Du livre d’archéologie au livre d’artiste d’Est en Ouest

par Alain Cardenas-Castro et Christophe Comentale

Pour une nouvelle bibliophilie, un texte que j’avais rédigé en 1991 pour la revue AML, me faisait (me) poser la question sur la nécessité de certains formalismes, sur leur persistance étrange,… Cette idée, depuis les années 90 nous a semblé devoir continuer d’évoluer, ou, plus précisément, accepter des définitions autres du livre. Ainsi, à plusieurs reprises, il a été possible de montrer des mises en espace de livres – des livres œuvres d’art, pas seulement par leur valeur marchande, mais plutôt par leur impact intellectuel, graphique, esthétique. Tout comme les interactions culturelles, politiques, sociales, économiques aussi ne cessent de peser de tout leur poids sur le goût, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit.

C’est pourquoi, du 30 juillet au 30 octobre 2018, une centaine de documents archéologiques, graphiques et iconographiques montrant la diversité du patrimoine chinois ou occidental, sont exposés au Musée du centre national de protection du patrimoine, à l’Académie des sciences de Dunhuang (province du Gansu, Chine).

Un catalogue trilingue chinois – français – anglais abondamment illustré est édité et diffusé par le musée pour accompagner cette manifestation.


ci-dessus : (vignettes en partie haute) les grottes de Mogao / (vignette en partie basse : le musée du Centre de recherches et de protection du patrimoine de Dunhuang.


A propos d’une oasis, maillon de la Route de la Soie

Dunhuang, site classé au Patrimoine de l’Humanité par l’Unesco pour ses 492 grottes peintes du IVe au XIVe s., rassemble quelque 45 000 m2 de fresques. Le site constitue un des jalons importants de la Route de la Soie. C’est dans la grotte 17 qu’ont été découverts au début du XXe s. plusieurs dizaines de milliers de manuscrits et des éditions xylographiques (rouleau, reliure en carnet-accordéon,…) ainsi que des pièces isolées maintenant dans les collections d’établissements occidentaux comme la Bibliothèque nationale de France, le musée Guimet, la British Library,… Cette question relative au format du livre et à son évolution a fait l’objet de recherches nombreuses dont il a largement été traité par ailleurs.

L’Académie des sciences du Gansu a, depuis plusieurs décennies, pris en main un développement sans précédent de la recherche, et son actuel président, Wang Xudong a initié des campagnes de numérisation des fresques en parallèle à la copie des grottes effectuée par les enseignants-fresquistes. Par ailleurs, un atelier de recherches sur l’iconographie et la modernisation des motifs a été ouvert en 2016. Il a comme modèle le parcours de Chang Shana qui, durant plusieurs décennies a été à la tête d’équipes de copistes en parallèle à la poursuite d’un œuvre personnel au lavis très fortement inspiré de motifs naturalistes où les grottes reflètent le poids de leur magie.

MM. Hou Liming et Wang Xudong à l’inauguration du département de recherches en iconologie, créé en l’honneur de Chang Shana (2017).

Christophe Comentale et Chang Shana, à Pékin (2015).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De la variété des supports : de la pierre au papier

La présente exposition a lieu dans le cadre de la coopération triennale menée entre le Muséum et l’Académie des sciences depuis 2015. Elle met en perspective les liens entre science et art contemporain. Pour cette première exposition de fonds occidentaux et chinois sur ce site, les supports, le mode de fabrication et de création des œuvres ont été les éléments fédérateurs qui ont induit une sélection spécifique.


De gauche à droite, ligne du haut : Pierre de rêve, Claire Moreau, Anouck Durand-Gasselin

De gauche à droite, ligne du bas : Fragment d’inscription palmyréenne, Pierre-Yves Freund


On trouve ainsi des « livres » en pierre (pierre de rêve calligraphiée), en os avec les os oraculaires contemporains de la dynastie des Shang et les créations de Claire Moreau, d’Anouck Durand-Gasselin, en pierre (pièces en cunéiformes des collections de l’association Bible et Terre Sainte), en plâtre avec les manuscrits de Pierre-Yves Freund, en bois, avec les ais de santal de La réunion des huit divinités taoïstes (dynastie Qing). Le métal est mêlé au bois et aux pages, livres, livres-objets ou réceptacles de Marc Vernier et Catherine Wintzenrieth ; Etienne Viard montre comment l’acier devient une succession de pages libres. Différents carnets-accordéons sont un mélange de papier à tissu chez Jean-Pierre Thomas), tandis que José San Martin crée une polychromie de gammes chargées caractéristiques des palettes de ce coloriste en constante recherches de tons aux associations surprenantes. Le carton est le matériau privilégié d’UG pour la taille de ses pop up sérigraphiques. Les supports de Marc Pessin deviennent des manuels d’une archéologie très personnelle ; il exécute des gaufrages innombrables relevés sur des pièces d’une archéologie toute née de l’imaginaire de ce chercheur de mondes qu’il fait surgir et anéantir pour les sacraliser dans son musée.



De gauche à droite, ligne du haut : Marc Vernier, Catherine Wintzenrieth, Etienne Viard

De gauche à droite, ligne du bas : Jean-Pierre Thomas, José San Martin, UG


Le papier enfin, est très représenté qui montre le puissant souffle de diversité chez les créateurs retenus au fil de très nombreuses reliures en accordéon anciennes et contemporaines d’éditions manuscrites, imprimées ou enrichies d’interventions multiples (lavis, acrylique, collages, photos). Une édition Qing du Jardin du Grain de Moutarde, des paysages célèbres, recueil d’estampages (ère Daoguang) ou de créateurs chinois et occidentaux : Henri Matisse, Victor Segalen, Mao Zedong, Ye Xin, Yuan Chin-taa, Zao Wou-ki [Zhao Wuji], Marie-Pierre Brunel, Alain Cardenas-Castro, Béatrice Coron, Guillaume Dégé, Frédéric Harranger, Joël Leick, Anna Romanello, Jacqueline Ricard, Jean-Marc Scanreigh, Régis Sénèque, Jean-Pierre Thomas,… Quelques reliures à ficelle avec des Contes populaires, manuscrits rehaussés de la dynastie Qing, des traités illustrés xylographiques comme celui sur les maladies des chevaux (éd. Qing) ou des Histoires de fantômes enrichies d’oeuvres et de calligraphies d’artistes chinois comme Chen Chao-pao ou Li Kuang-lang. La calligraphie occidentale est aussi présente avec des plats de Jean Dubuffet ou les associations entre plasticien et auteur également calligraphe.

Jean Dubuffet, Nunc stans, cycle de l’Hourloupe (1966)


De gauche à droite, ligne du haut : Victor Segalen, Mao Zedong, Ye Xin

De gauche à droite, ligne du bas : Yuan Chin-taa , Marie-Pierre Brunel, Alain Cardenas-Castro


Comme le rappellent les commissaires scientifiques de cette manifestation, Mme LOU Jie, directrice du centre et Christophe Comentale, sinologue, conservateur en chef honoraire au Muséum et enseignant à l’Institut catholique de Paris, spécialité Asie, « c’est la première fois qu’une exposition à caractère comparatiste réunissant des œuvres historiques et des artistes modernes et contemporains a pu faire le point sur l’importance des Routes de la Soie, vaste voie économique, géopolitique, culturelle qui permet en ce XXIe s. de mettre en perspective des civilisations aux préoccupations distantes les unes des autres ! ». Signalons pour finir que cette exposition est le troisième jalon des Nouvelles bibliophilies Est-Ouest : elle complète Lire en fête (Pékin, bibliothèque de la capitale, septembre 1998), puis Le livre d’artiste de Matisse à l’art contemporain (Taipei, Musée national d’histoire, juin 2007), toutes deux présentaient des œuvres patrimoniales Est – Ouest.

Une quatrième manifestation devrait se tenir en Asie et itinérer en Europe. Elle élargira les définitions des œuvres d’art, œuvres dites ethniques, populaires, à des œuvres d’apparat prises à une historiographie autre, tout comme avec la provenance d’œuvres tenant plus encore compte de la diversité culturelle internationale.


De gauche à droite, ligne du haut : Longo Murit, Li Xinjian, Contes populaires (fin dyn. Qing)

De gauche à droite, ligne du milieu : Christophe Ripa – Jean-Pierre Thomas, Jacqueline Ricard

De gauche à droite, ligne du bas :  Marc Pessin, Anna Romanello, Régis Sénèque


Cette tendance s’inscrit dans un vaste projet dit des Nouvelles routes de la Soie. Le projet est apparu en 2013 : ce vaste chantier – plus de 800 milliards d’euros d’investissements sur 900 projets – devrait permettre de relier l’Europe à l’Asie par deux routes : la première, ferroviaire, partirait du centre de la Chine et passerait pas le Kazakhstan, la Russie, la Pologne, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. L’autre, une route, maritime, partirait des ports européens (France, Grèce, Pays-Bas), traverserait la Méditerranée, le canal de Suez, la mer Rouge, l’Océan Indien jusqu’au Sri Lanka, descendrait jusqu’à Singapour puis remonterait vers Shanghai. Serait ainsi créée une ceinture commerciale (en chinois 一带一路, ce qui devient une ceinture une route en français) visant à mieux intégrer économiquement l’Eurasie.

En retour, la Chine entend récupérer de la croissance, au moment où son marché intérieur arrive à saturation. La nouvelle mondialisation sous-jacente sous ce projet partirait ainsi de la Chine avec un sens des routes de la Soie inversé comme cela a été rappelé récemment. Cette nouvelle approche géopolitique changera-t-elle beaucoup au statut de l’œuvre d’art ?


De gauche à droite : Abri près du site de Taersi ; Grottes de Mogao ; chiot à Dunhuang




书写的温度——从古代文献到现当代书籍艺术

撰文 阿兰·卡尔特纳斯-卡斯特罗(Alain Cardenas-Castro),柯孟德(Christophe Comentale)

翻译 胡嘉兴

我在1991年为AML杂志撰写过一篇文章,题为《新珍本研究(Pour une nouvelle bibliophilie)》,它让我对一些莫名其妙的形式主义禁锢产生了疑问。书籍的观念自九十年代以来一直在不停地演变,更确切地说,书籍的其它定义渐渐被接受了。因此,书籍的不同布局方式成为可能——这里说的是作为艺术作品的书籍,更强调的是它们在知识性、设计和美学上的重要性,而不局限于它们的商品价值。这些书籍完全是文化、政治、社会、经济各个方面的互动中介,这些方面也不停地影响着书籍内在价值。

有鉴于此,在2018年七月30日到八月30日,上百件彰显了中西方从古代到现当代的多样性传统的考古文献和艺术创作书,汇聚在中国甘肃省的敦煌研究院敦煌石窟保护研究陈列中心展出。

伴随展览的还有一本内容详实丰富的汉法英三语画册,由敦煌石窟保护研究陈列中心编辑发行。


上图 莫高窟

下图 敦煌石窟保护研究陈列中心


丝绸之路上的沙漠绿洲

敦煌遗址有着492个从公元四到十四世纪绘制的壁画洞窟,壁画面积达45000平方米,被联合国教科文组织评定为全人类共同文化遗产。该遗址是古代丝绸之路上的一个重要关卡。二十世纪初,在十七号洞窟里发现了几万件手写本和木刻雕版印刷物(包括手卷、线装书等),以及现今分散藏于西方文化机构(包括法国国家图书馆、法国吉美博物馆和大英博物馆)的文书,这些书籍的形式及其演变历史,激发了无数的研究行动。

敦煌研究院在近几十年以来展开了史无前例的研究,在现任院长王旭东先生的带领下,将洞窟壁画数字化,同时组织壁画专家制作壁画摹本。此外还在2016年成立了一个图像学研究和敦煌图案现代化研究工作室。这些做法无疑是追随了常沙娜的脚步,她在几十年里不仅担负敦煌壁画摹写团队的领队人,同时还深受洞窟壁画中极其丰富的自然主义图案的启发,为她个人的水墨创作探索出新的道路。

侯黎明和王旭东在图案研究工作室的启动典礼上(2017年)

柯孟德和常沙娜在北京的合影(2015年)

 

 

 

 

 

 

 

从石头到纸:书写材质的丰富性

这次展览是在法国国家自然历史博物馆和敦煌研究院从2015年签署的三年合作计划框架下举办的。展览将科学与当代艺术联系在一起。它是在敦煌遗址上首次联合展示西方和中国的文物与艺术品,作品的材质、制作和创作方式都在挑选作品过程中起着重要作用。


上排从左到右 云石、克莱尔·莫罗(Claire Moreau)、阿努克·杜朗-加塞林(Anouck Durand-Gasselin)

下排从左到右 巴尔米拉文字残片、皮埃尔-伊夫·弗伦德(Pierre-Yves Freund)


我们可以看到这些“书”的不同材质:有的用石头(带有书法题款的梦之石),有的用骨头,比如中国商代甲骨文以及当代创作(克莱尔·莫罗、阿努克·杜朗-加塞林用骨头创作的书),有的用泥土或石质材料(圣经与圣土协会收藏的楔形文字器物),有的用石膏(皮埃尔-伊夫·弗伦德的作品),还有的用木头(清代用檀木制作的《蟠桃八仙会》)。在马克·维尔尼耶(Marc Vernier)和卡特琳·文增利耶特(Catherine Wintzenrieth)的物品书籍中,金属被镶嵌在木头和书页里;埃蒂安·维亚(Etienne Viard)把钢材变成连续的散页。在让-皮埃尔·托马斯(Jean-Pierre Thomas)的作品中,纸张和布料混合成线装本,而色彩画家约瑟·圣·马丁(José San Martin)则在作品中延续了他一贯的颜色探索,杂糅了不同色调,做成一件色彩纷呈的独特作品。艺术家UG偏爱用卡片进行系列创作,制作出各种形状和有弹出效果的书,马克·佩桑(Marc Pessin)则是一个充满个人考古风格的代表性艺术家,他创作了无数的想象中的考古物品,并将这些不无虚幻的物件神圣化地摆放在自己的博物馆中。



上排从左到右 马克·维尔尼耶、卡特琳·文增利耶特、埃蒂安·维亚

下排从左到右 让-皮埃尔·托马斯、约瑟·圣·马丁、UG


如果要说被艺术家们最大限度地拓展其可能性的材质,那还是纸。从古代的线装书到当代的手写本、印刷本或者是综合材料的创作书(水墨、丙烯、拼贴、摄影等等),皆是以纸作为载体。我们可以看到清代道光年间的《芥子园画传》,还有中西方的当代艺术家:亨利·马蒂斯(Henri Matisse)、维克多·谢阁兰(Victor Segalen)、毛泽东、叶欣、袁金塔、赵无极、玛丽-皮埃尔·布鲁奈勒(Marie-Pierre Brunel)、阿兰·卡尔特纳斯-卡斯特罗(Alain Cardenas-Castro)、贝阿特丽思·柯容(Béatrice Coron),纪饶姆·戴热(Guillaume Dégé)、弗里德里克·阿朗热(Frédéric Harranger)、Joël Leick, Anna Romanello, 雅克琳·理查(Jacqueline Ricard), 让-皮埃尔·托马斯(Jean-Pierre Thomas)等等。清代出版的线装书《民间故事》,还有清代雕版木刻插图的《元亨全图疗牛马驼集》,中国艺术家陈潮宝的书画作品集《搜神后记》等。西方书法的代表作品有让·杜布菲(Jean Dubuffet)的作品,还有其他画家和书法家的联合创作。

让·杜布菲, « Nunc stans, cycle de l’Hourloupe » (1966年)


上排从左到右 维克多·谢阁兰、毛泽东、叶欣

下排从左到右 袁金塔、玛丽-皮埃尔·布鲁奈勒、阿兰·卡尔特纳斯-卡斯特罗


诚如本次展览的策展人敦煌石窟保护研究陈列中心娄婕女士和汉学家、法国自然历史博物馆主任研究员以及巴黎天主教大学教师柯孟德先生所言:“这是第一次具有比较研究性质,并且汇集了历史上的和现当代艺术家的作品的展览,彰显了在经济、地缘政治和文化上发挥重大作用的丝绸之路,在二十一世纪的今天仍然连接着不同的文明。”需要重申的是,此次展览还是“东西方新版本研究和欣赏”计划的第三个活动,前面两次分别为“诗与画的交融”(北京国家图书馆,1998年九月),和“艺术家的书:从马蹄斯到当代艺术”(台北国家历史博物馆,2007年六月),这两次展览都是展示了东西方文化传统的重要作品。

接下来的第四次展览应该会关注亚洲和欧洲本土,对艺术作品的概念予以拓展,将民族志器物、民间物品等属于历史上的一些器物纳入其中,着重考虑作品的来源,展示国际文化多样性。


上排从左到右 龙构·穆力(Longo Murit)、李新建、《民间故事》(晚清)

下排从左到右 路易·穆朗代(Luis Melendez)、雅克琳·理查(Jacqueline Ricard)、马克·佩桑

下排从左到右 马克·佩桑、安娜·罗马内罗(Anna Romanello)、黑基·塞内克(Régis Sénèque


这些活动之所以能够开展,乃是新丝绸之路之大计使然。这一计划出现于2013年,对900多个项目进行了超过八千亿欧元的投资,它使亚洲和欧洲从两条路被连接起来:第一条是铁路,从中国中部出发,向西连接哈萨克斯坦、俄罗斯、波兰、德国、法国和英国;第二条则是海路,从欧洲各港口(法国、希腊、荷兰)出发,穿过地中海、苏伊士运河、红海、印度洋,到斯里兰卡,然后经由新加坡回到上海,最终形成“一带一路”的亚欧经济带。

中国在国内市场日趋饱和之时,意欲寻求新的增长方略。在近年发展起来的一带一路的思维下,新的世界格局正在悄然形成。这一地缘政治的新局面对艺术作品将会有重大影响吗?不妨拭目以待。


从左到右 塔尔寺、莫高窟、敦煌的小狗


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