par SUN Chengan (*)
La carrière menée avec dynamisme depuis quelque quarante ans entre création personnelle et patrimoine culturel ou social, n’a nullement empêché Alain Cardenas-Castro d’aller au fil de ses idées, de ses obsessions polychromes et graphiques. Quelques jalons dans un parcours en entrelacs.

Fasciné par les surfaces murales, peintes, tagguées, ornées de façon temporaire ou dans la durée, Alain Cardenas-Castro entre à L’École des Beaux-arts en 1981 et se spécialise dans la technique de la peinture à fresque. Il développe son travail plastique sous la forme de peintures murales (ill. 1) tout en continuant ses approches graphiques à partir de la peinture de chevalet. Ces expérimentations deviennent des assemblages de différents types, des installations, et enfin, des dessins et des livres d’artistes. Toutes ces recherches permettent de mettre en évidence par des liens formels et signifiants, des réseaux de correspondances. Le contenu prend souvent appui sur l’espace de la famille.

DE LA PEINTURE MURALE A LA MUSEOGRAPHIE
Comme l’artiste l’expliquait dans une interview récente
« le contenu de mon travail peut aussi se référer aux signes et aux systèmes d’écritures, qu’ils soient pictographiques ou typographiques (ill. 2). Ces symboles et ces signes permettent des allers et retours sémantiques entre signifiants et signifiés. Parallèlement, le travail de muséographe mené au Musée de l’Homme, m’a amené comme mon père Juan Manuel à effectuer différentes missions et travaux correspondant à plusieurs métiers. D’abord celui de documentaliste, de muséographe dans le projet de rénovation du nouveau Musée de l’Homme, enfin comme initiateur de projets artistiques avec notamment en 2013-2014, Art in situ, projet artistique éphémère consistant en des interventions d’artistes plasticiens sur les murs du musée en chantier. J’étais en quelque sorte maître d’œuvre et commissaire intervenant ».
2024. LA MISSION AU PEROU
L’année 2024 a été une année centrifuge pour ce plasticien dont les racines paternelles le ramènent sans cesse vers le Pérou. Une exposition de dessins, une participation à une publication en qualité d’illustrateur, la sortie de Terre de France, un livre de création et, en parallèle, un ensemble d’images sur un environnement autre, autant d’avancées multipôles qui, toutes, montrent un même sens de la couleur, des juxtapositions formelles. Enfin, la dernière main à Nombril du monde (ill. 3, 4 et 5), un livre d’artiste où les œuvres qui se succèdent sur différents types de papiers, la finesse des papiers asiatiques et l’aspect fort des papiers artisanaux occidentaux donnent à l’ensemble de peintures à l’acrylique, de dessins mixtes qui se succèdent, un rythme épique de pénétration dans l’histoire autour d’un motif flaque / fleur / centre du monde !


(ill. 3, 4 et 5) Alain Cardenas-Castro. Nombril du monde, texte manuscrit et intervention d’Alain Cardenas-Castro. Issy-les-Moulineaux : Association Juan Manuel Cardenas-Castro : peintre(s) et muséographe(s), 2024. [18] folios : acrylique, linogravure et crayon graphite. Ex. unique. 33 x 26 cm.
Des époques sans forcément de liens commutatifs ou complémentaires se succèdent au fil de ces décennies de travail. Quatre œuvres se sont imposées lors de la mission au Pérou : des pièces peintes à l’acrylique sur papier. Deux appartiennent à la série D’Est en Ouest (ill. 6 et 7) et deux autres proviennent de Carte de France (ill. 8 et 9). Cette segmentation d’ensemble ne nuit aucunement aux représentations. Pour Carte de France, certes une vision centrale du monde où la France assume le rôle de noyau structurant choque par la multitude des matières qui entourent le pays devenu seul autour de fibres sur une œuvre et de fourmillement de conglomérats lithiques sur l’autre. Passé ce premier et légitime étonnement, le voyage au pays des matières continue. La deuxième pièce montre combien les notions de vide et de plein sont facilement remises en question. Pour figurative qu’elle soit de prime abord — le voyage au-delà du réel s’effectue sans vraiment de difficulté —, la fuite s’avère plaisante.


Ci-dessus, de gauche à droite. (ill. 6 et 7) Deux pièces de la série D’Est en Ouest, acrylique sur papier, chaque pièce 30 x 40 cm.


Ci-dessus, de gauche à droite. (ill. 8 et 9) Deux pièces de la série Carte de France, acrylique sur papier, chaque pièce 32,5 x 25 cm.
DES SERIES EN PRESENCE
Devenu géographe et peut-être géologue dans Carte de France, Alain Cardenas-Castro redevient avec D’Est en Ouest, le botaniste, l’herboriste fantastique que l’association des surréalistes continue d’observer sur les sources de cet imaginaire qui vogue dans un espace proche des grottes de Dunhuang. Non pas en raison du fait que des présences végétales (bambous, orme, …) soient disséminées sur ces fonds au rouge usé que l’artiste affectionne, mais dans leur positionnement dans un espace dont la densité tranquille renvoie à des atmosphères presque renaissantes tant le détail devient luxe descriptif ; l’amateur de poteries n’est pas loin non plus de ces récipients posés sans vraiment de justification, à l’égal de traces qui continuent de s’affaiblir et dont la disparition est proche.
L’ensemble complexe de ces œuvres d’Alain Cardenas-Castro montre un plaisir des images dans un univers sans la contrainte des proportions ni surtout de l’espace, ce qui permet d’aller de l’infiniment petit au démesuré à la façon d’un explorateur qui a pris aux sciences, surtout celles de la Nature, une dimension positive et en pleine harmonie avec les variations, elles aussi infinies, de l’imaginaire et de sa puissance abyssale, lorsque le talent devient le moteur essentiel de ces parcours.
Eléments bibliographiques
- Site de l’artiste : http://www.alaincardenascastro.com
- Alain Cardenas-Castro, Juan Manuel Cardenas-Castro, pour un autre indigénisme In : Science et art contemporain, 31 juillet 2021.
- Alain Cardenas-Castro, De la diffusion des connaissances : sur la mise en place d’un projet bilatéral France-Pérou relatif aux œuvres de Juan Manuel Cardenas-Castro (5) In : Science et art contemporain, octobre 2018.
- Alain Cardenas-Castro, De la série. Narration centre et périphérie. Propos doublés, texte de Christophe Comentale. Paris : Editions du fenouil, 2024
- Alain Cardenas-Castro, Peintures murales: de la diversité des approches Est – Ouest In : Science et art contemporain, août 2017.
- Alain Cardenas-Castro, Parcours d’un fresquiste : formation, expériences et approches autres In : Science et art contemporain, sept. 2017
- Christophe Comentale, Alain Cardenas-Castro, livres, assemblages, peintures, in AML (317, nov.- déc. 2016), pp. 56-61 : ill.
(*) SUN Chengan est docteur en anthropologie sociale du Muséum national d’histoire naturelle de Paris et professeur de chinois langue étrangère.
