Le point sur 40 ans de création
Exposition à la galerie Actualités,
15, rue Gay-Lussac, Paris 5e.
Du 22 novembre au 23 décembre 2022.
Du mardi au samedi, de 14h à 19h.
Compte-rendu essentiel, par Alain Cardenas-Castro et Christophe Comentale
Jean-Marc Scanreigh dérange, heureusement pour nous ! Sa polychromie éclatée, obsessionnelle, truculente fait a priori la part des choses entre vide et plein.
Comme l’écrivait Christophe Comentale dans un article destiné à la revue AML en septembre 2006,
« une formation sans lien a priori vers une carrière originale ou durable, voilà pourquoi depuis plus de trente ans, Jean-Marc Scanreigh poursuit avec un appétit et une soif insatiables un œuvre centré avec autant d’attention sur les dessins, les livres d’artiste que sur les huiles et estampes. Cet ensemble fourmillant est l’un des résultats tangibles de l’attention portée à tout ce qui va devenir réel : son réel ! ».
Revenons au lieu de ce panorama de quelque 40 ans d’activité créatrice, la librairie-galerie est dirigée par un érudit du livre et de l’image, qui, depuis sa création en 2004, propose une sélection d’oeuvres, livres et documents autour de la période contemporaine, de ses courants artistiques, littéraires, avant-gardes ou cultures populaires. Daniel Azoulay, outre son activité de libraire-galeriste, publie deux catalogues par an, dans lesquels sont présentés livres illustrés, éditions originales, archives d’artistes, d’éditeurs ou d’écrivains, mais aussi peintures, dessins, photographies, disques ou autres documents sonores.
Pour cette évocation de quelque 40 années d’une création étonnante par sa qualité, sa densité et ce besoin de donner vie à des séries, de toutes sortes, le libraire-galeriste a réuni en concertation avec l’artiste un ensemble de pièces : oeuvres uniques, des tondi [Naulo, 2009, Ø 90 cm, huile sur toile, …], des formats rectangulaires [J’ai trouvé la solution, 2010, technique mixte avec collage sur bois, 30 x 40 cm] ou carrés, voire irréguliers, selon les supports utilisés, à l’huile ou à l’acrylique, des techniques mixtes et collages ; une sélection de dessins et peintures sur ardoise.
Des livres et manuscrits continuent d’étonner par leurs dimensions, une manière extrêmement forte de prendre possession de toutes les pages qui constituent un support donné, ainsi en va-t-il de cette reliure à ficelle chinoise destinée aux marques de sceaux et devenue galerie de portraits…
Pour ce qui a trait aux dessins, Christophe Comentale expliquait également, dans ce même article destiné à la revue AML que « les œuvres les plus anciennes de Jean-Marc Scanreigh sont des dessins, des œuvres isolées, des séries, des œuvres en carnets. Il commence alors à faire ses gammes, est influencé par l’abstraction allant d’une polychromie sage à des variantes un peu déraisonnables déjà puisqu’elles se jouent des équilibres de couleurs classiques ».
Le plaisir de la récupération est aussi une évidence pour ce magicien :
« Pour dessiner – commentait-il, en prévision de ce même article, – je me fournis en vieux recueils dans les librairies anciennes et chez les bouquinistes. J’ai deux bonnes adresses dans le Vieux-Lyon auprès des librairies Hérodote et Diogène. J’y trouve des livres de comptes, des recueils de poésies manuscrites ou bien de recettes de cuisine personnelles. Ces ouvrages laissent en général assez de blanc pour recevoir mes dessins. Même si je ne dénigre pas les imprimés, ma prédilection va aux manuscrits. L’osmose entre écriture et dessin se fera naturellement. Toutes les circonvolutions de la plume que contiennent ces écritures appliquées sont propices à la naissance des délinéaments et des rêveries du dessinateur. Ma dernière trouvaille est un livre de comptes de douze kilogrammes datant du début du 20e siècle, un grand format de 50 cm sur 36 cm et ne comptant pas moins de 810 pages. Le livre a appartenu à la Société de Vidanges La Lyonnaise. Pour être plus précis, il s’agit de l’entretien des fosses sceptiques. Je m’attends à y passer plus d’une année pour venir à bout du monstre. Les trouvailles[1] sont souvent plus modestes comme ce Choix gradué de 50 sortes d’écriture début du 20e, 124 pages presque un format de poche de 21 x 14 cm, un objet facilement transportable ».
Ces quelques évocations pour rappeler le dynamisme constant de ce créateur heureusement et constamment sollicité par les divinités de la création qui lui insufflent ces images, ces pensés polychromes ou parfois autant, monochromes tendant vers des tons autres…
Le lieu se prête volontiers à cette atmosphère de cabinet de curiosités contemporain !
[1] JM Scanreigh décrit avec saveur d’autres exemples de livres récupérés pour devenir des supports à sa création : un journal de Vente de 1828, 190 pages format 40 x 24 cm avec ses pages numérotées au pochoir, un cahier d’exercice au propres (sic) datant sans doute du XIXe siècle, format 28 x 20 cm, et saturé d’une écriture fine à l’orthographe assez approximative pour des exercices obscurs dont on a un peu de mal à saisir le sens. Scanreigh sans remords comble ses 124 pages de ses propres exercices dessinés, un bloc vierge de la Papeterie Jules Weill, à Paris, 25 rue Bergère. 68 pages, format 26 x 21 cm, papier à petits carreaux. Le support suffit à donner aux dessins un aspect qu’ils n’auraient pas sans lui, un Développement de l’enseignement secondaire de l’agriculture, format 32 x 22 cm, 300 pages, étude spécialisée difficile à dater, sans doute début XXe siècle. Une plume fine, soignée, experte, à jamais ruinée par des dessins intempestifs au pinceau et à l’encre de chine.
Bibliographie circonstanciée
- Jean Binder, Une vie en images, Chalon-sur-Saône : Art image, 2022, 284 p. : ill.
- Scanreigh, une édition courante remise au visiteur, de cet accordéon à 12 plis, et, pour le collectionneur, 12 exemplaires numérotés et signés par l’artiste, accompagnés d’un dessin original.
- Christophe Comentale, Jean-Marc Scanreigh, un artiste multiple, in Art & Métiers du Livre, 2007 (258).