A propos de l’attrait de la retenue dans une œuvre de Dominique Irma Dalozo

par Christophe Comentale, Coordination éditoriale Alain Cardenas-Castro

Donne ch’avete intelletto d’amore,
i’ vo’ con voi de la mia donna dire,
non perch’io creda sua laude finire,
ma ragionar per isfogar la mente.

(Dante Alighieri, Vita Nova, chap. 19) (*).

Ce début de stance due au poète italien Dante Alighieri (1265-1321) (ill. 1) donne le contexte de raffinement précis dans lequel Dominique Irma Dalozo et Yvonne Bilis Régnier ont évolué durant les décennies de leur activité soutenue et riche de peintres. Dans une précédente livraison (S&AC, 1er novembre 2024), il a été question de l’œuvre d’Yvonne Bilis Régnier. La présente contribution s’attache à mettre en perspective une œuvre emblématique de Dominique Irma Dalozo, A la croisée des chemins.


Ci-dessus, de gauche à droite. (ill. 1) Justus van Gent (1410-1480). Portrait de Dante (ca 1474), coll. Palais ducal, Urbino ; (ill. 2) Dominique Irma Dalozo. A la croisée des chemins (1991), technique mixte sur papier, 37 x 27 cm (coll. privée), œuvre signée au coin inférieur droit et datée au verso ; (ill. 3) Edmund Leighton (1852-1922), The end of the song. Tristan et Iseult surprise par le roi Marc’h (1902), coll. privée.


DE QUELQUES ELEMENTS BIOGRAPHIQUES

Peintre indépendante d’origine argentine, Dominique Irma Dalozo naît dans ce pays en 1920, suit une scolarité qui donne une forte importance à la culture humaniste. Avec le soutien de Richard Weibel, attaché culturel de France en Argentine, elle gagne l’Hexagone pour effectuer un voyage d’études à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Elle s’établit dans le 15e arrondissement de Paris où elle décède en 1997.

Elle laisse un fonds de plus de 2000 dessins sur papier et d’œuvres sur panneau de bois. Cette masse importante d’œuvres s’est étoffée durant ces décennies d’une vie quotidienne et artistique partagée avec une amie proche, Yvonne Bilis Régnier (1926-2017). Les deux femmes ont fréquenté le milieu culturel parisien, ainsi, à la familiarité avec ce microcosme intellectuel et artistique s’ajoutent les visites aux musées et aux collections privées nombreuses qui reflètent l’élégance de leur sensibilité (musée du Louvre, musée Jacquemart-André… Ce talent naturel allié à un imaginaire foisonnant a produit un style et une thématique particuliers.

DU PAYSAGE IDEAL

Attirée par la peinture et les thématiques picturales de la Renaissance, Dominique Irma Dalozo conçoit un art du paysage fortement influencé par l’Antiquité. Cette humaniste adopte ainsi un système de représentation du monde ayant la Nature visible et sensible pour modèle, mais une Nature hors de portée de l’humain dans son ensemble, même si cet élément s’y trouve intégré, caché, dissimulé, à l’égal des végétaux et de l’infinité des êtres qui le peuplent. Comme les artistes de la période, elle se livre à un travail systématique visant à définir rigoureusement une perspective linéaire capable d’organiser clairement l’image. Ce travail, lié à l’observation concrète des détails de la Nature, va transformer progressivement la surface peinte en « fenêtre ouverte » sur le monde, en un spectacle, en une scène dans lesquels les acteurs vont prendre place. La scénographie ainsi générée devient un lieu quasi paradisiaque. Comme le propose Pierre de Brach (Bordeaux, 1547 – Montussan, 1604), dans son Voyage en Gascongne, l’œuvre est « une large estendue d’un paisage champestre où nostre oeil se déçoit ». En d’autres termes, comme le synthétise cette définition du Dictionnaire de l’Académie, il s’agit alors « d’une étendue de pays que l’on voit d’un seul aspect ». Certes, le paysage de la Renaissance rend compte des données de la perception visuelle, mais aussi de ses limites. D’une part les paysages sont fleuris des réminiscences de l’art de la peinture italienne de la Renaissance, de l’autre, les compositions révèlent des personnages se confondant avec les éléments naturels, denses, auxquels sont mêlés des vestiges archéologiques d’époque romaine.

A LA CROISEE DES CHEMINS,

Un dessin portant au verso la date de 1991, A la croisée des chemins, est, de prime abord, étonnant autant par certains de ses éléments constitutifs que par sa composition.

La scène intimiste montre deux jeunes personnes absorbées en une discussion qui en est à sa phase muette tant la fascination s’est insinuée dans les deux êtres : l’intensité des regards est éloquente : celui de la jeune fille est tourné vers le jeune homme assis en contrebas, tandis que ce dernier lève les yeux vers cette créature parée de guirlandes de fleurs, réminiscence botticellienne de l’œuvre. Le silence, l’attentisme, le mystère, sont renforcés par la présence d’une touffe de digitales d’un rose soutenu, les fleurs ont envahi un vestige archéologique, probablement une base de structure portante — semblable à celle sur laquelle est assis le jeune homme. Une huppe fasciée y est perchée, peu craintive. Ces deux éléments, fleurs et oiseau, suscitent une certaine curiosité : la fleur est connue pour sa toxicité autant que par son nom populaire de « fleur des fées », ces dernières se parant de ses clochettes profondes ; quant à l’oiseau, souvent représenté sur les papyrus égyptiens, il est associé au sentiment amoureux. Ce symbolisme latent associé à la présence du couple absorbé dans un échange intense est rendu encore plus étrange par les vestiges oubliés formant des taches claires parmi la végétation qui les recouvre progressivement. Dernier élément source de curiosité, les deux portes en arc qui ouvrent, pour le plus lointain, la présence d’un panorama entre mer et montagne, tandis que le plus proche annonce une forêt drue où le tracé du chemin disparaît.

Cette scène est un épisode d’une histoire mystérieuse impossible à élucider en raison de la théâtralité avec laquelle le sujet est campé.  L’artiste indique de cette manière que l’on est à la croisée des chemins, donc proche d’un dénouement ! Il n’en reste pas moins que les deux personnages sont dans un dialogue mystique entre humain et divin…


Ci-dessus. Francesco Colonna, Le Songe de Poliphile (1499), trois parmi les 172 gravures sur bois attribuées à Jean Cousin et Jean Goujon.


DES PERSONNAGES HORS DU COMMUN

La Renaissance perd en amour sacré ce qu’elle gagne en amour profane. Les êtres qui peuplent de façon directe ou indirecte les dessins polychromes et les peintures sur panneau de Dominique Irma Dalozo, appartiennent à ces deux catégories distinctes

Les personnages sont souvent des anges, des enfants ou des adolescents dont les traits renvoient à la douceur des œuvres de Botticelli ou des Préraphaélites anglais. Outre ces deux catégories, un exemple des plus représentatifs est celui donné par l’œuvre de Francesco Colonna, Le songe de Poliphile [Hypnerotomachia Poliphilii], imprimé en 1499 à Venise sur les presses d’Alde Manuce, version francisée de son nom original, Aldo Manuzio en italien. Selon les éditions, un corpus de quelque 171 gravures sur bois accompagnent le volume. Leur attribution varie en fonction des éditions qui se sont succédé de cette fin de 15e siècle au 19e. Ce récit ésotérique mêle architecture, mythologies, art du jardin et des sciences, un récit sorti de l’imagination de Francesco Colonna (1433-1527), un frère dominicain du couvent de San Giovanni e Paolo, qui défraya la chronique des mœurs du temps. Sa culture reflète un intérêt nourri pour les civilisations antiques alors étudiées par les clercs.

Dominique Irma Dalozo a un imaginaire qui s’intéresse à ces paysages imaginaires denses retrouvés au fil des oeuvres d’Hercules Seghers à Bresdin.

Une autre veine capte autant son inspiration féconde, elle a généré la production de dessins très contrastés qui font pénétrer dans un monde révélateur d’un autre aspect d’un fantastique plus inquiétant, plus noir. C’est, en partie, pourquoi l’artiste utilise une encre noire qui contraste sur les rehauts de blanc donnant vie à des êtres étranges au corps mince, au visage hâve et aux formes complexes, baroques, surchargées de détails morphologiques inquiétants, disproportionnés. Il sera traité de cet aspect de l’œuvre de l’artiste dans une autre livraison.

Les musées français et européens sont actifs pour récupérer les pièces les plus emblématiques du travail narratif de cette artiste singulière que les Surréalistes veulent compter parmi les leurs en raison de ces œuvres qui sont des rêves éveillés source de mélancolie et de plaisir. 

作品描述

多米尼克伊尔玛·▪达洛佐, « 处于十字路口»,1991 年,

纸本综合材料,37 x 27 厘米

作品在右下角签名. 1991 年是作品创作的年份:艺术家在作品背面用铅笔标明

多米尼克▪伊尔玛▪达洛佐是一位阿根廷裔自由画家,1920 年出生于该国,就读的学校非常重视人文主义文化。在法国驻阿根廷文化专员的帮助下,达洛索在第二次世界大战结束时前往法国进行学习旅行。她定居在巴黎第 15 区,直到 1997 年去世。

她留下了 2000 多幅纸上素描和和木板上的绘画。这大量作品提醒我们,在与密友  伊冯·▪雷尼尔 的这几十年的艺术生活中,这两位女性经常光顾巴黎的文化环境。除了这个知识和艺术缩影的频繁出现之外,还有博物馆和众多收藏品。这种天生的天赋与丰富的想象力相结合,产生了一种特殊的风格和主题。

一方面,风景画充满了对文艺复兴时期意大利绘画艺术的回忆,构图揭示了与自然、密集元素融合的人物,与罗马时期的考古遗迹混合在一起。在这件作品中,门廊传达了年轻角色、半天使、半人擦肩而过的象征性环境。这些废墟展示了被现已消失的入侵者擦伤的石碑、柱子和柱头。

人物通常是天使、儿童或青少年,他们的特征参考了波提切利或英国拉斐尔前派作品的甜美。

这种肥沃的灵感中的另一条脉络允许制作出对比鲜明的绘画,艺术家使用黑色墨水与白色高光形成鲜明对比,赋予奇怪的生物生命,这些生物具有瘦弱甚至瘦弱的身体和复杂的巴洛克式形状,充满了令人不安的形态细节。

法国和欧洲的博物馆正在积极恢复这位独特艺术家的叙事作品中最具代表性的作品,超现实主义者希望将其视为自己的作品,因为这些作品是清醒的梦,是忧郁和快乐的源泉.

ELEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

  • Daniel Arasse, L’Homme en jeu – Les génies de la Renaissance, Paris : Hazan, 2008, 360 p
  • Francesco Colonna, Le Songe de Poliphile. Paris : club des libraires de France, 1499.
  • Bierlaire Franz. Le Paysage à la Renaissance. Études réunies et publiées par Yves Glraud. In: Revue belge de philologie et d’histoire, tome 72, fasc. 4, 1994. Histoire mediévale, moderne et contemporaine – Middeleeuwse, moderne en hedendaagse geschiedenis. pp. 990-991
  •  Œuvres poétiques de Pierre de Brach, sieur de La Motte Montussan : publiées et annotées par Reinhold Dezeimeris, t. I, Genève, Slatkine reprints, 1969, 398 p. Version en ligne Gallica.
  • Aix-Marseille universitéhttps://utpictura18.univ-amu.fr/notice/14939-baiser-poliphile-polia-hypnerotomachia-1499.

(*) Dames qui avez compréhension de l’amour,

Je veux vous entretenir de ma dame

Non que je pense venir à bout de sa louange,

Mais discourir pour libérer mon esprit.

(traduction et adaptation Christophe Comentale)

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