MICHEL QUAREZ, DU NOIR A LA POLYCHROMIE

par Christophe Comentale, coordination éditoriale Alain Cardenas-Castro

Peintre, dessinateur et affichiste, Michel Quarez (Damas, 1938 – Saint-Denis, 2021) reçoit une formation à l’École des Beaux-Arts de Bordeaux puis obtient son diplôme de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs. En 1961, il complète sa formation auprès de l’affichiste Henryk Tomaszewski (Varsovie, 1914-2005) qui l’accueille dans son atelier aux Beaux-arts de Varsovie jusqu’en 1962. De retour en France, Quarez devient directeur artistique à l’agence SNIP, l’agence de publicité de Prouvost, Lainières de Roubaix, de 1964 à 1966. Ses œuvres sont désormais dans différents fonds institutionnels et privés.


Ci-dessus, de gauche à droite. Portrait mi-corps de Michel Quarez, coll. Rachid Senouci ; Michel Quarez, Autoportrait, palette graphique (ca 1983-1990).


Après des périples variés, Michel Quarez s’installe dans la ville de Saint-Denis où il vit et crée. C’est là qu’est resté son atelier. En hommage à sa ville, un remarquable Saint Denis (ill.3) peint en 1999, peut-être inspiré de la statue médiévale de ce saint, conservée au musée de la ville… L’œuvre est empreinte de sérieux malgré une façon bien personnelle de rendre un épisode tragique, celui de la décapitation, restitué avec une énergie polychrome quasi expressionniste.

Quelles sont les couleurs de Michel Quarez ? « Il emploie les pigments les plus forts et les plus chers »… lit-on dans le catalogue qui lui est consacré pour son exposition à la bibliothèque Forney. Ce qui se vérifie dans l’atelier de Saint Denis où sont encore conservées les boîtes de couleurs que l’artiste n’a pas utilisées… Lefranc et sa marque Flashe couleur mate opaque, Decocryl couleur jaune citron, « craint le gel » pour des couleur rouge ou jaune citron… Que l’on ne s’y trompe pas, ces couleurs fortes, puissantes induisent un sentiment de bien-être, voire de gaieté chez le spectateur qui les verra, une fois celles-ci devenues des éléments d’une œuvre. Ce n’est pas pour autant que les peintures et affiches ainsi produites traduisent un sentiment de joie intense chez l’artiste. Son engagement politique et social ayant montré la puissance de l’allusion, ou, tout à fait au contraire, l’impact de la formulation frontale (ill. 4 et 5).


Ci-dessus. (ill. 3) Michel Quarez. Saint Denis (1999), affiche, sérigraphie ; (ill. 4) Michel Quarez. Positif, affiche, éd. CRIPS ; (ill. 5) Michel Quarez. Chez les Jèses (2006), sérigraphie (ill. 6) Anonyme. L’ordre règne (1968) affiche, coll. Vatar


UN ACTIVISME OUVERT

Michel Quarez part pour New-York où il crée une bande dessinée intitulée Mode Love. À New York, il découvre le travail d’Andy Warhol et, de retour en France, participe au journal politique Action né en Mai 68, journal pour lequel il réalise quelques affiches traduisant les mots d’ordre et préoccupations de cette période. Cet engagement, il le partage alors intensément avec d’autres amis et artistes (ill.6). Son activité de créateur vaut une production d’affiches en constant développement dans les années 1970 pour des institutions et événements officiels multiples (ill. 7, 8, 9), collectivités locales (ill.7), Ministère de la Culture, Fête de l’Humanité, Fête de la musique, des campagnes anti-racistes. Après 9 mois passés à New York, en particulier dans l’arrondissement de Manhattan, il revient en 1967 à Paris. Il entreprend de dessiner La vie privée de Dyane, une BD créée pour Citroën.  En Mai 1968, parmi ses travaux, la réalisation d’une affiche à l’atelier populaire des Beaux-arts a fait date.

Dans les années 70, Quarez travaille presque exclusivement dans le domaine de l’illustration pour des revues diverses : Marie-Claire, l’Expansion, La Nouvelle Critique, Télérama (ill. 10) … et de la création d’affiches.

Il obtient en 1984, une bourse attribuée par le Ministère de la Culture pour l’élaboration d’images sur palette graphique. Entre 1988 et 1992, Quarez signe la conception d’une série d’affiches pour le Salon International de l’Architecture

(ill. 11) Michel Quarez, Democracy (2003), sérigraphie

Classer ce créateur dans un courant particulier est chose aussi peu aisée qu’inutile. Ses tableaux-affiches en sont la preuve concrète. Si l’on se penche sur ses confrères avec lesquels il y aurait des atomes crochus, outre une fascination pour l’esthétique de Savignac, d’autres présences sont fortes, tels Arroyo, Combas, Mosner, Di Rosa, Monory, Ségui, Klasen, Chambas, Pignon-Ernest, Djamel Tatah, Loustal et Warhol, des noms qu’il évoque volontiers. Des artistes avec lesquels il participe à différentes manifestations. De même, des artistes sérigraphes comme Olivier Allemane ont été sensibles à cette polychromie intense.

LES CAHIERS LEONARD

Au fil de sa carrière, placée sous des hasards heureux, en tout premier lieu le fait d’avoir été accepté par sa famille, présente pour le soutien financier des études, autant que boostée par des relations amicales et professionnelles, notamment acquises durant la formation technique que veut son père pour accompagner un cursus aux Beaux-arts, Michel Quarez sait naviguer dans le monde concurrentiel de la commande d’œuvre et de création. Il sait tout autant être disponible pour des manifestations diverses. L’appui de sa commune et l’engagement social facilitent encore une insertion qui fait de cet affichiste un artiste à part entière. Sa maîtrise des applications technique et logicielle est assumée et devient une aide pour gérer sa documentation. Ainsi, les cahiers Léonard (ill. 11 à 16), plus d’une centaine, tenus entre les années 1990 à 2000, forment un ensemble qui est autant un point constant sur la création de l’artiste, comme ce dernier y consigne des motifs qu’il dessine au feutre ou sur transparent, pouvant ainsi les reprendre lors d’une commande qu’il aime gérer en direct avec le commanditaire en reprenant ses thèmes privilégiés pour traduire ses idées. Très bon dessinateur, il sait être synthétique, frapper de raccourcis formels soutenus par un contraste entre les noirs et les blancs comme avec une polychromie débordante (ill. 15 à 16). 


Ci-dessus. (ill. 11 à 16) Michel Quarez. (ill. 11 à 13) Cahier Léonard, couvertures ; (ill. 14) cahier Léonard (2000), études sur calque pour le mois du graphisme. (ill. 15) Cahier Léonard (2002), études de pages intérieures, lavis ; (ill. 16) Cahier Léonard (1996), Variantes chromatiques, pages intérieures.


POUR UNE AFFICHE DE CREATION

C’est un peu suivant la voie de Michel Quarez que les graphistes Pierre Bernard (Paris, 1942-2015) et Gérard Paris-Clavel (Paris, 1943), futurs fondateurs du studio Grapus, sont allés se former à Varsovie. En toute logique, Quarez intègrera Grapus, un groupement de graphistes revendiquant le statut d’auteur, mais son indépendance d’esprit prendra le dessus et cette parenthèse n’aura duré qu’un an.

En 1987, avec son affiche le marché aux fleurs de Gennevilliers (ill.7), Il gagne la médaille d’or à Toyama (Japon), et reçoit le Grand Prix National des Arts.

Cette présence affirmée de Michel Quarez créateur d’affiches est rappelée dans le catalogue de l’exposition de la bibliothèque Forney :

« Michel Quarez occupe une place originale dans le paysage actuel de l’affiche, car il est l’un des derniers représentants d’un genre presque disparu : l’affichiste véritable. La conception de son art, exigeante, ne s’est jamais accommodée de l’intermédiaire des agences de publicité : convaincu que l’efficacité pratique d’une affiche est inséparable de sa valeur plastique, Michel Quarez veut avoir directement affaire à l’annonceur. La manière de cet artiste peintre s’accorde bien à l’affiche, dans sa conception classique d’art monumental. Il traite ses sujets par grandes masses de couleurs saturées et cherche à provoquer un choc visuel maximum, effet que renforce l’emploi fréquent d’encres fluorescentes. Le détail superflu est banni. La simplicité de ses images fait songer à un art primitif et n’est pas sans évoquer la signalisation routière. L’impression est le plus souvent celle d’une force joyeuse, d’une fête de la couleur qui appelle invinciblement le regard […] ».

Michel Quarez a 71 ans, la bibliothèque Forney lui rend hommage avec une superbe exposition d’un florilège d’affiches : « c’est mieux qu’à Beaubourg, devenu un media circus. Ici, je suis dans mon jus, avec des gens qui s’attachent à regarder mon travail » dit alors l’artiste. 

UN ART URBAIN AU SERVICE DU CŒUR ET DE L’ENGAGEMENT

Cette présence de Michel Quarez dans les espaces urbains est très forte, un style reconnaissable entre tous attire l’intérêt amusé, voire interloqué, d’un public large. Sa création recourt à un tracé soutenu, il apprécie les aplats « francs et enjoués, qui apportent le soleil par tous les temps, absolument joyeux, jusqu’à, parfois, la férocité, cette idée de la fête jamais mièvre mais au contraire pleine de sève, de cris, de vie  »,  utilisant de forts cernes et contours, comme cela se voit sur des études multiples et monochromes qui déterminent des thèmes progressivement développés et aboutissant à des polychromies éclatantes et contrastées. Il est vrai que sa sensibilité a été très influencé par différents artistes, notamment le créateur d’affiches Raymond Savignac (Paris, 1907-2002, Trouville-sur-Mer) mais aussi par l’œuvre multiple d’artistes comme Henri Matisse ou Pablo Picasso, autant peintres que dessinateurs ou présents dans des domaines aussi larges que l’estampe, la céramique, centre d’intérêt qui ont valu des œuvres de commande à ce créateur résolument original.

Le travail de Michel Quarez se caractérise souvent par l’emploi de grandes formes très colorées, sans contour, « hors mode, sans goût pour l’imitation qui met tant d’unité dans les goûts d’une génération. Tout haut, nous pouvons rêver de son avenir : prolifique en couleurs primaires, en fluo et d’inconforts en inconforts, il poursuit sa nouveauté dans les images venues d’une vue tendre, lucide et neuve des choses de la vie (des commandes ! des commandes ! des commandes !) ».

Quelques lignes rapportent avec humour la présence de ce créateur dans le court article biographique et stylistique de l’Ensad : « Quarez parle de là où il est et part de ce qu’il est. Aussi ses images sont-elles peuplées des gens parmi lesquels il vit, habitants des banlieues “réduits” à des signes distinctifs — casquettes à l’envers, pantalons “baggy”. — et souvent rehaussées d’emblèmes anatomiques qui proclament ses goûts érotiques. L’absence totale de culpabilité autorise la gaîté la plus effrontée, qui s’exprime tout d’abord dans l’usage des couleurs : une sorte d’absolu ». Un joli souvenir …

Remerciements : Madame et Monsieur Senouci, en charge des fonds Quarez.

BIBLIOGRAPHIE SUCCINCTE

  • Martine Gossieaux, Savignac, in : La Passion du dessin d’humour, Cahiers dessinés (coll. Cahiers dessinés), 2008.
  • David Hockney, Fleurs fraîches, dessins sur iPhone et iPad. Paris : fondation Pierre Bergé, 2010.55 p. ill.
  • Benoît Lagarrigue, Quarez hisse les couleurs, in : JSD, 801, 30 sept. 2009., p.9 : [2] ill.
  • Michel Quarez, Dessins. Paris : Ed. Semoise, 2013
  • Bonjour voisin, Saint Denis : mairie de Saint Denis, mai-juin 1994. [12] p. ill. à pleine page
  • Michel Quarez, Affiches. Paris : Ed. Paris bibliothèques, 2009. 232 p. : ill.
  • Michel Quarez, in : Le monstre, juin 2010 ; 2.
  • Michel Quarez, Immédiat. Paris : JBA, 2006.
  • Margo Rouard-Snowman, Michel Quarez, in : Journal des art déco, n° 15, 1993, pp.42-48 : ill.
  • Alain Vatar, Petite histoire de mes affiches de mai 68. Fosses : espace Germinal, [2008]. .23 p. : ill. 68 ill. sélectionnées : affiches, dessins, cartes de Nouvel an, …
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