par Christophe Comentale et Alain Cardenas-Castro
L’année 2018 est un crû décalé !
Le temps passé à regarder, à comprendre, à apprécier, a été, ce dernier week-end d’avril, bien plus rapide que l’an dernier ! Le temps ? Une morosité ambiante, des invités très inégaux — heureusement ! — parfois carrément décevants. En fait, un parcours plus architecturé, à l’aune des musées « nouvelles générations ».
Est-ce dû au fait qu’une certaine endogamie — politico-administrative — a imposé des lignes, tendances assez contestées, des pratiques centrées sur les nouvelles technologies, l’adoption de logiciels, accessoires contemporains que les créateurs détournent parfois avec une ingénuité étonnante et savamment contrôlée. Etonnants, encore, ces besoins de montrer des morceaux d’un récit, d’un journal personnel. En dépit de cette volonté d’autoanalyse, peu ont réussi véritablement ce difficile exercice et, surtout, celui de communiquer cette partie d’eux-mêmes à des visiteurs qu’une certaine consommation d’images rebute. En tout cas, les Montrougeois(e)s ont la chance d’être tenus au courant de ce que produit le temps qui passe !
52 artistes retenus sur 1687 candidats, avec, si l’on s’en tient aux statistiques officielles : 23 femmes, 27 hommes et 2 collectifs. 12 nationalités différentes, l’artiste le plus âgé est né en 1979, le plus jeune en 1993.
Des produits des installations électro-acoustiques et assimilées, on retiendra la série « Orly (2017), épreuve chromogène sur Kodak Duraclear, unique 55 x 40 cm » de ◙ Baptiste Rabichon : L’ensemble donne des motifs arcopal aux formes simples toutes proches des années 60, un ensemble assez pur ! Une inspiration qui renvoie à celle des époux Orlando, des œuvres de Yu Peng aussi ou d’Annie Bascoul. Ou à bon nombre de performeurs chinois, continent qui a déjà accueilli ce jeune créateur.
Pour ces tenants d’un art de l’élégance, qu’elle soit feinte ou suggérée, appuyée par des choix hétéroclites, certes, mais animés d’une idée qui est celle de montrer la diversité du monde, de faire passer avec un décalage intégré, le côté bazar permanent qui défile sur ces écrans ou des œuvres semblant sorties de séries rares, toutes renvoient cette même fascination, un regard qui les assimile à des objets de consommation courante ou, au contraire, choisie, ceux qui donnent l’illusion du bonheur. Il n’empêche qu’une bonne utilisation des scanners aéroportuaires confère aux voyageurs un optimisme qui se retrouve ici une fois passé ce lieu glauque.
Qu’il s’attache à photographier un balcon, à rendre des motifs d’imprimés à fleurs ou, encore une fois ces séries que Jean-Christophe Averty n’aurait pas reniées dans Dim Dam Dom, Baptiste Rabichon réussit son passage aux cimaises, savoir intéresser, critiquer avec élégance et fort d’un langage nourri.
Quant à ◙ Clara Saracho de Almeida, née en 1990 à Pampelune et résidente à Paris, ses interprétations de l’Antiquité donnent un produit culturel également déroutant avec Antipodes et une superbe vidéo sans fin où l’on découvre, subjugués, comment se tenir sur un cône renversé métallique pour garder son équilibre. Ressourçant !

Clara Saracho de Almeida, Antipodes, sur la plante du pied (2016-2018), impression jet d’encre sur toile, tissu, métal, polyester et vidéo.
● Fabien Marques, né en 1982 à Pau, vit et travaille à Dunkerque. Sa série sur l’assassinat du footballeur Luciano Re Cecconi qui, en 1977, se fait abattre alors qu’il s’amuse à faire mine de braquer un bijoutier, ranime un débat assez ordinaire sur le rapport œuvre / spectateur.
En l’occurrence, seuls les italophones iront au bout de la compréhension du sujet, faute de quoi, ce sera un survol sur un lieu assez impersonnel certainement voulu par l’artiste, en effet — aucun effort de scénographie apparente pour que le spectateur soit impliqué, mais la banalité d’une scène qui, répétée à l’envi, suscite assez vite un ennui comparable à celui des troupeaux voyant passer les trains ce qui est justifié par cette atmosphère de « fatti di cronaca » qui rassure sur la multiplicité des cultures face aux formats anglo-américains ; de même, l’Asie, consciencieusement ignorée, produit des « faits divers » dont les créateurs jeunes et talentueux auraient toute leur place ici (les frères Gao, Liu Hanzhi,…).
Fabien Marques, Solo un gioco (2017), Tirages photographiques, images d’archives, objets trouvés, impressions diverse, installation en bois.
●● Jules Cruveiller, né en 1989 à Paris vit et travaille à Bagnolet.
Il mêle et domine avec à-propos dessin, peinture aux figures pour créer des scènes à la fois dérisoires et grandioses, ayant en cela assimilé des pans de la culture industrielle des décennies passées. Il n’empêche que ses œuvres-hybrides ont une somptuosité qui questionne et implique le spectateur devenu comme le lecteur d’un roman qui laisse planer toutes les possibilités d’une appropriation ou d’un refus basés sur la densité des plages de réel créées au sein de la fiction.
Jules Cruveiller, Noir et mémoire (2013-2016), crayon sur papier
●●● Yann Lacroix, né en 1986 à Clermont-Ferrand, bon vivant et travailleur à Paris, traduit des paysages de rêve, des reflets de choses vues avec un style très années 60-80 (Chen Kin-chung, Hopper, Hockney,… Qu’il cultive ici la dérision, le refus ou un sentiment autre, il sait impliquer le spectateur plutôt simple, comme celui qui est à l’allant des suborneurs du réel pétri ou non d’une culture humaniste à visée plutôt positive – même si cela semble banni a priori en raison d’une culpabilité sociale insufflée par une classe dirigeante patiente et perverse – pour adopter la tendance inverse qui consiste à prendre comme axe positif la déréliction sociale, celle-là même qui attire ceux qui en sont exclus. Cet homme jeune semble avoir compris quel monde devrait lui permettre de se trouver, de se réaliser, principe qui est important et reste constant entre les beaux-arts et l’industrie…
●●●● Octave Courtin
Né en 1991 à Paris où il vit et travaille, il donne à son travail une approche à la fois ludique, construite et classique avec des installations – séquences de vie, d’effort et de projection de soi à travers un monde bien ponctué. Couleurs, formes, espace, la leçon des aînés en activité voilà trois décennies. Parmi ceux-ci, rappelons Éric Duyckaerts, Régis Sénèque, Charlotte Hubert, Florent Audoye.
« Mon travail en tant qu’artiste sonore se déploie au travers
de la performance et de l’installation. Si le son peut
être perçu comme fil conducteur, il conserve des enjeux
éminemment plastiques »
- Au bout du plongeoir, résidence de recherche, Thorigné-Fouillard, 2016. Photographie de Louise Quignon
- Musée des Beaux-Arts de Rennes, exposition Hunky Dory, 2016
- Un dimanche au Thabor, Rennes, 2016
Bourdons (2016), Performance, cornemuses, sacs à gravât. Durée et dimensions variables
●●●●● Postsurréaliste aérien, Baptiste Cesar
Né en 1983 à Tavera, vit et travaille à Paris. Ses monuments de bric et de broc se soucient peu du réel, de l’engagement comme base nécessaire à sa création, de ses œuvres encore un peu approximatives, on attend encore davantage de maîtrise de tous les éléments du réel auquel il pioche sans gêne afin d’imposer son talent de joueur social à tous ! Il suffisait de voir l’intérêt des visiteurs, charmés par une vision du monde, certes, impossible, mais où l’humour et la dérision étaient constructifs !

Ronan Le Creurer, Une arrivée qui vient déranger les tuiles du toit (2018), Tubes de carbone pullwinding, frittage laser impression3D, tissus de tentes assemblés
Cette année on sent l’orchestration omniprésente d’Ami Barak & Marie Gautier : le Salon de Montrouge montre, certes, une diversité d’artistes qui interrogent le plus souvent un passé ou un futur au travers des analyses d’un réel morose. Des styles attendus se dispersent sous quatre chapitres définis par les deux commissaires d’exposition. Ils sont parfaitement structurés — les chapitres — grâce à une scénographie discrète permettant « une expérience ludique du Salon ». S’y ajoute un accompagnement tout en fluidité par Camille Baudelaire et Jérémie Harper pour l’identité visuelle.
En effet, les designers Ramy Fischler et Vincent le Bourdon en charge de la scénographie ont décidé d’ordonner « le dispositif un peu labyrinthique de l’an dernier ». Ce nouveau plan se calque sur l’architecture du bâtiment qui date des années 1930. Ces deux spécialistes de l’objet et de sa mise en scène dans l’espace ont envisagé la scénographie du Salon « comme un travail de médiation entre les visiteurs, les projets artistiques et le discours curatorial ». Une formidable prestation ? Il est vrai que le « Salon de Montrouge, même au bout de 62 ans, doit rester frais ».

Paul Duncombe, On the possibility of life (2018), Carcasse de voiture, végétaux, microfaune, pompe, microcontrôleur et éclairage horticole (détail)
Pour le public, entrainé par ce guidage scénographique, il n’est plus possible de se perdre comme l’année précédente, mais par contre en fin de parcours il est possible de ressentir un manque de satiété nous entrainant à refaire un tour, certainement dû à l’effet ludique généré par les tracés des scénographes.
Après un ou deux parcours de visite ergonomique, même si l’on note le recul du recours au dispositif vidéo cette année, l’image animée est très souvent intégrée aux œuvres et il est possible de ressentir une impression de déjà vu rassurante.
De gauche à droite : Mali Arun, Paradisus (2015), vidéo 9′ ; Elise Eeraerts Burning mass (blocks) (2015-2016), vidéo, 13’59 » ; Chaulapin (2018), (vidéos non identifiées sur le cartel) ; Jules Cruveiller, Animal représentant (2017), vidéo, 1080-1920, 6’4 ».
Reprises, déplacements, les artistes remanient essentiellement les mêmes configurations esthétiques rassemblant des morceaux de nature dans des constructions besogneuses. Des environnements plus ou moins lointains sont déclinés pour discourir de façon récurrente de la confrontation de l’humanité face à la Nature.
Quelques éléments formellement perturbateurs et certainement attendus se sont disséminés sur ce plan panoptique à partir duquel on peut de façon toujours ludique s’amuser à intervertir les cartels des œuvres d’artistes différents.
Malgré ce manque de dynamisme d’un nombre non négligeable de participants, il reste important que les possibilités de montrer leurs œuvres pour des créateurs encore jeunes, subsistent. Saluons ce 63e effort d’une municipalité ouverte.