LES PERSONNAGES SPATIAUX DE VLADIMIR HOFMANN

par Christophe Comentale, coordination éditoriale Alain Cardenas-Castro

Homme de culture et de talent, Vladimir Hofmann appartient à cette génération d’artistes qui voyagent entre plusieurs mondes, celui de Paris où il a son atelier et Saint Pétersbourg où il a encore ses racines. Comme son frère jumeau, Andreï, il aime sculpter l’espace… C’est de Vladimir qu’il sera question ci-après.

Vladimir Hofmann dans son atelier parisien, sept. 2025. Au mur, une œuvre d’Edouard Zelenine (Stalinsk, 1938 – Paris, 2002)

A L’OMBRE D’UNE COLLECTION

« Enfants — raconte-t-il dans la monographie conjointe qu’il a publiée, toujours en collaboration avec son jumeau —, nous habitions dans le même appartement que notre grand-père, au 106 de la rue Lecourbe, dans le 15e arrondissement. Ce quartier s’appelait « La petite Russie », en raison de la quantité des émigrés russes qui s’y retrouvaient après la Révolution. En face de chez nous, il y avait — et il y a toujours — une petite église orthodoxe, l’église de Saint Séraphin de Sarov, toute en bois et construite autour de deux grands chênes qui traversent son toit ! Une véritable fable ! Nous fréquentions cette petite église, notamment pour les offices de Pâques, les plus beaux de l’année. Les anciennes icônes recouvertes d’or de l’iconostase, éclairées à la lueur tremblotante des cierges, l’odeur de l’encens, la beauté des chants, restent parmi nos premières impressions artistiques. Mais pas les seules. La musique classique, grâce à notre père musicologue, et la danse, grâce à Serge Lifar, grand ami de la famille et parrain d’Andreï, faisaient partie de notre univers. En outre, notre grand-père était un grand amateur de peinture et collectionneur dans l’âme. En particulier de la Renaissance italienne ».

Le décor est campé, l’enfant sera tourné vers les arts et la création !

La collection grand-paternelle est riche et variée, on y trouve « un Tintoret, un portrait d’une énergie étonnante, que nous avons toujours » dit encore Vladimir… Parmi les dessins, des œuvres d’Andrea del Sarto, de Cigoli, de Pontormo, de Parmesan, d’Annibal et de Louis Carrache… Les deux frères deviennent copistes. Mais, ajoute Vladimir Hofmann, « le dessin qui nous fascinait le plus était un petit dessin représentant l’un des « Elus » du Jugement dernier de Michel-Ange. Il était aussi le favori de notre grand-père et était accroché dans sa chambre, au-dessus du fauteuil de cuir dans lequel il s’asseyait pour recevoir ses visiteurs. De temps à autre, à l’occasion de fêtes ou d’anniversaires, plutôt que de nous offrir des jouets, notre grand-père nous offrait un dessin ancien. Mais le dessin de Michel-Ange restait chez lui. Aucun de nous n’osait lui demander un tel trésor, conscient qu’il y était très attaché ! Cependant, un jour, lorsqu’avec nos parents, nous avions déjà emménagé dans un autre appartement, nous avons rendu visite à notre grand-père et — horreur ! — le dessin bien aimé n’était plus à sa place ! « Que s’est-il passé avec grand-père ? Où est Michel-Ange ? » — « Je l’ai vendu » — « Pourquoi ? » – « Personne de vous ne me l’a jamais demandé. Je pensais qu’il ne vous intéressait pas ! »… Horreur ! Mais, précisément, à cause de notre admiration pour ce dessin et de cet épisode malheureux, nous sommes devenus sculpteurs…

Encore tout petits, nous avons commencé à confectionner des personnages en pâte à modeler. Toute sorte de personnages, mais surtout des mousquetaires. Là aussi, le cercle familial a eu son influence : notre grand-mère du côté maternel, avec sa sœur, tout de suite après la Seconde guerre mondiale, ont ouvert un atelier de confection de costumes de théâtre. L’atelier s’est rapidement développé, au point de devenir le plus fameux à Paris, avec celui de Karinska, également russe émigrée. Notre mère nous y emmenait presque chaque jour et nous passions des journées entières parmi les costumes de théâtre et de cinéma ».

UN SCULPTEUR DES PARCOURS INTERIEURS

Les deux frères sont tous deux sculpteurs et traitent de la destinée humaine. Si Andreï s’attache à la condition de l’Homme dans sa globalité et confronte de petits personnages-symboles à l’immensité de l’Univers, dans des « Promenades » et des « Attentes » sans fin, Vladimir développe deux thèmes essentiels : le « Train de la vie », c’est-à-dire la mosaïque, la diversité du quotidien, et les « Parcours intérieurs » de l’Homme, à la recherche de soi.

Dans l’ouvrage qui les présente avec force images (voir bibliographie), ils exposent leur démarche artistique et livrent leurs pensées sur l’art et son évolution. Leur propos est enrichi des éléments biographiques et des rencontres qui ont enrichi leurs vies.

Adolescents, ils ont fréquenté l’atelier du peintre avant-gardiste russe Youri Annenkov (Kamchatka, 1889-Paris, 1974), portraitiste du Siècle d’Argent russe (1890-1920) et de ses principaux acteurs. Les jumeaux ont été ses seuls élèves en France. Et ils ont suivi également l’enseignement d’Ossip Zadkine [Иосель Аронович Цадкин] (Vitebsk, 1888 – Neuilly-sur-Seine) à la Grande Chaumière.

Diplômés de l’Ecole Spéciale d’Architecture et de l’Ecole Nationale des Beaux-Arts, ils sont devenus architectes et plasticiens, au sens large du terme. Depuis les années 1970, ils exposent leurs sculptures en France et à l’étranger et, depuis 2001, en Russie, terre de leurs ancêtres, où ils effectuent de fréquents séjours, notamment à Saint-Pétersbourg, le berceau familial.

DU MONDE DE L’ART

Pour Vladimir Hofmann — comme pour beaucoup de ses confères — le monde de l’art n’est pas seulement le monde (du) réel. Comme il l’explique dans une des sections de la monographie déjà sollicitée, « l’art est le monde de la métaphore et du symbole, du moins dans mes œuvres. Et toute la force de l’art réside en ce sens que ces métaphores et ces symboles sont capables de nous « parler ». Prenons l’exemple d’une de mes dernières sculptures murales — un personnage court au-dessus de formes ovales, découpées dans une plaque de métal. Ces formes sont des nuages stylisés, ce que confirme le titre de l’œuvre : Course au-dessus des nuages. Et, de fait, le spectateur a l’impression de voir un personnage confronté à l’immensité du ciel. Il en résulte une composition cosmique dans laquelle l’Homme, seul, tend ses bras vers des mondes lointains… Et voici une autre sculpture : une sphère — le globe terrestre — une échelle dressée avec un personnage juché tout en haut, regard pointé droit devant lui, comme pour scruter l’horizon, les bras largement ouverts. Le titre : Dialogue avec les cieux

Dans d’autres sculptures, des personnages sont assis tout en haut de grandes échelles : je les appelle mes « Ambassadeurs ». Ils sont les messagers du ciel vers la terre ou le contraire — plutôt le contraire, de la terre vers le ciel… Une de mes sculptures, intitulée Mikado, évoque, comme dans un jeu, la succession des différentes pages de la destinée humaine.


Ci-dessus, de gauche à droite. L’atelier de la villa Brune, Paris. Sculptures en bronze ou en cire de Vladimir et Andreï Hofmann. Ensemble de sculptures dans l’atelier de la villa Brune.


Vladimir Hofmann a côtoyé des confrères avec tout l’enthousiasme qui les caractérise. Ainsi des portraits rappellent ces moments de plaisir : ils sont encore dans l’atelier du sculpteur, comme ce dessin ou Vladimir est en train de travailler au chevalet et caché par sa toile. Comme le rappelle Vladimir Hofmann dans la monographie écrite en 2015 sur Youri Annenko « Une fois, je me souviens, mon frère Andreï est tombé malade, et je me suis retrouvé seul à la leçon de Yuri Pavlovich. Il n’y avait pas non plus de modèle, et Yuri Pavlovich m’a demandé de dessiner une figure masculine par cœur et de la « réanimer » en changeant les poses des mains et des jambes. Il a aimé mon dessin, il lui a probablement rappelé ses propres croquis pour des dessins animés, et il lui a décerné une inscription laudative : « Très bien –

Youri Annenkov, Vladimir Hofmann peignant (1964) coll. privée

Comme ajoute Youri Hofmann,

« le plus intéressant, c’est que, profitant de la minute libre, Yuri Pavlovich a en même temps décidé de me dessiner. Le dessin au crayon me représente assis au travail au chevalet. Madeleine me l’a donné après la mort d’Annenkov. Maintenant, il est accroché dans mon atelier comme le meilleur souvenir d’une page heureuse de la vie et d’un cher maître ».

Ce qui est prodigieux, c’est que des concepts touchant la Psychologie et la Métaphysique, puissent s’exprimer en sculpture au travers de formes minimales et que des questions essentielles, comme celles de la destinée de l’homme trouvent leur représentation dans des formes simples comme le cercle, le globe ou une échelle… et cela grâce à la présence d’un petit personnage, qui, tout à coup, confère à ces formes, un sens, une présence, une âme. Au fil d’un long entretien dans l’atelier de l’artiste, la confrontation aux œuvres, des bronzes, des collages, des cires, autant d’éléments qui ont donné vie à l’œuvre d’un créateur sur lequel les années ne semblent pas avoir vraiment de prise…

Vladimir Hofmann, collage

ELEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

  • Youri Annenkov, En habillant les étoiles. Moscou, 2004 (texte en russe)
  • Youri Annenkov,En habillant les vedettes. Paris : R. Marin, 1951 (rééd. Paris : Quai Voltaire, 1994). 284 p. : ill..
  • Youri Annenkov, Journal de mes rencontres. Un cycle de tragédies, traduit du russe par Marianne Gourg, Odile Menik-Ardin et Irène Sokologorsky, Éditions des Syrtes, 2016
  • Youri Annenkov, [Georges Annenkov : autoportrait : dessin / de Georges Annenkov], sd. Dessin : encre noire ; 30,5 x 22,4 cm. Fonds BNF
  • Youri Annenkov, People and portraits : a tragic cycle. New York : Inter-Language Literary Associates, 1966.349 p. : ill.
  • Youri Annenkov, De petits riens sans importance : roman ; traduit du russe et préfacé par Anne Coldefy-Faucard. Trad. de :Повесть о пустяках. Lagrasse : Verdier, 2018. 313 p. (coll. Poustiaki).
  • Georges Annenkov [Document d’archives] : Dossier biographique. 2005. 21 x 29,7 cm. Liste d’œuvres vendues à l’hôtel Drouot le 6 avril 2005.Notice BNF : FRBNF41470131
  • Chéronnet, Louis (1899-1950), Extra-muros ; préface de Jules Romains ; lithographies originales par Georges Annenkoff. Au Sans Pareil, René Hilsum et Cie, éditeurs, 1929. 187 p. 
  • Andreï et Vladimir Hofmann, Sculpture dans le temps et dans l’espace : Andreï et Vladimir Hofmann. Moscou : Pan, 2010. 133 p. : ill en noir et en coul. Texte trilingue français, anglais, russe.
  • Andreï et Vladimir Hofmann [Exposition. Paris, Musée du Montparnasse. 2010], Les artistes russes hors frontière : [exposition, Paris], le Musée du Montparnasse, [21 juillet-31 octobre 2010] : livre-catalogue / Andreï et Vladimir Hofmann ; avec Georgy Khatsenkov, …Paris : Éd. Paradox, 2010. 222 p. : ill. en noir et en coul., couv. ill. en coul. Texte en français seul. – Exposition organisée dans le cadre de l’Année France-Russie 2010
  • Le Ballet / André et Vladimir Hofmann ; avec la participation de Claude Bessy, Bernard Daydé, Louis Falco, Betty Jones… [etc.]. Paris : Bordas, 1981. 253 p. : ill. en noir et en coul. Bibliog. pp. 247-249
  • Edouard Zelenine. Paris : Galerie Paul Noujaim, 2007. Catalogue raisonné de l’artiste
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