Des collections entre éphémère et permanent : la fondation-musée Louis Vouland et la collection François Dautresme

par Christophe Comentale

Les contradictions, indiscrétions, confusions ne cessent d’atteindre ce qui touche la constitution, la gestion de patrimoines. Anciens, récents, ils sont assimilés à un statut d’objets hors du commun, sublimés quand tel n’est pas le cas.

Il n’empêche que, comme dit l’adage « on ne prête qu’aux riches ». La maxime demande, certes, à être explicitée, précisée, afin de ne pas laisser les nouvelles diffusées par des professionnels optimistes ou idéalistes, voire peu scrupuleux, de la communication, déformer la raison d’être du patrimoine.

En France, les statuts des musées sont régis par différents textes qui leur donnent une permanence et une stabilité face au temps qui passe et aux événements qui constellent notre vie.

Quant au concept de patrimoine, il a bien évolué au fil du temps, mais reste en dépit des critères retenus, un ensemble légué par nos pères, nos aînés, au sens plus large.

De la collection en général

L’acte de collecter, de mettre ensemble des échantillons, des séries, est impulsif, réfléchi, envisagé dans l’intensité d’un moment ou dans la durée que sous-entend une passion ancrée au plus profond de l’imaginaire et du temps.

Ce centre d’intérêt très individuel, s’il veut avoir quelque prolongement, quelque chance d’être diffusé suppose souvent une réflexion plurielle. Outre l’intérêt intrinsèque des pièces, il faut réfléchir au lieu d’accueil, une simple armoire, un coin d’une pièce, un bâtiment, voire un gratte-ciel entier. A contrario de cet acte actif, il est tout aussi possible de se trouver face à face avec un ensemble de pièces rassemblées par autrui et dont l’on est devenu propriétaire. Chacune des situations évoquées présente ses avantages et ses inconvénients.

La collection constituée par un enfant (ill. 1) pourra être éliminée avec autant de facilité qu’elle a été accumulée. Si c’est le fait d’un adolescent, la marque, l’attachement se feront plus concertés.

Motoko Tachikawa, Le trésor de Yukiko (2011) Paris : chez l’auteur, 2011, 14 x 16 x 3,5 cm, leporello, 12 plis sous coffret toilé.
Iimpression numérique sur papier japon Awagami-Inbé

La plasticienne Motoko Tachikawa a fait un livre avec les « trésors » trouvés au quotidien dans la poche de sa fille Yukiko lorsque cette dernière revenait de classe et qu’elle déposait les petites choses, périssables ou non sur un coin de sa table. Nombre d’éléments, comme les feuilles de gingko, ont disparu, d’autres sont encore là. L’œuvre a, ici, donné vie et permanence à ce geste répété et éphémère.

L’appartenance à un groupe social plus ou moins propice à la thésaurisation va renforcer l’intérêt lié à ces pièces. Alors se pose rapidement la question des conditions d’accueil, des acquisitions, de la conservation, aspects toujours envisagés sans pérennité particulière, juste le temps que l’intérêt s’émousse.

Une collection n’est pas en soi un ensemble précieux, il le devient en fonction de certains facteurs d’attention, de rareté ou de rituels autres.

Les pièces ainsi rassemblées le sont en raison d’acquisition, de troc, de dons,…elles s’affirment comme des éléments signifiants d’une recherche, d’une quête, d’un loisir. Un lien pluriel les unit à d’autres secteurs de l’activité humaine : celui des juristes pour la propriété, des assureurs et des experts pour la détermination d’une valeur, des conservateurs pour l’identification au sein du patrimoine, des politiques pour leur insertion officielle dans la cité….

Un consensus s’établit parfois entre ces différents pôles d’un intérêt supérieur : celui de la magie des objets pour les uns, celui de leur valeur pour les autres qui se placent alors dans une perspective de continuité. Cette perspective dépasse alors la notion de durée humaine pour pénétrer dans celle de la durée patrimoniale, celle des ancêtres, de ceux qui sont à l’origine de cette collecte.

Les hasards de visites dirigent selon les rencontres vers des zones particulières voire même antithétiques. Les exemples fournis par le musée Vouland, un établissement à statut de fondation reconnue d’utilité publique et la collection de François Dautresme sont révélateurs de l’importance des parcours qui permettent à partir de la collecte d’assurer à la pièce sa pérennité.

Musée Vouland, une des salles du rez-de-chaussée. © Lepeltier

D’un collectionneur du XIXe siècle

Sis au sein de la cité papale, dans le quartier de la rue Victor-Hugo qui témoigne des grands travaux d’urbanisation entrepris à la fin du XIXe siècle, le musée Vouland, l’hôtel particulier de Villeneuve-Esclapon, offre le charme des hôtels particuliers construits à cette époque. Ses façades, d’inspiration classique, sont ordonnancées en larges ouvertures, un grand hall d’entrée mène à des salons de réception au rez-de-chaussée ; c’est par un imposant escalier que l’on accède au premier étage desservi en pièces d’habitation. Les aménagements des nombreuses dépendances dénotent le souci du décorum  et un attrait vers la modernité caractéristique du temps. Sa façade sud, à l’abri des regards, ouvre sur un agréable jardin ensoleillé et préserve une intimité provinciale.

Objets de lettré, verseuses à eau pour la calligraphie en céramique bleu turquoise, ovin sur socle de bronze doré et oiseau, Chine, fin du XVIIIe s. © Christophe Comentale

Mathilde de Thysebaërt, qui épousa à Hyères, le 26 novembre 1872 Marie Xavier Arthur de Villeneuve-Esclapon, achète en 1879 un terrain jouxtant la rue Saint-Dominique, qui deviendra la rue Victor-Hugo où elle fait construire un hôtel particulier, son mari étant depuis le 24 mai 1877 secrétaire général du département de Vaucluse. Les Villeneuve y résident quelque temps puis le vendent en 1897 à Marie Camp. Après la mort de celle-ci, l’hôtel est acheté le 14 novembre 1927 par l’industriel Louis Vouland. Ce dernier, collectionneur passionné, meuble cette nouvelle demeure grâce à de nombreuses acquisitions provenant de grandes ventes de l’époque, notamment à l’Hôtel Drouot.

La Fondation Louis Vouland

Louis Vouland (1883-1973), industriel et collectionneur, lègue à sa mort son hôtel particulier et ses collections à la Fondation de France afin d’institutionnaliser et de faire reconnaître, conserver et protéger ses fonds. La Fondation de France, organisme de gestion, lui obtient le statut de fondation reconnue d’utilité publique par décret du 1er juin 1977. La fondation Vouland est habilitée à recevoir dons et legs.

La Fondation Louis Vouland, actuellement présidée par Gérard Guerre. De type autonome, elle est administrée par un conseil de douze membres désignés ou élus. Ses activités principales, définies par le donateur selon deux grands axes sont :

– L’administration du bon fonctionnement de l’institution que 12 membres nommés ou élus dirigent sous l’autorité d’un président élu.

– L’étude dans la région provençale et languedocienne de l’histoire et de l’art des constructions et du mobilier antérieurs à 1900.

Par ailleurs, elle prend en charge :

– La conservation, l’accroissement, la connaissance des collections du musée.

– Les salaires des personnels scientifiques et techniques du musée.

La Fondation s’illustre également dans le domaine provençal en remettant deux prix annuels :

– Le Prix de la Vocation provençale, à caractère culturel, récompense une personne âgée de moins de 30 ans qui s’investit dans le domaine historique, artistique, linguistique régional.

– Le Prix Jacques Léon, à caractère économique, distingue un artisan ou une entreprise de la région dont l’activité contribue au rayonnement de l’identité provençale dans le monde moderne.

Déclarée d’utilité publique par décret ministériel du 1er juin 1977, la Fondation Louis Vouland est une fondation privée qui est donc habilitée à recevoir dons et legs.

Musée Vouland, la chambre chinoise, lit à baldaquin, bois peint et doré et objets de curiosité. © lepeltier

L’une des clauses de fonctionnement du musée Vouland est intéressante à plus d’un titre, il s’agit de celle qui permet des acquisitions d’œuvres pour compléter les collections. La présence de personnels scientifiques contribue à la mise en œuvre d’une politique totalement différente de celle de son fondateur, mais harmonieusement complétée dans une optique muséale qui va être en l’occurrence de redonner vie à l’établissement dans la mesure où sa fréquentation va induire une sorte d’utilité sociale, reflet des statistiques de fréquentation…

Il n’empêche que, parallèlement aux souhaits du fondateur, si l’établissement veut drainer des visiteurs nouveaux, fidéliser les visiteurs parfois inscrits à la société des amis du musée, il ne peut compter sur les seules acquisitions de pièces nouvelles ou de dons. C’est pourquoi des manifestations temporaires sans lien direct avec le fonds initial ont impulsé un souffle neuf à l’établissement.

Le rechargement des batteries de l’une des œuvres exposées. photo © Christophe Comentale

Du 2 juin au 1er octobre 2017, l’exposition Hortus 2.0 est proposée en liaison avec la fondation-musée Angladon. Des artistes spécialisés dans l’art numérique s’interrogent sur la thématique du jardin, de ses merveilles et de ses infinies métamorphoses, au total, d’une trentaine d’œuvres dont certaines sont spécifiquement créées pour les espaces du musée qui les accueille : herbiers numériques, plantes virtuelles, végétations odorantes, sculptures végétales en 3D, jardin sonore et plantes tactiles dessinent ainsi les contours d’un jardin devenu le lieu de toutes les métaphores et transfigurations artistiques. Les installations disséminées ici et là, même si elles n’ont stricto sensu, rien à voir avec l’état d’esprit dans lequel son fondateur a œuvré pour son seul plaisir, ont tiré parti de l’espace en continuant de développer l’aspect cabinet de curiosité qui est ce qui frappe quand l’on entre dans ce lieu.

Des fonds divers

Quand l’industriel avignonnais Louis Vouland commence à étoffer ses collections, acquises au fil de ventes, il n’a pas en tête un projet d’établissement patrimonial, mais le simple plaisir, au gré de son goût autant classique que baroque parfois, des pièces dites d’arts décoratifs des XVIIe et XVIIIe siècles. François Dautresme, fondateur de la Compagnie Française de l’Orient et de la Chine, est un homme d’affaires avisé tout autant qu’un homme de goût et voyageur curieux. Il a les qualités du chercheur, la précision d’un ethnologue sachant choisir une pièce ainsi que les documents papier, manuscrits qui en disent l’intérêt. Il a laissé dix mille pièces en attente d’un lieu de mémoire.

Arts Décoratifs et mobilier

Comme pour un certain nombre de collections apparues au cours des XVIIIe et XIXe siècles (Cernuschi, Nissim de Camondo, Dobrée, Cognacq-Jay, Custodia…), la personnalité des fondateurs explique les choix parfois surprenants qui se reflètent à travers certains fonds, « régulés » par l’œil des collègues en charge depuis lors dans ces lieux de mémoire. Les pièces acquises par Louis Vouland reflètent un éclectisme prudent, dispensateur d’une vision stable de la culture qui repose sur la prospérité économique vectrice et soutien des beaux-arts. La directrice du musée, Odile Guichard, a mêlé quelques pièces plus récentes ou complémentaires au niveau thématique afin de se tourner vers une création ouverte à cette collection représentative des grands siècles français et de l’intérêt pour des contrées autres, ce qui explique la présence de pièces chinoises.

Parmi ce mobilier mis en place selon une scénographie classique, se remarque un riche ensemble de meubles signés des maîtres  ébénistes parisiens de l’époque Louis XV et une exceptionnelle collection de céramiques où se distingue  une belle collection de faïences représentatives des centres du Midi, Marseille, Moustier, des  pièces d’orfèvrerie et d’horlogerie, tapisseries, peintures et œuvres d’art  évoquent avec charme l’évolution de l’art de vivre depuis la fin de la Renaissance jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. La présence des peintres provençaux constitue le deuxième axe des collections, en particulier avec la nouvelle école d’Avignon et les peintres de la Provence.

De la donation Dautresme au musée Vouland

Afin de permettre un étoffement et une plus grande diversité des fonds, le musée accepte parfois des dons provenant de particuliers, d’institutions diverses et variées. Tout récemment, Madame Françoise Dautresme, ayant-droit de la succession François Dautresme (1925-2002), arpenteur de l’empire du Milieu, – et, par ailleurs, fondateur de la Compagnie française de l’Orient et de la Chine, qui était située au 170 boulevard Haussmann à Paris 8eoù il a collecté plusieurs dizaines de milliers de pièces, a accepté de faire une donation de pièces chinoises et occidentales au musée Vouland.

François Dautresme, comme le rappelle sa cousine « faisait inlassablement l’éloge de l’essentiel, de cet Art de vivre, art de survivre, repris pour l’exposition que la Fondation Miro’, à Barcelone, lui a consacré en 1995. En 2004, Chine, trésors du quotidien, a lieu au Grimaldi Forum de Monaco du 10 avril au 16 mai 2010. Avec Chine, célébration de la terre, en l’Espace Fondation EDF, à Paris, est exposé à l’automne 2010, un ensemble qui mêle le raffinement des objets de vannerie adaptés à chaque usage : nasses à crevettes, poissons, cages à volailles, serpents, pigeons, grenouilles, innombrables paniers à cochon et autres bestioles, ou panier géant destiné à recevoir le grain tamisé, hottes en bambou aux multiples formes et propos. Pour chaque tâche, un récipient, un outil adéquats et une étonnante noria de bois ».

Durant quarante ans, François Dautresme a manifesté une insatiable curiosité des savoir-faire, pour un patrimoine lié au quotidien, à l’archéologie et à des aspects divers de la culture chinoise qu’il craignait de voir disparaître à tout jamais. Ce qui l’a poussé à passer une importante partie de son temps à courir les campagnes reculées de la Chine, du Henan à la Mongolie, et jusqu’aux lisières des sables du Taklamakan. Il y a, par ailleurs, acquis des livres pratiques : manuels de médecine traditionnelle chinoise, flores, gravures sur bois de Nouvel an,…

Il a aussi photographié sans relâche différents points du pays et laisse un œuvre photographique riche de quelque 35 000 photos.

Parmi les pièces de la collection F. Dautresme. Ensemble d’ornements en plumes de martin-pêcheur et pierres dures (dyn. Qing). photo © Christophe Comentale

Ensemble boulier et accessoire de lettré avec pierre à encre portable (coll. F. Dautresme). photo © Christophe Comentale

Sifflets à pigeons, deux portent la mention de l’année, 1987. photo © Christophe Comentale

Cahiers consignant les achats de François Dautresme (coll. Archives FD), (n° d’inv 67), photo © Christophe Comentale

La collection Dautresme

C’est à Saint-Denis, aux portes de Paris, dans l’entrepôt familial, que Françoise Dautresme, cousine de M. Du – du nom chinois de François
Dautresme -, aujourd’hui disparu, conserve et protège depuis 2002 l’ensemble de la collection. Quelque 10 000 objets, soigneusement classés par thèmes, et dont selon le vœu le plus cher de son cousin, aurait été de les rendre accessibles de manière permanente, au public.

Ce patrimoine anonyme, collecté par un pionnier de la culture des campagnes en voie de disparition, éblouit par sa simple et utile beauté : calebasse-cage à grillon avec bouchon ciselé dans le jade, tunique en mailles de bambou utile contre les grandes chaleurs – le bambou reste toujours froid -, collages abstraits des chiffonnières, besace en saule, boîte à repas en bois peint, gris-gris d’argent, bols de terre à glacis bleu et vasques aux soixante couches de laque corail… jusqu’au manteau de pluie en fibre de palme tressée, pour le travail aux champs.

Les difficultés se sont succédé depuis une quinzaine d’années pour préserver ce patrimoine, en particulier un projet sous l’égide d’une institution scientifique et la Ville de Paris a été abandonné en 2016. Françoise Dautresme a été contrainte de vendre une partie importante de la collection et elle a souhaité laisser des pièces représentatives au centre multiculturel de Lodève, très tourné vers la civilisation chinoise ancienne et moderne.

Comme elle le rappelle, « Faute d’une action concertée, et aussi très simplement comme le projet n’a pu faire l’objet d’un consensus, seul, un florilège de ces fonds rappellera la place de ce découvreur d’objets dans la Chine des années 60 du XXe s. à l’an 2000 ».

Les mois à venir devraient permettre un développement sur le sort de cette collection unique.

Eléments bibliographiques

  • E. de Juigné de Lassigny, Histoire de la maison de Villeneuve en Provence, t. I Généalogie, Lyon, Imprimerie d’Alexandre Rey, 1900, 342 p. : ill.
  • Musée Louis Vouland, Avignon, fondation Louis Vouland, 2014, 120 p. : ill.
  • Boyer, Marie-France, Wonders of the world, photographies de Vincent Nnapp, in World of interiors, 2001, pp. 78- 85 : [20] ill.
  • Article sur la collection François Dautresme.
  • Evin, Florence, Les trésors de François Dautresme, alias Monsieur Du. http://www.lemonde.fr/culture/article/2010/09/06

Remerciements

Françoise Dautresme, Odile Guichard, Nathalie Charrier-Arrighi, Eric Fileyssant.

Aimez & partagez :