par Alain Cardenas-Castro et Christophe Comentale
Disparu en 2018, ce créateur prolixe a fixé ses œuvres, le trait, les mots, sur des supports presque éphémères tels que des enveloppes, des chutes de bois, … Sa dernière ville d’accueil, Avignon, a d’ores et déjà décidé d’accepter la donation proposée par sa famille. Quelque cinq cents œuvres… Amoureux des polychromies qui donnent à ses compositions le raffinement des grotesques renaissants (ill 1), il sait tout autant jouer des contrastes avec la découverte récente d’une série de portraits en noir (ill. 2 à 7 ) nés des contrastes entre ombre et lumière.
Talentueux, Taillandier (1926, Paris-2018, Avignon), l’était, parfois un talent envahissant : être critique autant que créateur, pourquoi pas ! Cela confine quand même à une permanence en tous lieux : les rédactions où officient les équipes de presse, Le goût d’une polychromie exaltée, d’un espace toujours infini. Être critique quand on est créateur, c’est toujours porter un jugement sur la création d’autrui …. Pas facile, car l’objectivité, si tant est qu’elle soit appréhendable, est relativisée par une comparaison de facto, entre deux styles : celui de l’artiste, celui du critique-artiste et celui du confrère ou de la consœur au centre de l’attention de l’artiste aussi rédacteur, donc ! Collaborateur à Connaissance des arts de 1954 à 1969, à XXe siècle, deux des supports de presse auxquels il a collaboré. Yvon Taillandier journaliste cède ici la place au peintre. En fait au dessinateur. Dès les années 1940, ses portraits dessinés sont remarqués et lui ouvrent la voie à la notoriété, l’introduisent dans le monde des gestionnaires de galeries et d’événements. Parmi ses protecteurs, Henriette et Jean Couty (1907-1991), le premier est architecte, les deux sont peintres, ils présentent Yvon Taillandier à son futur marchand, Renaud Icard (1886-1971), lui-même écrivain et galeriste.
Il réalise un Autoportrait à l’encre de Chine en 1945, la structure forte de l’œuvre traduit un positionnement ferme face au monde auquel il se présente. Très à l’aise en tous lieux, il cultive les relations sociales et mondaines avec brio, qualité non négligeable pour un portraitiste dont les qualités d’observation sont au centre de son travail.






Ci-dessus. Yvon Taillandier. Série de 6 portraits (1942), encre sur papier, 22 x 17 cm
La série de 6 portraits réalisés à l’encre en 1942, comme cela est indiqué sur chaque œuvre, sont de petites dimensions, 22 cm sur 17. Des amis ainsi croqués émane une puissance du regard, une expression qui les renvoie à des études poussées en vue de réaliser d’autres œuvres plus importantes. On ne peut cependant pas oublier, face à cette démonstration brillante sur les passions humaines que ce créateur aux mille facettes est un joueur, un joueur invétéré qui veut se montrer partout, sans hésitation, apporter, comme il le dit dans ses écrits « Mes tableaux se veulent des chants joyeux, voire des hymnes à la joie ». Ici, indiscutablement, la joie d’observer ses semblables et de les faire vivre, réfléchir, s’inquiéter, attendre, …cette joie de l’entomologiste triomphant, elle induit la curiosité de l’amateur qui les découvre, du collectionneur qui veut les posséder, de l’étudiant qui veut capter ce trait de vie chez les modèles. Et, plus simplement, l’intérêt d’un instant, établir un dialogue avec ce monde des images rares…
Une toute dernière observation : Yvon Taillandier appartient-il à la figuration libre ? A l’art brut ? A l’art singulier ? Un peu à tout cela à la fois. Et aussi à l’art pour l’art, une façon de se sentir hors de toute contrainte.