la colle de peau afin d’obtenir des matières qui ne sont pas sans rappeler les reliefs de ses œuvres gravées.

Ce besoin de technique souple, de cuisine qui surprend, tient au caractère de Jacqueline Ricard qui, à l’opposé de certaines de ses collègues, va partir d’une idée directrice, d’esquisses qui pourront être abandonnées car les choses se font une fois la matière en mains.

La force du soleil ou du bon usage de l’héliogravure

Trois de ses livres sont réalisés en héliogravure au grain. Comme elle aime à le rappeler, « l’héliogravure est un procédé du XIXe siècle permettant le transfert d’une image photographique sur une plaque de cuivre par l’intermédiaire de gélatine photosensible. Il est considéré comme le plus beau mode d’impression d’images photographiques ou autres. Etre conscient de ces contraintes devient une source forte de liberté ». Ce qui apparaît au fil de ses livres, notamment dans   Lettre de Vladivostok (2014), (ill.) ou pour la gravure en frontispice de Lettre à M (2012). (ill.)

Si, parfois, les montagnes et environnements naturels décrits par Jacqueline Ricard semblent des abstractions – elle ne s’en défend pas – il n’en reste pas moins qu’il s’agit surtout d’une communion avec la Nature. Des séries de trois ou quatre pièces viennent concrétiser les idées-force des projets.

C’est en 1997 qu’est créée la maison d’édition La Cour Pavée. Ses livres et œuvres s’y retrouvent, elle aime susciter des collaborations avec d’autres plasticiens et hommes de lettres, pour la création de Kentauros (ill.) D’autres collaborations viennent à elle : Kenneth White avec lequel elle réalise 5 livres, dont le plus récent, Sur les hauteurs de l’Altaï, en 2019 (ill.). C’est alors la mise en espace d’un livre où les marges blanches du papier laissent son plein impact aux traces, reliefs de paysage de montagnes ainsi créé. Ces zones quasi diaphanes montrent une virtuosité réelle et aussi un soin intense apporté à l’œuvre « avec la gravure – déclare Jacqueline Ricard – les mains dans l’encre, mais l’oeuvre doit sortir impeccable ».

Remerciements : Marie Akar, Lou Jie, Ernesto Mächler Tobar.

Renvois bibliographiques

  • SALON PAGES, Bibliophilie contemporaine www.pages-paris.com
  • Comentale, Christophe, Jacqueline Ricard, les livres des monts et des mers, Art et Métiers du Livre, déc. 2017 (n° 323), pp. 20-27 : ill.

 

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