ROBERT BRAUD, LE THEME DU NU FEMININ, DES ANNEES 30 AUX ANNEES 50

par Christophe Comentale

Des Vénus paléolithiques au 20e siècle, voire aux premières décennies du 21e siècle, le thème de la femme, sublimée ou mystifiée, sacralisée ou dévoyée, a beaucoup sollicité l’inspiration et l’imaginaire des artistes. Les différentes périodes historiques ont, selon des approches et des codes différents, tout autant traité de la beauté et du corps de la femme. La découverte récente d’un lot d’une dizaine de dessins de Robert Braud relance l’actualité de ces descriptions raffinées ou sensuelles, si fréquentes, des années 30 aux années 50, en France et dans tant d’états voisins ou lointains.


Ci-dessus. (ill. 1) Robert Braud. Nu au palmier, couleurs en lavis, 24 x 32 cm ; (ill. 2) Robert Braud. Nu au parasol, couleurs en lavis, 24 x 32 cm


Les données biographiques relatives à Robert Braud sont très rares, des dessins de lui apparaissent de temps à autre sur le marché par le biais des successions ou au fil des ventes publiques. Excellent technicien, non dépourvu d’humour, il allie la pratique d’un dessin rapide, d’un tracé affirmé autant qu’il sait être un illustrateur fécond. Certaines pièces font appel à des éléments de culture antique, renaissante, mettant en valeur des nus féminins qui exhibent la présence forte d’un corps impérieux, un corps faisant sombrer dans l’anecdotique les accessoires qui accompagnent la venue de ces beautés

Curieux de tout, de l’art qui a forgé l’histoire de la diversité, des éléments qui en font la richesse, Robert Braud est sensible à ces éléments, objets familiers, hétéroclites ou mystérieux des peintres qui enrichissent la puissance d’une œuvre. Ses différentes œuvres en sont l’illustration, qu’il peigne un animal familier ou un accessoire qui est censé donner un signe d’appartenance à une classe sociale (palmier (ill. 1), parasol (ill. 2), …).

Le dix-neuvième siècle entre interdits et pornographie

Après des jeux de cache-cache qui n’ont cessé au fil des siècles, c’est aux peintres impressionnistes que revient le mérite d’avoir revisité le nu : bords et contours du corps sont jugés moins fondamentaux que les couleurs, le geste du pinceau donne alors une force et une vitalité uniques aux corps. C’est ce qui vaut, au sein de cette peinture, des nus entachés de scandale, à la vue de ces femmes ordinaires, généralement dans leur plus simple appareil. Les scènes les plus incroyables permettent aux artistes impressionnistes de s’attaquer au rendu du nu. Parmi ces représentations, en 1863, avec ses deux tableaux, Olympia et Déjeuner sur l’herbe, Edouard Manet se détourne radicalement des normes académiques de l’époque pour plonger dans une approche plus moderniste et se voulant le reflet d’une autre réalité, celle de son époque : Olympia, une prostituée, a remplacé la déesse mythologique ou la nymphe, présentes si fréquemment sur les murs des salons et autres lieux de retrouvailles. De même que sous l’Ancien Régime, il est fait appel à la mythologie gréco-latine pour faire accepter des sujets scabreux, au milieu du 20ème siècle, le nu n’est admissible que s’il est situé dans un espace exotique ou mythologique. Le peintre représente alors une femme nue fortement individualisée et provocante. Sa façon directe de fixer le spectateur tout en donnant à sa présence une expression d’indifférence, d’immoralité qui font scandale. Dans les peintures académiques, les figures féminines nues sont « surprises », ont le regard fuyant, comme si on les surprenait dans leur intimité. Elles ne se montrent pas volontairement nues. Olympia contredit cette idée. 

L’œuvre d’Edgar Degas n’échappe pas à cette approche. C’est avec le nu, son thème de prédilection, qu’il innove le plus. Ce technicien hors pair traduit avec des techniques différentes ces nus exécutés avec le dessin, la peinture à l’huile mais surtout le pastel, un matériau apprécié pour sa rapidité d’exécution et ses possibilités de reprises, l’artiste peut opérer des retours sur l’œuvre sans que le pastel ne sèche. Toutes les intimités sont possibles, comme il en va dans le Tub (1886), l’indiscrétion de l’artiste est tolérée par une perfection technique et une fantaisie très égoïste. Robert Braud n’a pas oublié la leçon de ce maître.


Ci-dessus. (ill. 3) Man Ray, Retour de raison, 1938, photo ; (ill. 4) Kees Van Dongen, Le châle espagnol (1913), huile sur toile, 195,5 x 130,5 cm, coll. Centre Pompidou

La destruction décalée du corps

Avec Paul Cézanne (1839-1906), les baigneuses calmes peintes par l’artiste offrent une vision torturée sur les femmes, un corps souvent robuste, un ventre et des seins opulents, des traits parfois masculins. Une représentation due au décalage entre la perfection du dessin mais un manque quant à une exécution sans que le modèle ait posé nu face à l’artiste. Il n’empêche que ses baigneuses calmes, avec, notamment, le tableau des Baigneuses, Cézanne veut inventer son propre système de représentation en déconstruire le sujet et en supprimant tout élément narratif et descriptif pour le reconstruire en simplifiant les formes à l’extrême, ouvrant la voie à l’abstraction. Cette volonté de refaire le monde, un monde unique et dans lequel l’artiste est maître du jeu, on la retrouve chez d’autres tempéraments forts comme le sont ceux de Picasso (1881-1973), de Moïse Kisling (1891-1953), de Man Ray (ill. 3), de Jules Pascin (1885-1930) (ill. 5), de Kees Van Dongen (1877-1968) (ill 4), de Suzanne Valadon (1865-1938), …

(ill. 5) Jules Pascin, L’enfant prodigue chez les filles (1920), huile sur toile, 83 x 96,5

Ces déconstructions-reconstructions sont aussi fortes dans les œuvres produites par les artistes qui ont adhéré à l’esthétique de l’expressionnisme allemand, tendance qui a vu la création de nombreux nus. Ami de Gustav Klimt, Egon Schiele était un peintre expressionniste majeur, le plus sulfureux du début du 20e siècle. En effet, son travail est marqué par une sexualité intense, heurtant de plein fouet les tenants du classicisme et les conventions bourgeoises de l’époque. Les formes tordues du corps et les lignes expressives définissent son style très singulier.


Ci-dessus. (ill. 6) Robert Braud. Harem égyptien, couleurs en lavis, 24 x 32 cm ; (ill. 7) Robert Braud. L’écuyère, couleurs en lavis, 24 x 32 cm



Ci-dessus. (ill. 8) Robert Braud. Le renouveau, couleurs en lavis, 24 x 32 cm ; (ill. 9) Robert Braud. Nu au hamac, couleurs en lavis, 24 x 32 cm


Les œuvres de Robert Braud s’inspirent autant d’artistes très divers que cet artiste talentueux sait rester dans des limites et un contexte qui demeure le sien : les femmes qui naissent sous son pinceau ou son crayon sont autant des objets sexuels – comme Harem égyptien – (ill. 6) qu’elles apparaissent à l’égal de modèles entre sagesse – L’écuyère – (ill. 7), naïveté et attentisme – Nu au chat (ill. 10), Nu au hamac (ill. 9), comme cela se voit dans Renouveau (ill. 8), une œuvre qui marque la transition entre ces périodes durant lesquelles se succèdent les tendances dites art déco, art géométrique, …

(ill. 10) Robert Braud, Nu au chat, couleurs en lavis, 24 x 32 cm

Robert Braud, adepte de séries qui reflètent le goût d’une époque de curiosité pour des expériences multiples dans la création est aussi assez bien le reflet des artistes qui ont fait la célébrité du Livre de demain, une série de romans et de nouvelles illustrés créée par les éditions Fayard et à laquelle des dizaines d‘artistes ont collaboré des années 1923 à 1947, notamment Foujita, Jean Lebedeff, Morin-Jean, qui ont illustré Cocteau, Colette, Pierre Louÿs, …Cette première découverte d’une série d’œuvres de Robert Braud permet assez simplement de voir que, sans cesse, l’histoire de l’art se renouvelle et ne peut pas être soumise à une histoire formatée et rassurante. Comme la création, elle varie au gré des imaginaires et des talents ainsi perçus dans ce florilège de noms et de tendances.

Eléments bibliographiques

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