par Christophe Comentale

Au coin inférieur gauche de l’œuvre est présente l’étoile-signature que Cocteau porte sur tous ses dessins, le plus souvent avec soit l’initiale du prénom, soit le prénom écrit en entier ou bien le nom et le prénom. La légende, « Jean Marais dans l’éternel retour » est portée au crayon.
Coll. particulière SCA
Provenance
- don de Cocteau à Youri Annenkov.
- L’œuvre est reproduite dans la monographie d’Annenkov, En habillant les étoiles, p.184.
- Don de Youri Annenkov à Vladimir Hofmann.
- Anc. coll. Vladimir Hofmann
LE DESSIN ET SON CONTEXTE
Le dessin, une étude, représente Jean Marais, acteur dans le film L’éternel retour. Cette étude est citée par le créateur russe, Youri [ou Georges] Annenkov [Юрий Павлович Анненков] (1889, Petropavlovsk, Kazakstan, – 1974, Paris), peintre et dessinateur de l’avant-garde russe, connu pour ses illustrations et ses portraits, ainsi que pour ses participations à des décors de théâtre et de cinéma, dont les vêtements d’acteurs dans l’Eternel retour.
Il entre en 1908 à l’université de Saint-Pétersbourg où il a comme compagnon d’étude Marc Chagall. En 1911 il part à Paris et travaille dans l’atelier de Maurice Denis et de Félix Vallotton. Il retourne rapidement en Russie, mais se rend à nouveau en France en 1924.
Quant au film L’éternel retour, réalisé par Jean Delannoy, en 1943, il reprend l’histoire de Tristan et Yseult, transposée par Jean Cocteau, scénariste, à l’époque moderne.
Marc, veuf très riche, vit en Bretagne dans un château médiéval avec sa belle-sœur Gertrude. Il a une grande affection pour son neveu Patrice, Jean Marais, un jeune homme à la chevelure blond platine dont l’aspect avenant rend jaloux certains de ses parents alentour. Comme dans le récit médiéval, le jeune homme mourra d’amour.
C’est durant ce travail de création pour le film, L’éternel retour, que Jean Cocteau offre à Annenkov cette étude. Youri Annenkov, très lié avec le sculpteur Vladimir Hofmann, offre à son tour l’œuvre à l’artiste.


Ci-dessus, de gauche à droite. Yvonne Bilis Régnier, Portrait de Jean Cocteau (ca 1960), crayon sur papier, 22 x 30,5 cm (coll. particulière) ; Zhang Hua, Portrait de Jean Cocteau, sd, (ca années 60), crayon de couleur, 32 x 24 cm (coll. particulière)
LES PRECEDENTS COLLECTIONNEURS DE L’ŒUVRE
● Youri Annenkov
La monographie de Youri Annenkov, En habillant les étoiles (Moscou, 2004) est une étude sur le milieu du théâtre en France, une observation de l’auteur durant son séjour parisien sur la vie des acteurs de cinéma et de théâtre, sur la façon dont l’habillement, les attitudes sont perçus. Sa proximité avec ce milieu vaut notamment des notations ponctuelles et précises à propos de Cocteau : « Avez-vous remarqué que Jean Cocteau et Sacha Guitry déboutonnent et enroulent les manches de la veste et font parfois même la même chose avec les manches du smoking ? Jean Cocteau le fait pour ouvrir ses mains, Sasha Guitry – pour mieux mettre en évidence la blancheur des poignets couvrant les mains jusqu’à la deuxième phalange des doigts » (p.247). Pour mémoire, le dessin de Jean Cocteau est reproduit dans la monographie à la page 187.
● Vladimir Hofmann (1945, Paris), est diplômé de l’Institut national des Beaux-Arts de Paris. Sculpteur, comme son frère jumeau Andreï, Vladimir est aussi collectionneur d’art russe est expert dans l’art de ce pays.
La grand-mère et la tante des frères Hofmann avaient une maison de costumes de théâtre à Paris, notamment rue Laffitte près du quartier Opéra. C’est là qu’ont lieu les premières rencontres avec peintres, décorateurs, chorégraphes. L’un de ceux-ci, Serge Lifar, est le parrain d’Andreï. Par ailleurs, les jumeaux se familiarisent aussi au monde de l’art avec l’importante collection de peintures anciennes et de dessins couvrant les murs de l’appartement grand-paternel sis rue Lecourbe à Paris, des œuvres rassemblées par leur grand-père, dont beaucoup renvoient à la Renaissance italienne (Andrea del Sarto, Pontormo, Michel-Ange, Parmesan, …).
Adolescents, ils ont fréquenté l’atelier du peintre avant-gardiste Youri Annenkov, portraitiste du Siècle d’Argent russe (1890-1920). Ils ont été ses seuls élèves en France ; ils ont aussi suivi l’enseignement d’Ossip Zadkine à la Grande Chaumière. Après l’obtention du diplôme aux Beaux-Arts de Paris, ils deviennent architectes et plasticiens.
Depuis les années 1970, ils exposent leurs sculptures en France et à l’étranger, et, depuis 2001, en Russie, en particulier à Saint Pétersbourg, le berceau familial. En raison de leurs liens de proximité avec Annenkov, ils publient à Moscou en 2015 une biographie qui fait autorité sur cet artiste.
Un long entretien avec Vladimir Hofmann m’a permis de faire un point précis sur les deux portraits de Jean Marais dessinés sur l’étude de Jean Cocteau. « En 1943 – rappelle Vladimir Hofmann, Jean Cocteau offre ce dessin à Annenkov. Ce dernier a épousé Madeleine en troisièmes noces, Madeleine se suicide en 1976. A la mort des deux époux, l’héritage Annenkov reste pendant 20 ans chez la femme du frère d’Annenkov, établie à Cers, une petite ville près de Montpellier. En 2002 et 2003, la société de ventes Sothby’s procède à une vente importante de pièces de la collection, dont 700 maquettes de théâtre. Le dessin ne sera pas inclus dans cette vente, il est assimilé avec d’autres dessins à des pièces d’archives ». La pièce fait partie de cet ensemble de quelque 3000, achetées par Vladimir Hofmann. Ce dernier a, par ailleurs, mis en vente différentes œuvres, dont, récemment, cette étude liée à l’Eternel retour. C’est sur le marché parisien qu’il a été acquis tout récemment par un collectionneur privé.
En contrepoint à ce double portrait, deux œuvres réalisées par deux artistes étrangers que Jean Cocteau a connus et qui ont vécu en France, pays devenu leur deuxième patrie. L’un, Zhang Hua, est chinois, l’autre, Yvonne Bilis Régnier, argentine. Ces œuvres sont le meilleur moyen de comprendre et d’accepter que les styles sous-tendent des variantes liées à la sensibilité de chaque artiste, tout comme c’est le cas pour cette superbe interprétation du visage de Jean Marais par Jean Cocteau.
ELEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
- Youri Annenkov, En habillant les étoiles. Moscou, 2004
- Youri Annenkov, Journal de mes rencontres. Un cycle de tragédies, traduit du russe par Marianne Gourg, Odile Menik-Ardin et Irène Sokologorsky, Éditions des Syrtes, 2016
- Christophe Comentale, Jean Cocteau et ses amis artistes étrangers, de Dominique Dalozo à Zhang Hua. Quelques remarques. In : Sciences et art contemporain, publié le 1er mai 2025.
- Andreï et Vladimir Hofmann, Sculpture dans le temps et dans l’espace : Andreï et Vladimir Hofmann. Moscou : Pan, 2010. 133 p. : ill en noir et en coul. Texte trilingue français, anglais, russe.