Juan Manuel Cardenas-Castro, pour un autre indigénisme

Dans le cadre des célébrations du bicentenaire de l’indépendance du Pérou, un cycle de conférences magistrales a lieu en juillet et août 2021. Ces interventions rendent un honneur bien mérité au peintre indigéniste Juan Manuel Cardenas-Castro (1891-1988).

Conférence inaugurale par Alain Cardenas-Castro

Salutations et bienvenue à toutes et à tous.

En tant que fils du peintre Juan manuel Cardenas Castro et président de l’association « Juan Manuel Cardenas Castro Peintres et muséographes » je suis honoré de pouvoir évoquer l’œuvre de mon père et son parcours durant le cycle de ces conférences magistrales.

Pour cette conférence inaugurale, je tiens à remercier, Luis Alberto Valcarcel Villegas, maire d’Urubamba, la ville qui a vu naître Juan Manuel Cardenas Castro et a accueilli la première des expositions itinérantes des œuvres de Juan Manuel comme une célébration symbolique du berceau des Cardenas et une reconnaissance de son talent avec honneurs.

Ma gratitude va également à Victor German Boluarte Medina, maire de la capitale culturelle incomparable de Cusco qui nous fait l’honneur de sa présence et qui a bien voulu accepter dans ses collections municipales le don d’une œuvre de Juan Manuel, un enfant du pays.

Qu’il me soit permis d’adresser de chaleureuses pensées au maître Manuel Gibaja Gonzales, un des créateurs incomparable que produit le Cusco, un artiste qui redonne tous les jours vie à l’art et à la culture péruvienne dans la ville « nombril du monde » du Tawantinsuyu.

Ma reconnaissanve va également à Madame Alicia Cucho de l’Alliance française et à Madame Eliana Miranda de la la pinacoteca Maria Josefa Arizmendi de la Municipalidad Provincial de Canchis pour leur accueil institutionnel.

Une pensée amicale et reconnaissante au Docteur Enrique León Maristany qui m’a accompagné au début de ce projet biculturel entre la France et le Pérou et qui a aussi bien voulu accepter en tant que professeur de l’université Diego Quispe Tito, de compter parmi les membres de mon jury de thèse de doctorat, thèse intitulée Création artistique  et données ethno-anthropologiques péruviennes. 1915-2015 : une lignée de peintres muséographes, les Cardenas-Castro, que je présenterai en novembre prochain en vue de l’obtention du titre de docteur en esthétique, sciences et technologies des arts. Une codirection entre l’Universités Paris 8 Vincennes Saint-Denis et la faculté des lettres de l’Institut catholique de Paris.

Que les membres du jury trouvent ici ma gratitude reconnaissante, M. Éric Bonnet, Professeur à l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, M. Emmanuel Lincot, Professeur à la faculté des lettres de l’Institut Catholique de Paris, mes directeurs. M. Christophe Comentale, Conservateur en chef honoraire au Museum national d’Histoire naturelle, habilité à dirigé des recherches, M. Ernesto Mächler Tobar, Professeur à l’Université de Picardie Jules Verne et Mme Isabelle Tauzin-Castellanos, Professeure à l’Université Bordeaux Montaigne.

Je tiens enfin à remercier toutes les autres personnes que j’ai rencontrées dans cette magnifique ville de Cusco qui m’ont aidé dans la globalité de ce projet.

 

Juan Manuel comme précurseur de l’Indigénisme ?

Aujourd’hui, dans le cadre du Bicentenaire de l’Indépendance du Pérou, il me semble important de replacer l’œuvre du peintre urubambino Juan Manuel Cardenas-Castro dans l’historiographie de l’histoire de l’art péruvienne. Effectivement, Juan Manuel Cardenas-Castro qui est né au Cusco a ressenti très tôt le besoin de s’exprimer par le dessin. Sans avoir fréquenté d’école d’art, il a été guidé par sa sensibilité au travers de ses racines andines pour dépeindre avec passion son environnement quotidien du Sud-andin. Lors de mes missions de recherche au Pérou dans les diverses institutions, à la bibliothèque de l’Université nationale San Antonio Abad, à la Biblioteca y archivo del Museo de arte de Lima, à la Biblioteca y archivo histórico municipal de lima y à la Biblioteca Nacional del Perú, j’ai constaté que Juan Manuel, jusqu’en 1920 a créé une œuvre considérable au Pérou, suscitant des critiques élogieuses de la part de personnalités importantes du milieu de l’art péruvien de la première décennie du XXe siècle. Je citerai en exemple, le peintre et critique d’art Téofilo Castillo — qui ouvre en 1906 le premier atelier de peinture en plein air à Lima venant rompre avec le genre prédominant de la peinture de portrait qui a cours au Pérou à cette époque — qui a reconnu dès 1916 le talent de Juan Manuel dans un article paru dans la revue Variedades en analysant deux de ses œuvres, un dessin et un pastel. Il est important de signaler que Juan Manuel en 1916, a l’âge de 25 ans, a déjà acquis une expérience dans la pratique de son art et a produit un nombre notable d’œuvres. Je préciserai que jusqu’à maintenant, je n’ai retrouvé aucune trace de ses travaux originaux réalisés. Le travail de recherche sur son œuvre de jeunesse est encore un axe à explorer.

L’objectif de ce projet global, la reconnaissance d’un artiste majeur du Cusco, concerne tous les cusquenos. La valorisation et la diffusion de l’œuvre de Juan Manuel sont une contribution aux avancées culturelles du lieu, elles ne peuvent que venir enrichir le patrimoine local du Cusco, une terre berceau de culture millénaire et continuellement génératrice de créateurs contemporains.

 

L’importance de la revalorisation de l’art indigéniste.

Juan Manuel part en 1920 à Paris et ne participe pas au développement du mouvement indigéniste qui sera représenté par le peintre José Sabogal — Sabogal aura voyagé en Europe entre les années 1908 à 1910 — qui, en revenant d’Argentine passe six mois à Cusco, et en tirera une production plastique qu’il présentera lors d’une exposition en 1919, à Lima, où il s’installe. Juan Manuel sera à Paris pour exposer en 1926 au Salon du Franc, en même temps qu’une autre artiste péruvienne, la sculptrice Carmen Saco (1882-1948). Juan Manuel Cardenas-Castro participe, à ce Salon comme d’autres artistes représentants de trente-six pays, tels Juan Gris ; Tsugouharu Foujita ; Chana Orloff ; Pascin ; Manuel Ortiz de Zarate ; Ossip Zadkine ; Marc Chagall ; Giorgio de Chirico ; van Dongen. Le Salon du Franc a pour but de faire contribuer les artistes étrangers à lutter contre l’inflation de la monnaie française par une vente aux enchères de cent chefs-d’œuvre offerts par les artistes étrangers au comité du maréchal Joffre pour la défense du franc. A cette occasion l’État français acquiert une peinture à l’huile de Juan Manuel intitulée Imprecion. C’est une peinture représentant l’environnement montagneux du Sud-andin dans lequel s’inscrivent deux lamas , animaux emblématiques et représentatifs de la culture et de la domestication de l’espace andin. Je préciserai ici, que, comme de nombreux artistes étrangers durant les années d’après-guerre — et dans un contexte économique difficile faisant suite à ce premier grand conflit mondial —, les latino-américains subissaient aussi un certain racisme. Des influences pouvaient se retrouver jusque dans les productions des artistes, ce qui les poussaient parfois a vouloir s’intégrer en s’assimilant aux modèles artistiques classiques. Ces tendances seront remarquées par les critiques artistiques des années 1920 et plus ou moins approuvées. Les créateurs calquaient l’art européen en reprenant leurs codes esthétiques afin de prouver leur modernité et leur universalité chez eux ou bien  ils exprimaient leur originalité autochtone. Juan Manuel a, de manières sincère et constante, affirmé ses origines cusqueniennes. Cela lui a permis de rencontrer l’américaniste Paul Rivet qui l’a recruté — en tant que spécialiste de la culture andine parlant quechua — dans son équipe muséale à partir de 1928 pour participer à la construction du Musée de l’Homme, à Paris, et en collaborant avec les scientifiques et intellectuels tels que Georges Henri Rivière, Michel Leiris, Alfred Métraux, Yvonne Oddon, Henri Lehmann, Deborah Lifschitz, Denise Paulme, Marcel Griaule, Thérèse Rivière, Henri Lehmann et d’autres.

C’est tout au long de sa vie qu’entre son art de dessiner et de peindre et la diffusion scientifique de son savoir — de la culture, de la langue quechua et de sa parfaite connaissance de l’histoire du monde andin — que Juan Manuel Cardenas Castro a contribué à réunir les domaines artistique et scientifique, de cette manière, le Pérou et la France. Il ne cessera de relater avec persévérance et originalité une société andine dont les usages et les traditions se perpétuent dans le temps.

Poursuivons le projet de Juan Manuel avec humanité et  sensibilité !

 

Juan Manuel Cardenas-Castro. Sans titre (ca 1960), huile sur toile, 60 x 100 cm

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