Christophe Comentale et SUN Chengan
Compte-rendu de visite matinale.
Du 13 au 16 novembre 2025, la Maison de l’Amérique latine accueille MIRA [joli titre qui peut également signifier Regarde !], une manifestation unique pour la promotion de l’art dans l’Amérique latine, — en théorie entre vingt et plus de trente pays actuels selon les définitions existantes.
2025年11月13日至16日,美洲拉丁之家将举办MIRA [漂亮的标题也可以理解为“看!”],这是一个独特的活动,旨在促进拉丁美洲的艺术——理论上涵盖二十个到三十多个现有定义的国家。
Del 13 al 16 de noviembre de 2025, la Maison de l’Amérique latine acoge MIRA, un evento único para la promoción del arte en América Latina, – en teoría entre veinte y más de treinta países actuales según las definiciones existentes.
De 13 a 16 de novembro de 2025, a Maison de l’Amérique latine (Casa da América Latina) acolhe o MIRA [um belo título que também pode significar Olha!], um evento único para a promoção da arte na América Latina, que, em teoria, abrange entre vinte e mais de trinta países atuais, de acordo com as definições existentes.
From November 13 to 16, 2025, the Maison de l’Amérique latine will host MIRA [a nice title that can also mean Look!], a unique event promoting art in Latin America – theoretically covering between twenty and over thirty current countries according to existing definitions.
Vingt-trois exposants sont présents sur 5 niveaux : des galeries confirmées ou jeunes et aussi deux éditeurs. Des galeries venues du Pérou (Revolver Galeria, Younique), du Brésil (Galeria da Gavea), du Mexique (Guadalajara90210), de l’Espagne (Galerie Eva Albarran & Christian Bourdais, Galeria Leyendecker), ou parisiennes (Loeve&co, 193 Gallery, Galerie Eric Dupont, …) pour n’en citer que quelques-unes, vues et visitées au fil d’un parcours qui permet de passer en revue les tendances les plus diverses de l’art moderne et contemporain, bien représentées dans cette vaste région. Un catalogue fait le point sur les présents.
L’enthousiasme des organisateurs comme le dynamisme des galeristes ajoutent au plaisir de la visite de ce musée éphémère. Au rez-de-chaussée du bâtiment, une citation attire le regard, rappelant ainsi que « Sigmund Freud a hanté ces lieux du temps (1885-1886) où il était boursier étranger auprès de Jean-Martin Charcot, fondateur de la neurologie moderne et alors propriétaire du 217 boulevard Saint-Germain, fréquenté par les artistes, écrivains, scientifiques et politiques de l’époque. De l’Hôtel du Brésil où il résidait, Freud se rendait à la maison de Charcot devenue Maison de l’Amérique latine » …. L’institution occupe deux hôtels particuliers, l’hôtel de Varengeville construit en 1704 par Jacques V. Gabriel et l’hôtel Amelot de Gournay, bâti en 1712 par Germain Boffrand, deux hôtels particuliers initialement achetés par l’État pour abriter la Banque de l’Algérie et transférés depuis le démantèlement de celle-ci, en 1963, à la Banque de France.



Ci-dessus, de gauche à droite. Sur le stand de la galerie Younique les œuvres de Gabriel Moraes Aquino ; Alain Cardenas-Castro ; Javier Silva Meinel
QUELQUES RETROSPECTIVES NOTABLES
Deux façons se complètent agréablement pour présenter un patrimoine si riche et reflet subtil de tant de sensibilités linguistiques, culturelles et ethniques : certaines galeries ont jugé opportun de donner leur chance à davantage d’artistes en présentant les œuvres de créateurs multiples, d’autres ont préféré une exposition de type rétrospectif consacrée à un artiste.
Sur le stand de la galerie Younique, des œuvres très diverses reflétant le goût et la volonté de Mathias Bloch de mettre en contexte peinture, photographie, sculpture, installation et vidéo, d’œuvres uniques. Gabriel Morales Aquino, voisine avec les photos de Javier Silva Meinel, un acrylique de Cristina Ghetti ; sont également rassemblées trois œuvres d’Alain Cardenas-Castro. Cet ensemble éclectique est une excellente synthèse de la disparité active de ces images qui disent ce monde en perpétuel et fourmillant changement en dépit des parcours individuels des créateurs que cette galerie fait connaître entre Paris et Lima…


Ci-dessus. Sculptures de Leonora Carrington sur le stand de la galerie Durazzo
▪ LEONORA CARRINGTON. BRONZES
La galerie Raphaël Durazzo (Paris) a réuni un ensemble de sculptures en bronze à la cire perdue de Leonora Carrington (1917-2011), peintre surréaliste et romancière mexicaine dont le florilège de sculptures rassemblées rappelle cette sensibilité surréaliste mais aussi influencée par une nature luxuriante et peuplée d’esprits. Comme aime à le rappeler Virginia Tentindo (Buenos Aires, 1931), « Leonora Carrington a rythmé la sensibilité et rendus compulsifs les imaginaires des jeunes artistes qui retrouvaient en elle et à travers ses œuvres des mondes qu’ils sentaient nécessaires et obsessionnels. Ces obsessions, elles éclataient, suintaient selon les pièces qui apparaissaient presque mystérieusement » (Ch. Comentale, Carnets inédits, Paris, 1990).


Ci-dessus. Alfonso Margarito Garcia Tellez, Tratamiento de la Ofranda (1978), carnet-accordéon, texte et figurines sur papier d’amate.
▪▪ ALFONSO GARCIA TELLEZ
La galerie Loeve& co propose depuis 2019 une réinterprétation de l’histoire de l’art contemporain. Une façon étonnante de revoir les liens de plus en plus notables qui étreignent art contemporain, ethnologie et arts dits premiers, en fait, les percées dans l’art des ethnies ou groupes humains et sociaux pour rester dans ces quelques notations générales. Le goût exquis des œuvres proposées n’exclue ni la rareté des supports, ni les complexités essentielles de la polychromie.
Invité majeur de Stéphane Corréard, Alfonso Margarito García Téllez (Mexique, 1934) est un chamane otomí, né à San Pablito, sur le flanc du mont Guajalote, dans la Sierra Norte de Puebla, au centre-est du Mexique. « Il est issu d’une lignée de guérisseurs-artistes, dont chaque membre a enrichi la pratique traditionnelle des figurines de papier : son grand-père Carmen fut à l’origine de leur baroquisation, tandis que son père Santos les a rendues plus variées et plus sophistiquées, devenant l’un des guérisseurs les plus prestigieux de la région ». Quant au support utilisé pour les œuvres, il s’agit du papier d’amate, produit à partir du moral et du xalamatl, un héritage préhispanique, réservé à la confection de figurines rituelles utilisées dans les pratiques de sorcellerie, pour susciter la guérison et lors de cérémonies propitiatoires. Ces effigies, appelées muñecos ou idoles, incarnent temporairement des entités surnaturelles. Leur usage varie : à visée maléfique (ensorcellement), thérapeutique (guérison des maux), ou lors de sacrifices et d’offrandes sanglants aux divinités comme Moctezuma. Sous l’influence d’ethnologues et du marché de l’artisanat mexicain des années 1970, García Téllez a entrepris de fixer et de révéler certains rituels dans des livres.
De 1975 à 1981, il a ainsi conçu une série de quatre ouvrages en papier amate. Chacun mêle textes manuscrits en espagnol et miniatures de figurines rituelles découpées, collées sur les pages comme des glyphes. La forme du carnet-accordéon [ou leporello] rappelle les anciens códices mésoaméricains. García Téllez y détaille les cérémonies, les offrandes, les esprits et les forces de la nature qu’il invoque. Ces livres sont à la fois objets rituels, œuvres plastiques et documents ethnographiques, à mi-chemin entre tradition chamanique et création artistique contemporaine. Leur présence montre un écart ambigu entre pratiques religieuses et besoin de spiritualité dans l’art contemporain qui, sans vraiment le vouloir, parvient parfois à une immatérialité surprenante….
Ces quatre « manuscrits à collages » sont consacrés — par ordre chronologique — à la curación de los antepasados (la guérison des ancêtres), ofrenda para pedir la lluvia les (offrandes pour demander la pluie), casa que necesita ofrenda al Santo Tecuil (l’habitation nécessitant une offrande au Saint Foyer), et au símbolo del águila (le symbole de l’aigle).
Quant à la justification de cette édition, l’éditeur la présente ainsi « Chaque livre est signé, affirmant l’individualité de son auteur (rare dans une culture collective) en même temps que la persistance du geste communautaire (la famille participe à la fabrication du papier, à la copie des textes et au découpage). Bien que chacun des quatre ouvrages ait été produit à quelques petites dizaines d’exemplaires, tous sont des pièces uniques, vivantes, variables, oscillant entre la fixité de l’écrit et la fluidité de l’oral ».


Ci-dessus, de gauche à droite. Alexis Peskine. Ère Ìbejì (2025), feuille d’or 24 carats sur clous martelés sur bois latté (fromager) teint au curcuma texturé de thym, menthe, lavande et solidago, 100 x190 cm ; Ilona (2025), clous et bois recouverts de vernis et de feuilles d’or 24 carats, diam. 100 cm.
▪▪▪ ALEXIS PESKINE – PORTRAITISTE
Alexis Peskine (Paris, 1979), un plasticien, portraitiste, créateur engagé. Un créateur flirtant entre un décorum suranné et oublié, des reliefs jouant à cache-cache avec les mouvances de la lumière.
Comme le rappelle Carine Biley, la directrice de la galerie suisse Filafriques, « cette présentation à Paris est un moment unique et éphémère car Ouro Verde entamera dès le 24 Novembre 2025 son grand voyage vers Genève, marquant la première exposition individuelle suisse de l’artiste ». Elle ajoute à propos de Ouro Verde [i. e. Or vert] « Ouro Verde n’est pas une simple collection : c’est un acte de mémoire, de guérison et de transcendance. Peskine s’attelle à sublimer la complexité de l’identité afro-descendante avec une technique unique au monde : des portraits charismatiques réalisés sur des pièces puissantes en bois teintes à l’aide de plantes suisses, transpercées de centaines de clous ornés de feuilles d’or ». Inspirées des Minkisi Nkondi du Congo — des sculptures utilisées pour protéger des énergies négatives — les œuvres d’Alexis Peskine sont des pièces rares incarnant la force, la persévérance et la protection spirituelle, tout en célébrant le lien unique entre les traditions ancestrales afro-brésiliennes et l’héritage suisse. Il n’empêche que ces variations insaisissables renvoient autant aux jeux impressionnistes qu’aux écrans sérigraphiques devenus des points de passage ou d’obstruction de la couleur.
Longue vie à cet adMIRAble foire d’art latino à Paris.

