Les coquelicots noirs ou « Lines written », livre d’artiste de Motoko Tachikawa

par Christophe Comentale

Lines written, texte de Philip Parfitt, interventions de Motoko Tachikawa. Paris : chez l’autrice, 2022. Carnet-accordéon à 14 plis. Couverture originale en lavis de la plasticienne, impression sérigraphique pour les pages intérieures. 30 ex. num. & signés.

Lines written, texte de Philip Parfitt, interventions de Motoko Tachikawa. Page de couverture.

Botaniste en constante transition entre réel et fiction, celle de ces végétaux qui deviennent des gestes et ébauches calligraphiques, Motoko Tachikawa a livré depuis plusieurs décennies une série de carnets-accordéons constituant une flore unique, celle qui rassemble les envies et parcours de cette femme peintre, graveuse et performeuse.

Elle transmet sa passion pour une nature particulière, en particulier pour les herbes sauvages, ce qui renvoie à cette calligraphie d’herbe ou herbeuse si importante dans l’Asie sinisée au fil des parcours des lettrés, calligraphes et créateurs d’avant-garde. Et également des plasticiens occidentaux attirés par le mouvement, la gestuelle, éléments constitutifs de leur propos et de leur parcours.

Ainsi, au fil de ces présences d’herbes dites, à tort ou à raison mauvaises, sont apparus des coquelicots noirs, accompagnés d’un texte du musicien et poète, Philip Parfitt, également le fondateur/guitariste/chanteur et le principal auteur-compositeur des groupes anglais The Varicose Veins, The Architects Of Disaster, Orange Disaster, The Perfect Disaster, Psychotropic Vibration, Oedipussy et Littleweed. Actif du début des années 80 au milieu des années 90, il a vécu et travaillé dans la région de Brighton / Hove dans le Sussex, en Angleterre.‎ Il a quitté le Sussex pour aller vivre dans un vieux moulin en France, et n’a jamais cessé d’écrire.

C’est sur la musique et les paroles de ce créateur que Motoko Tachikawa a peint à l’encre traitée en lavis de nombreuses compositions des variations nombreuses, sur des formats différents, « sur des papiers japonais qui ne boivent pas l’eau » précise-t-elle, mais cette tenue du papier permet de donner cours à des zones où les vides et les pleins sont devenus des espaces complémentaires et plein équilibre.

Ci-dessus. Deux double-pages de Lines written, texte de Philip Parfitt, interventions de Motoko Tachikawa.


Comme elle le reconnaît en parlant de son œuvre, Motoko Tachikawa n’est guère impliquée à aller vers la polychromie, prenant davantage ses marques d’une couleur à l’autre ou au sein d’une seule.

Si le thème des coquelicots rouges a fait l’objet d’une autre création, renvoyant de nouveau aux mauvaises herbes, auxquelles se rattache cette fleur des champs au port léger et quasiment instable car éphémère, au point de se déchirer lors de vents forts ou de mouvements impétueux. De ces exercices calligraphiques réalisés sur des feuilles de 100 sur 70 cm ou 30 sur 40, un florilège a donné naissance à Lines written qui est une sorte d’élégie sur la mort, celle en particulier du sentiment disparu, douce, progressive dans ce néant qui vient. Il n’empêche que les impressions à l’écoute de cette composition musicale ou poétique se retrouvent au fil de cet accordéon, œuvre en longueur, à l’aune d’un rouleau horizontal. C’est ensuite seulement que naît le carnet-accordéon (ill.) proprement dit, reprise et synthèse de ces éléments graphiques alliant trait, point, tache éclatée …

De rouge, blessure, souvenir, le regard est passé au noir, « couleur » prisée des lettrés et artistes contemporains et, aussi, mauvaise herbe omniprésente et rythme de vie. A la mélancolie du propos du musicien répondent les rythmes libres et antithétiques des formes, des interventions de cette artiste imprévisible.

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