L’enfant chevauchant une grue

Regard sur une pièce ethnologique ?

Religieuse ?

Rituelle ?


Ebauche de réflexion sur le statut des arts premiers asiatiques

par Christophe Comentale


 

« Les origines du taoïsme se situent dans la Chine antique et doivent correspondre à une époque où la philosophie avait fait son apparition, et où la nature de l’homme et le sens de sa vie faisaient l’objet d’une interrogation générale. Les premiers penseurs, Confucius (né en 551 avant J.-C.) et Mo Ti (Ve siècle avant J.-C.), connaissent la morale, mais pas le destin indivi­duel et la liberté. La religion noble, celle de la classe féodale, ne considère l’homme que dans son rôle social, déterminé par les rites. Tout l’ordre féodal s’y exprime. Cet ordre ne semble avoir prévu de vie outre-tombe que pour les nobles : les grands ancê­tres. Le commun des mortels, lui, va aux Sources Jaunes, le cloaque souterrain, car les rites ne descendent pas jusqu’au peuple » (Kristofer Schipper, Le corps taoïste).

Fort de cette mise au point claire et peut-être pas si nette, on se sent quand même prêt à regarder ces statuettes parfois simples, mais parfois d’une lecture quelque peu gênée, justement, par cette transparence qui n’en est pas vraiment une. La familiarité des images, sur papier, en relief, quels que puissent en être les supports, impliquent toutes un regard progressif et toujours en éveil face à des êtres qui peuvent être semblables ou, au contraire, si différents les uns des autres.

Pièces ethnologiques et ventes

Lors d’une visite à une présentation de pièces chinoises diverses, était annoncée par voie d’affiche une vente à venir de pièces taoïstes voilà quelques années – en avril 2015 -. En consultant une liste en ligne, j’ai eu la surprise de découvrir un fonds d’environ deux cents pièces patiemment réunies par un amateur épris de ces formes et sujets mystérieux. L’amateur ayant quitté ce monde, son environnement familial a tôt fait de mettre à la vente ces objets sans signification précise. Le phénomène est relativement régulier : les collections de ce type sont rarement le centre d’intérêt du plus grand nombre. (voir les 2 photos ci-dessus).

Contrairement aux arts d’Afrique qui ont eu, en raison de l’Histoire, l’honneur des musées occidentaux, l’Asie sinisée, qui a su passer à travers un processus de colonisation globale, n’a pas pu faire l’objet de constitution de fonds spécifiques, si ce n’est le fonds de manuscrits et gravures sur bois découvert à Dunhuang dans la province du Gansu, au début du XXe s. le sujet revient périodiquement pour nourrir des dissenssions Est-Ouest. Et, de plus, la sinologie occidentale étant en très net repli – là encore pour des raisons socio-économiques – il ne semble pas que la situation de sauvegarde de ces pièces à caractère religieux syncrétique s’améliore. Par ailleurs, la partie chinoise n’est pas extrêmement sensible à la préservation des pièces populaires. Le somptuaire reflétant davantage ce qui est jugé digne de rester dans la mémoire collective.

Le ministère de la culture et la direction du patrimoine de Chine savent qu’il y a, potentiellement, des fonds importants de pièces à caractère populaire, rituel, religieux, mais les études poussées sur le sujet ne sont pas légions. L’apparition de musées et fondations privés depuis 2001 a permis de mettre au jour des ensembles intéressants inégalement étudiés mais connus et évoqués lors de réunions patrimoniales importantes : celles, annuelles, du musée DaTang xishi (Xi’an), collections Yin Shaoting au musée des minorités du Guizhou ou encore les fonds rassemblés par Feng Jicai au sein de l’université de Tianjin. Des chercheurs occidentaux continuent leurs investigations au fil des découvertes, des collaborations : Patrice Fava, Alain Arrault, Michela Bussotti,…

Il n’empêche que le moment semble venu, face à une volonté politique de restituer des fonds africains à différents pays, de réfléchir à la notion d’arts premiers asiatiques.

Des arts premiers asiatiques

Une première tentative de regrouper toutes les formes d’arts non occidentaux a été assez concrètement réalisée lorsque Jacques Kerchache avec le soutien des autorités politiques françaises a pu présenter un florilège tout à fait inégal regroupant en fait un important fonds de pièces africaines tirées des collections du Muséum national d’Histoire naturelle et du musée des arts africains et océaniens, institutions créées dans le contexte des valorisations économiques du pays au sein de ses colonies ; y figurent assez maladroitement quelques pièces asiatiques, en l’occurrence taiwanaises. Il aurait été stratégiquement plus cohérent de revaloriser les pièces vietnamiennes entrées dans les musées français… Fait du prince et prolongements mercantiles ont orchestré cet épisode que la presse n’a alors cessé de relayer.

Il n’empêche qu’avec la mise en place d’un musée ouvert à toutes les manifestations possibles, la notion de patrimoine a bien changé, en silence, dans le calme stratégique des cabinets de gestionnaires administratifs qui font et défont à l’envi les concepts de patrimoine. Ils sont en retard sur la Chine qui a créé récemment un ministère de la Culture désormais un ministère du Tourisme et de l’Administration nationale du tourisme de Chine. Les choses sont, implicitement quasiment les mêmes en Occident au niveau des liens qui retiennent ces deux institutions, le pas n’est pas encore franchi…

L’enfant chevauchant une grue

L’iconographie chinoise accorde une place importante à la grue : lorsqu’elle passe dans le ciel, il convient toujours de jeter un regard afin de voir si un immortel ne la chevauche pas ! Ils sont plusieurs à avoir adopté cette monture extraordinaire : outre Laozi, le Maître du Pin rouge 赤松子, maître de la Pluie, le troisième est le musicien Wangzi Qiao, ermite qui vivait parmi les grues qui, par groupes de huit, se mettent à danser. On ne peut oublier Lu Ban鲁班, le divin charpentier et le Dieu de la Longévité 壽老爷, ce dernier fait partie de la triade taoïste du bonheur, de la prospérité et de la longévité. Quant au garçonnet, le garçonnet d’or 金童qui est repris sur l’iconographie traditionnelle, il est le serviteur d’un de ces immortels (Fava, 394 sq.).

Gardons-lui tout son mystère : modeste par l’âge et la position de serviteur au sein du panthéon taoïste, il a une présence forte sur cette pièce populaire qui marque une symbiose entre le personnage et l’oiseau.

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Renvois bibliographiques

  • Patrick Arrault et Michela Bussotti, Statuettes religieuses et certificats de consécration en Chine du Sud (XVIIe-XXe s.) In : Arts asiatiques, 2008, t. 63, pp. 36-80. Il existe une version en ligne.
  • Art africain spolié : l’heure du retour. In : Libération, n° 11657, 21 nov. 2018, pp. 1-5 : ill.
  • [Restitution d’œuvres d’art africain]. Art africain : la France coloniale au rapport In : Le Monde, 22 nov. 2018, pp. 16-17 : ill.
  • Ester Bianchi, Le taoïsme : fondements, courants, pratiques. Paris : Hazan, 2010. 335 p. : ill. (Guide des arts). Annexes : carte des principaux sites, musées, glossaire des termes chinois, index général, orientation bibliographique.
  • Lisa Bresner, Lao Tseu, roman. Arles : Actes sud, 2000. 315 p.
  • Bernard Dupaigne, Le scandale des arts premiers. La véritable histoire du musée du quai Branly, Paris, Mille et une nuits, juin 2006.
  • Patrice Fava, Aux Portes du ciel. La statuaire taoïste du Hunan : art et anthropologie de la Chine ; préf. de : Kristofer Schipper. Paris : les belles lettres, 2014, 656 p. : 150 ill. en cour. Index
  • Fusion du ministère de la Culture et de l’Administration nationale du tourisme de Chine In : Chine sur Seine, déc. 2018, pp. 14-17 : ill. en coul.
  • Jacques Kerchache, Portraits croisés, collectif, Paris : Gallimard / musée du Quai Branly, 2003
  • Ngo van Xuyet, Divination, magie et politique dans la Chine ancienne. Paris : P.U.F., 1976. 261 p. : ill. (BEHEC, sciences religieuses, vol. XXXVIII). Index. Bibliog., pp. 229-261.
  • Kristofer Schipper, Le corps taoïste : corps civil, corps social. Paris : Fayard, 1994. 339 p. : ill. Bibliog. pp. 319-323. Index, pp. 324-334.
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