BiblioMania, Paris, session du 14 au 16 février 2025
par Alain Cardenas-Castro et Christophe Comentale
L’ancien réfectoire des Cordeliers sis à Paris, 15 rue de l’Ecole de Médecine, dans le quartier de l’Odéon, accueille chaque année par deux fois des professionnels du livre, ancien, modernes, spécialistes des vieux papiers, des manuscrits, etc
UNE RUBRIQUE SUIVIE ET ETOFFEE TRES IRREGULIEREMENT CAR LE SECTEUR EST PARFOIS TROP ELOIGNE DE NOS CENTRES D’INTERET.
COMME CE N’ETAIT PAS LE CAS CETTE ANNEE, NOUS AVONS EU LE PLAISIR DES YEUX PUIS CELUI DES TROUVAILLES.
A PARTAGER CI-APRES.
Ce lieu est historique de quelque 600 m2, est l’ancien réfectoire des Cordeliers, le dernier vestige de l’ancien couvent qui abritait les moines franciscains. Cette confrérie apparue au 13ème siècle, rassemblait les frères mineurs de Saint-François, aussi appelés les Cordeliers, Ces franciscains portaient, en effet, une large corde pour tenir leur robe, d’où cette dénomination. Les Cordeliers ont, sur ce site, bâti un couvent, deux cloîtres un réfectoire, une église ainsi que plusieurs jardins. Cet ensemble était un des plus importants centres religieux, intellectuels et politiques de Paris entre le 14e et le 17e siècle. Ce grand quadrilatère est devenu un écrin idéal pour déballer des livres, des manuscrits, des archives et prendre son temps pour tous types de recherches, grand public ou érudites
Afin d’insuffler une dynamique dans un monde plutôt feutré, un monde où les centres d’intérêt des professionnels sont, à l’égal de ceux qui visitent, devenus de véritables obsessions, la chargée de cet événement, Erica Cébé, annonce, d’entrée de jeu le thème de l’année, l’obsession ! « Dans le mot obsession, – dit-elle – on retrouve l’addiction, la phobie, l’angoisse, l’idée fixe… A BiblioMania, nous avons pléthore d’ouvrages à faire frissonner sur l’obsession. Ce thème sera décliné sur les stands du salon, à travers une multitude de documents anciens ».
Cette année, une cinquantaine d’exposants, 50 libraires professionnels, étaient présents, dont les stands étaient des plus intéressants, quelle que soit la spécialité de chacun de ces érudits et passionnés, obsédés par un ou plusieurs sujets, allant de la littérature aux arts graphiques, des éditions originales – ou pas – anciennes et actuelles, aux fonds d’archives les plus insensés ! Cette diversité est essentielle. Il est certain qu’un ouvrage paru au 16e siècle sera, de facto, rare, de même qu’un ouvrage plus récent, mis au pilon ne sera pas forcément facile à repérer. A partir de là toutes les trouvailles sont possibles !
Nous avons sélectionné trois pièces trouvées sans effort – des coups de cœur, comme on dit ! – et sans qu’il y ait urgence quant à leur acquisition. Nous avons apprécié l’approche conviviale des libraires rencontrés et leur volonté de vendre des ouvrages en sachant arrondir les angles.
LE BONNET D’ANE
Ainsi, outre les livres et documents papier il a été possible de faire l’acquisition d’une paire de serre-livres, un accessoire souvent jugé désuet car davantage considéré comme une pièce utilitaire qu’esthétique. Cette paire de serre-livre est singulière dans la mesure où un sujet populaire est traité avec le professionnalisme d’un sculpteur. On est donc face à deux sculptures, en métal argenté, montées sur socle de marbre. Les bambins sont agenouillés face à un livre ouvert. Ami de Charles Despiau (1874-1946), Pierre Bouret a, comme ce dernier, un calme dans le traitement de ses personnages qui ramène à l’art des années 40-60 et d’un courant plutôt académique. A ceci près que Pierre Bouret aime la simplicité du quotidien, ce qui confère une sorte de quiétude – une parfaite maîtrise de la technique et de l’idée – à ses œuvres, et ce, même s’il s’agit du buste d’Alexandre Dumas en place dans la commune de Villers-Cotterêts…Pierre Ernest Bouret (Paris, 1897 – Saint-Cloud 1972) sculpteur et médailleur français, rappelons-le en quelques mots, a vécu et travaillé à Châtillon, essentiellement la pierre, mais aussi le bronze. En 1923, il fait la connaissance de Charles Despiau, reçoit ses conseils et devient son ami. À la fonderie Valsuani, il côtoyait Aristide Maillol, François Pompon et Robert Wlérick…
LA DANSE MACABRE
Le nom de Vergonnes, petite commune située à 53 km d’Angers est relativement connu car au début du17e siècle, le curé de la paroisse, Robert de Gohier, entretient le registre paroissial et l’illustre de quatre enluminures représentant une Danse des morts, suivi d’extraits de la Danse Macabre de Guyot Marchant de 1478. Cette imagerie a marqué les esprits. D’où, en quelque sorte, cette plaquette érudite qui a trouvé sa place à ce salon de bibliophilie rétrospective et courante. Une publication à caractère historique, a priori plus conforme à la manifestation du lieu, au contenu érudit et graphique, dont la mise en page donne un caractère presque enjoué à ce thème intemporel… Les danses macabres ou danses des morts renvoient le plus souvent à des farandoles, des manifestations de folie ou encore à des sabbats. Ces œuvres présentent des morts (le plus souvent représentés sous la forme d’un squelette) et des vivants défilant en ordre hiérarchisé vers la tombe — que la farandole aille du pape à l’ermite, du noble au lansquenet, ou encore du colporteur au laboureur.
Impossible de terminer sans quelques précieuses données sur Vergonnes ! Si, en 2014, la commune comptait 319 habitants, elle ne possède aucun équipement culturel ni aucun commerce mais est dotée d’un terrain de football. On note toutefois dans des données administratives récentes que le manoir du Grand-Plessis, du 15e et 16e siècles, conserve encore les vestiges de douves, une porte en accolade ornée d’une fleur de lys, ainsi qu’un escalier et la charpente d’origine. Deux croix de schistes, très présentes dans le pouancéen et la région de Châteaubriant, sont présentes sur la commune, une du 16e siècle, une autre du 17e, sur le parvis de l’église, et une croix de chemin datant de 1607. Le lavoir communal, construit au 19e siècle, a été réhabilité.
L’auteur de la plaquette, Jacques Levron (1906-2004) a été archiviste-paléographe, historien. – Conservateur en chef honoraire des Archives de Seine-et-Oise et professeur à l’Université catholique d’Angers. Il était, en outre, président de l’Académie des belles-lettres d’Angers.
Ci-dessus. Jacques Levron, La danse macabre de Vergonnes. Angers : Ed. Jacques-Petit, 1944. 30 p. : couverture et 5 planches gravées et rehaussées.
ACHILLE JUBINAL, AMATEUR DE DANSE DES MORTS
Une dernière découverte, une publication encore relative à la danse des morts, celle de La Chaise-Dieu, éditée en 1862 à Paris par la librairie archéologique de Didron et due à la curiosité d’esprit d’Achille Jubinal, « député au Corps législatif ancien professeur de faculté » est-il indiqué sur la couverture de l’ouvrage contenant des déroulés de ce rituel. Ledit auteur a même laissé un envoi manuscrit tracé à l’encre, sur la couverture. La Danse macabre de La Chaise-Dieu représente un défilé de couples composés d’un mort nu, parfois drapé d’un linceul et d’un vivant représentant l’ordre hiérarchique de la société médiévale. Nul n’y échappe, les richesses, les honneurs et la gloire ne sont rien au moment du trépas et cette égalité devant la mort rassure. C’est la promesse d’une vie nouvelle et éternelle. Des reproductions au trait complètent un contenu historique et érudit. Le volume a dû être un best seller : il en est à sa 3e édition en 1862, date de publication de ce document.
Eléments bibliographiques
- Pierre Bouret (1897-1972) Sculpteur, Vente aux enchères du vendredi 30 mars 2018 à l’Hôtel Drouot. Crait+Müller commissaires-priseurs associés. Préface par Frédéric Chappey. 128 pages. Photos couleurs de 157 lots.
- Atelier Pierre Bouret, in : La Gazette Drouot, n°12, 23 mars 2018, p. 64.
- L’âge d’or de Pierre Bouret, in : La Gazette Drouot, n°15, 13 avril 2018, p.102.
- Louis Dimier, Les Danses macabres et l’idée de la mort dans l’art chrétien. Paris : Éd .Bloud et Cie., 1908
- Vincent Wackenheim, La mort dans tous ses états. Modernité et esthétique des danses macabres. Strasbourg : L’atelier contemporain, 2023. 936 p. : 1000 ill.
- Un article de présentation détaillé de la danse macabre de La Chaise-Dieu est consultable en ligne, La danse macabre du XVe siècle – Abbaye de La Chaise-Dieu




