Parcours d’un fresquiste : formation, expériences et approches autres

Par Alain Cardenas-Castro

A l’issue du colloque organisé autour de l’exposition « La peinture au pigment de Dunhuang   • 敦煌岩彩画 », colloque  mis en place dans le cadre de la convention triennale entre l’Académie de Dunhuang et le Muséum national d’Histoire naturelle 5 chercheurs — cinq peintres-fresquistes de l’institut de Dunhuang, et deux chercheurs du Muséum, ont proposé leurs « Regards Est – Ouest sur les murs et fresques et l’art contemporain » au Centre multiculturel OMDP de Lodève, le 1er septembre 2017.

QUELQUES RAPPELS

Lors de cette journée de réflexion et de recherche j’ai présenté mon parcours de plasticien fresquiste et médiateur-chercheur au Muséum, depuis ma formation à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts (ENSBA) jusqu’à mes investigations actuelles. Ce parcours s’effectue autour des liens entre la peinture murale et le livre en passant par les différentes recherches et productions plastiques que j’ai pu mener.

Cette présentation s’est articulée en trois parties : d’abord, la partie dédiée à la formation à la technique de la peinture à fresque que j’ai suivie à L’ENSBA, ensuite, celle englobant les différentes expériences menées au cours de mon parcours artistique en tant que muraliste. Ces expériences convergent pour certaines vers mes activités de muséographe au travers d’exemples choisis. Enfin, la dernière partie, regroupe des approches expérimentales en art mural, qui participent de mes recherches plastiques, provoquant une synergie ouverte.

À BONNE ÉCOLE

En ouverture à cette présentation, j’ai décrit la teneur de mon apprentissage ainsi que les acteurs qui m’ont accompagné en tenant compte du temps de formation à cette technique particulière de peinture. Ce temps d’apprentissage s’est déroulé à L’ENSBA de 1983 à 1987. Il s’est confondu avec celui déployé à l’apprentissage d’autres techniques ainsi qu’aux essais de créations artistiques.

Pierre-Henri Ducos de La Haille, La France et les cinq continents (1931), Peinture à fresque, 80 m2. Forum du Palais de la Porte Dorée © CC BY 2.0 Jean-Pierre Dalbéra

De même que les peintres de Dunhuang ayant suivi un apprentissage transmis sur plusieurs générations successives, j’ai pu suivre un enseignement de la technique de peinture à fresque dispensé par le professeur Bernard Delamarche, pédagogue de renom et professeur de l’atelier de fresque depuis 1968. Il a succédé à Albert Le Normand[1].

 

 

 

[1] Co-fondateur du groupe Témoignage et professeur de chromatologie à l’École Estienne, il est professeur de fresque à l’ENSBA de 1966 à 1968. De même Albert Le Normand (1915-2013) a succédé à Pierre-Henri Ducos de La Haille (1889-1972), (l’auteur des peintures murales du Forum du Palais de la Porte Dorée, pour l’Exposition coloniale de 1931).

  1. EXPLORATIONS
  • L’apprentissage de la technique

L’apprentissage de la technique de la peinture à fresque passe le plus souvent par un travail de copie d’après des œuvres du répertoire mural classique, afin de comprendre et de se mesurer à une technique nécessitant une mise en œuvre considérable : ses modalités d’exécution sont particulières.

En effet la préparation du mur par l’application de couches de mortier puis d’enduit, à base de sable et de chaux, est une phase préliminaire fastidieuse mais indispensable. A cela s’ajoute le travail pictural d’apposition des pigments de couleur dilués à l’eau, sur la couche d’enduit. Cette dernière opération est délicate car la bonne dilution des poudres colorées doit être en adéquation avec l’humidité de la préparation et leur application doit être effectuée à un moment précis déterminé par le mur ainsi préparé. Cet intervalle à saisir — avant que l’enduit soit trop sec sans qu’il soit trop humide — est déterminant pour la bonne cohésion des pigments avec la couche d’enduit qui en séchant les fixe grâce à la présence de dioxyde de carbone dans l’air. Cela produit un phénomène de carbonatation de la chaux, de la surface vers l’intérieur de l’enduit et forme une enveloppe calcique qui emmure les pigments. L’enduit composé de chaux (Ca(OH)2), au contact avec le dioxyde de carbone (CO2) de l’air, forme par réaction du carbonate de calcium (CaCO3) : 
Ca(OH)2 + CO2 → CaCO3 + H22O

  • L’exercice de la copie

Pour l’exercice de la copie, j’ai emprunté les modèles au répertoire de la peinture murale romane (Voir illustrations ci-dessous). Ce choix a été motivé par l’affinité et les correspondances manifestes de ces peintures avec mes recherches et productions picturales et pour son extraordinaire variété de programmes décoratifs.

Pour exemples, les scènes de l’Ancien testament ornant la voûte de la nef de l’abbatiale de Saint-Savin-sur-Gartempe (XIIe – XIIIe s. Indre) ou celles plus énigmatiques — car comportant des parties manquantes qui ont disparues — de la crypte de l’église de Saint Nicolas de Tavant (fin du XIe s. Vienne). Ces deux exemples sont décrits à l’aide d’un vocabulaire plastique alliant la force et la simplicité des lignes et des couleurs. En premier lieu la force et la simplicité des lignes, mais à la différence que les deux sujets traités le sont différemment : librement, avec une vivacité fougueuse et une passion nourrie de cruauté par le Maître de Tavant à l’opposé des compositions équilibrées, animées des calmes figures du Liget, à Saint-Savin. (Voir en bibliographie). En second lieu la force et la simplicité des couleurs par l’emploi d’une gamme de pigments, allant principalement du blanc — carbonate de calcium (CaCO3) — au noir de charbon, en passant par les terres naturelles colorées avec des oxydes de fer : ocres jaunes, ocres rouges, terre verte, pour Saint-Savin et pour Tavant également, du blanc au noir avec l’emploi des mêmes terres naturelles colorées. (Voir en bibliographie). Elles sont révélatrices d’une volonté affirmée de communiquer un concept au plus grand nombre pour Saint-Savin et à un groupe plus restreint à Tavant. En les comparant aux strates narratives de mes peintures sur papier relatant une cosmogonie particulière, j’y ai remarqué une certaine connexité qui a orienté ce choix.

Peintures murales à fresque (XIIe – XIIIe s.), voûte de la nef de l’abbatiale de Saint-Savin-sur-Gartempe, Vienne                                                         © CC BY-SA 3.0 Guy Francis

Alain Cardenas-Castro, Sans titre (1982)   Peinture sur papier, pigments et liant vinylique 195 x 110 cm.                     Coll. A. Cardenas-C. © Alain Cardenas-Castro

 

 

 

 

Ce processus d’apprentissage par la copie qui influe sur une création personnelle est à rapprocher de celui des peintres, membres de l’Institut d’Art de l’Académie de Recherches de Dunhuang, qui sont autant des copistes œuvrant à la conservation à la protection et aussi à la mise en valeur du patrimoine de Dunhuang que des artistes s’exprimant de manière plus personnelle. Cela intervient au fil d’un travail d’interprétations des paysages de la région du Nord-Ouest et des représentations issues des 492 grottes et cavernes abritant plus de 45 000 mètres carrés de peintures murales de cet ensemble rupestre. Cet ensemble se compose principalement des grottes de Mogao, des grottes de Yulin et des cavernes des Milles Bouddha de l’est et de l’ouest. (Voir en bibliographie)

Pratiquer la copie s’est accompagné parallèlement d’un travail de création qui m’a été en partie inspiré par les modèles copiés. A cet effet, les représentations de chevaux que l’on retrouve dans l’iconographie de l’art mural roman m’ont intéressées pour leurs descriptions très expressives et le plus souvent en mouvement. Notamment les chevaux de la Chapelle absidiale de la travée sud de la crypte de la cathédrale d’Auxerre, dans l’Yonne, également celui de La Fresque de Église abbatiale Saint-Pierre de Méobecq, dans l’Indre. Et ceci afin de les prendre comme motifs pour en réaliser de libres interprétations.

Fresque romane (XIe s.), Mur Nord de l’abside en cul-de-four, Église abbatiale Saint-Pierre de Méobecq, Indre, France

Alain Cardenas-Castro, Chevaux (1984) Peinture à fresque sur panneaux de 200 x 50 cm. Coll. privée. © Alain Cardenas-Castro

« Christ à cheval », Chapelle absidiale de la travée sud de la crypte de la cathédrale d’Auxerre, Yonne                    © CC BY-SA Ka Teznik

 

  • Maîtrise technique et nouveaux protocoles

La poursuite de mon apprentissage a continué par la réalisation d’une série de fresques sur les murs de l’atelier des Beaux-arts ayant pour thème les chevaux. J’ai entrepris à partir de ce sujet un travail expérimental sur panneaux mobiles. En prenant ces supports pour les combiner en assemblage structuré, j’ai élaboré avec ces modules à organiser un dispositif permettant leur agencement tenant compte du cadre architectural in situ.

Ces assemblages de panneaux peints à fresque modifiant le principe de cette technique de peinture originellement inscrite à même le mur, m’ont permis de continuer à creuser ma recherche en l’adaptant à d’autres techniques de peinture moins contraignantes, applicables également à des supports mobiles d’autres natures, tels que le bois et le papier. Ce processus m’a été suggéré par l’évolution du retable à panneau unique — le principal vecteur du langage pictural avec la fresque en Italie au début du XIVe s. — vers le polyptyque à scènes multiples.

Alain Cardenas-Castro, Sans titre (1984)    Peinture à fresque sur panneaux de 200 x 50 cm, (vue de l’exposition Galerie de la Maison des Beaux-arts, 1985, Paris)                                          Coll. privée. © Alain Cardenas-Castro

Dietisalve di Speme et Guido da Siena, dossale de Badia Ardenga (Reconstruction hypothétique par Holger Manzke du dossale — de « dossale dell’altare », c’est à dire sur l’autel — de l’église de la Badia Ardenga, près de Montalcino, Province de Sienne. Voir en bibliographie).                                   © Wikimedia Commons

La prédelle, qui est le panneau inférieur du tableau d’autel ­— ou retable —, dans une église, est divisée en plusieurs compartiments peints. La prédelle a parfois été au cours du temps désolidarisée des retables auxquels elle appartenait et ses différents panneaux ont pu être démembrés. Ces éléments orphelins, ont souvent été présentés et analysés comme des œuvres distinctes, perdant leur signification iconographique due à leur appartenance à un ensemble d’origine. De ce fait on leur a parfois attribués une nouvelle interprétation. Mais parfois, ces ensembles dissociés de peintures multiples, peuvent retrouver leurs significations d’origine, au hasard d’une reconstitution (voir le plan de la reconstitution hypothétique du retable de Badia Ardenga ci-contre et en bibliographie). Ce principe de peintures fragmentées dont les thèmes sont soumis à des interprétations et à des questionnements, a participé aux avancements structurels et conceptuels de mes dispositifs muraux.

Je suis ainsi arrivé à concevoir des assemblages de panneaux en bois, sur lesquels d’abord — après les avoir apprêtés d’un fond blanc — j’ai peint directement, en utilisant des pigments de couleur, mélangés à un liant vinylique et dilué à l’eau. Poursuivant cette utilisation des pigments de couleur d’une gamme colorée restreinte, propre aux techniques de la peinture murale romane, j’ai par la suite travaillé sur des papiers de formats identiques afin de les maroufler sur les panneaux de bois. Enfin, j’ai diversifié les types de matériaux, en utilisant des papiers de natures différentes et de l’encre de chine noire. Et cela, tout en variant les interventions techniques sur le papier avant de le maroufler, par l’utilisation de la linogravure et du monotype.

Alain Cardenas-Castro, Assemblage (1986)            Pigments et liant vinylique sur panneaux de bois 20 x 30 cm.  Coll. privée © Alain Cardenas-Castro

Alain Cardenas-Castro, Génèse (2000) Acrylique, encre, linogravure, monotype sur papier marouflé sur panneaux de bois 20 x 30 cm. Coll. A. Cardenas-C.                                                                © Alain Cardenas-Castro

  • Le projet final

Après quatre années de formation à la technique de peinture à fresque, j’ai choisi de passer mon diplôme supérieur d’art plastique le 3 juillet 1987 en présentant une fresque exécutée sur les murs de l’atelier de l’ENSBA. Cette peinture murale d’une dimension de 60 mètres carrés a été réalisée en 33 morceaux sur une période de 3 ans. Cette réalisation à long terme, est due à la prise en considération des temps d’études théoriques et pratiques autres. Ce projet a été l’aboutissement de mon apprentissage à cette technique remarquable.

Cette fresque de grande dimension, est située sur le mur occidental de l’atelier à une hauteur de 7 mètres. Il est bien entendu qu’à cette hauteur de mur le recours à un échafaudage a été indispensable. Elle a été nécessairement positionnée à cet endroit, pour laisser place aux fresques de plus petits formats en position basse du mur. Cela s’explique pour deux raisons : d’une part, ces projets de moindres ampleurs sont de nature éphémères, car ils sont régulièrement détruits pour permettre la réalisation des nombreux projets en attente qui se succèdent, et d’autre part, la totale disponibilité de l’horizontalité du mur a été essentielle au projet.

Les 33 scènes de cet ensemble sont d’abord peintes avec une économie de coloris et sans perspectives. Ensuite, l’ajustement des contrastes et l’ordonnancement des couleurs sont préférés aux effets colorés et à la perspective. Enfin, les symboles sont choisis dans un vocabulaire de formes réalistes. Toutes ces caractéristiques analogues aux codes de la peinture murale romane, sont réunies pour illustrer la description d’un environnement particulier. En effet, le programme iconographique de cette fresque est un exercice de style qui déroule un résumé biographique en convoquant différents domaines scientifiques et artistiques qui vont de l’anthropologie à l’ethnologie en passant par l’art pariétal de la Préhistoire.

C’est un résumé biographique, car en premier lieu, Il révèle une compilation regroupant la somme des ressources picturales accumulées au cours des quatre années d’études et de recherches. Cela à partir d’essais, d’esquisses, d’œuvres achevées, le tout posé sur un plan mural. En second lieu, parce que cet ensemble traduit en langage plastique des préoccupations d’ordres mémoriel et métaphysique qui sont en rapport avec un espace d’application nourrissant encore actuellement mes recherches plastiques. Cet espace est celui du terrain particulier de la famille. Ce résumé biographique, est d’abord constitué d’un répertoire d’individus soumis à des liens de parenté me permettant d’établir un descriptif à la manière d’un historiographe. Ensuite, il est destiné à recueillir des personnages en situation, des lieux, des événements, qui sont retranscrits, fixés et transcendés au travers d’une grille de lecture pariétale. Enfin, il est aussi un prétexte, pour exhumer des instantanés de mémoire de cet environnement. Ils se répartissent en clichés assemblés dans les 33 séquences à lire, formant une écriture pictographique. Leur organisation propose des continuités inattendues et révélatrices d’autres sens.

Conséquemment, les différentes lectures de cette paroi peinte sont praticables du haut vers le bas, ou inversement du bas vers le haut, ou dans les deux sens de l’horizontalité selon le procédé du boustrophédon. Aussi, possiblement en sautant une strate et en assemblant visuellement des images. Les multiples éventualités s’avèrent riche de conjugaisons. En mettant bout à bout les trente deux scènes, il en résulterait quarante cinq mètres d’un déroulé à lire plus communément de manière mono-orientée.

Mais cette composition n’est certainement pas un trompe-l’œil. C’est au contraire l’élaboration d’un univers d’ordre chimérique, par une volonté de décrire un environnement particulier, animé d’une multitude d’objets symboliques et figés dans une non perspective. Dans ces espaces — les fonds blancs de l’enduit à base de chaux ou les grandes plages de couleurs nuancées —, une diversité de personnages et de figures stylisées entremêlées sont mis en avant. La perspective est remplacée par un système complexe « entre ce qui est « devant » et ce qui est « derrière », entre, les premier, deuxième et troisième plans. »

Alain Cardenas-Castro, Composition (1984-87) Pigments et eau sur enduit à base de chaux, 15 x 4 m. Mur Ouest de l’atelier de fresque, ENSBA, Paris (La frise supérieure reste à ce jour visible, celle du dessous ainsi que la prédelle, ont été détruites) © Alain Cardenas-Castro

Plan de la fresque Composition, mentionnant les césures des 33 morceaux des 2 frises et de la prédelle. Et sa légende détaillant les éléments constitutifs de l’ensemble. © Alain Cardenas-Castro

LÉGENDE :

  • Père : P
  • Mère : M
  • Femme orientale : Fo
  • Inca : I
  • genre indéfini : G
  • Anthropomorphe : AM
  • Chien : LA
  • Poissons : Pos
  • Chaise : C
  • Fenêtre : Fe
  • Porte : Po

La composition de cette fresque, sous la forme d’un polyptyque, est d’abord un cycle narratif structuré en trois frises horizontales superposées. Les deux frises supérieures sont d’égales hauteurs alors que celle du dessous est de plus petite dimension. Les deux frises supérieures sont le réceptacle du vocabulaire plastique principal et la frise inférieure les accompagne comme la prédelle d’un retable. Ensuite les 33 morceaux constituant cet ensemble cohérent, correspondent à autant de séquences qui consignent et retracent des personnages, des événements. L’articulation de cette grande partition s’harmonise autour de plusieurs espaces scéniques qui sont intégrés dans les trois frises. 11 espaces intègrent la frise supérieure et 11, la frise du dessous. La prédelle inférieure est composée également de 11 espaces. Au centre de la composition un personnage de genre indéfini est entouré d’un deuxième personnage assis à sa droite et d’un troisième mi homme mi bête qui l’accompagne sur sa gauche. Enfin, des êtres humains et des animaux, des végétaux et des symboles, animent le répertoire des éléments qui composent cette peinture monumentale. Participants de cet ensemble dans lequel la scénographie joue un rôle important, les personnages sont au nombre de 21 pour les 2 bandes supérieures et 24 pour la prédelle. Le père est décliné 10 fois, la mère 4, la femme orientale 9. On peut énumérer 2 chevaux, 1 lévrier afghan, 2 poissons pour les animaux. Les objets sont d’abord, des chaises qui permettent aux personnages de stationner et d’attendre, elles sont au nombre de 11. Ensuite, 6 fenêtres font office d’ouvertures et enfin, 4 portes ouvrent des passages. Tous ces éléments iconographiques ont été peints pour être vus du sol, ce qui n’est parfois pas le cas dans certaines peintures murales, comme par exemple le petit chien de huit centimètres de long qui orne la fresque de Saint-Savin-sur-Gartempe.

Cette nomenclature résumée permet d’avoir un aperçu de cet ensemble peint et d’appréhender sa lecture. Elle pourra être développée de manière plus exhaustive dans un prochain article.

Des investigations documentaires sur les différents domaines pris en compte dans l’élaboration de ce projet ont accompagné ce travail de longue haleine. Les références sont nombreuses. Elles sont en premier lieu empruntées à l’Histoire de l’art occidental et extra occidental, au travers de culture comme celle de l’Ancien Pérou. Pour exemple, la première séquence de cette fresque illustre la légende — selon les Commentaires royaux sur le Pérou des Incas, de Garcilaso de la Vega — de la fondation de la capitale de l’empire inca, Cuzco, par le premier Inca, Manco Capac. Cette première séquence donne le point de départ de la composition pour une lecture envisageable en suivant la chronologie de son exécution de la gauche vers la droite, bien que la fresque propose une lecture à multiples sens. En deuxième lieu, on peut lire successivement les 33 séquences, jusque la dernière qui se réfère au lien filial, évoqué par une silhouette du père dessinée de profil. La silhouette regarde la copie monumentale du Christ pantocrator de l’église Sant Climent de Taüll, peint par le maître de Taüll — restée en place depuis sa réalisation sur le mur Nord de l’atelier, et qui a été effectuée par des anciens étudiants dont faisait partie Bernard Delamarche mon formateur —. En troisième lieu, si l’on considère l’espace de l’atelier comme l’espace architectural intérieur d’une église, la composition est située sur un des murs en longueur de la nef.

Il y a dans cette analyse des points de ressemblance avec la démarche des peintres de Dunhuang. D’une part, ils visualisent et traduisent en s’inspirant de la réalité concrète, les principes abstraits et les sentiments étrangers des prières bouddhiques, combinant philosophie idéaliste, théologie et littérature, et d’autre part, ils composent des œuvres personnelles, inspirées des modèles anciens et de leur environnement particulier.

  1. MURS URBAINS ET COMPOSITIONS MURALES

Après ce dernier cycle de formation suivi à l’école des Beaux-arts, j’ai poursuivi une activité de muraliste, tout en développant mes recherches et productions d’artiste plasticien. L’exemple ci-après est représentatif d’un travail de commande institutionnelle spécifique et occasionnel.

  • Les murs dans la ville.

Alain Cardenas-Castro, Mur peint (1991)                                   Maquette préparatoire, commande de la Direction de l’Aménagement urbain de la ville de Paris.                                            © Alain Cardenas-Castro

En 1991, j’ai eu l’occasion de répondre à une commande de la Direction de l’Aménagement urbain (DAU) de la ville de Paris, afin de concevoir une maquette de préfiguration d’un mur peint. Pour la circonstance, j’ai repris le principe des assemblages de panneaux en bois décrit précédemment. Ce système de modules à agencer par différentes combinatoires, s’est adapté parfaitement au mur aveugle d’un immeuble parisien de six étages. Pour ce travail préparatoire rémunéré, j’ai d’une part pris en compte la grande superficie et la hauteur de ce mur plus étroit dans sa largeur en choisissant une composition existante — Assemblage (1986) — dont j’avais expérimenté les différentes combinaisons d’agencement pouvant s’adapter à des formes et superficies de murs de toutes variétés. D’autre part, j’ai distingué trois hauteurs différentes dans les panneaux à peindre. Les plus grands panneaux à placer en position basse, jusqu’aux plus grands en partie haute. Ceci afin de pallier à la perspective déformante et contrebalancer ses effets pour la lecture depuis le sol.

Alain Cardenas-Castro, Odyssée (1985)    Pigments, liant vinylique, papiers, 185 x 150 cm. Coll. A. Cardenas-C. © Alain Cardenas-Castro

Alain Cardenas-Castro, D’où, que, où ??? (2008) Acrylique, papier, colle cellulosique, fil de fer, 250 x 240 cm. Coll. A. Cardenas-C. © Alain Cardenas-Castro

  • Les grandes compositions de papiers

Déjà commencées au cours de ma période de formation, le travail de peinture sur papier a accompagné régulièrement mes travaux et ma recherche sous différentes formes. Premièrement, comme carton préparatoire à un projet de peinture murale, deuxièmement, comme œuvre peinte à maroufler sur bois ou toile, troisièmement, comme éléments à assembler pour mettre en forme et déterminer une œuvre. Je m’arrêterai sur cette dernière option importante, qui s’inscrit parfaitement dans le cadre de cette présentation. Cette dernière option a donné lieu dans mon travail plastique, à un nombre conséquent de variétés de productions, autant dans leur configuration que dans les thématiques abordées. En premier lieu, l’assemblage de papiers de différentes tailles pouvant se chevaucher entièrement ou bien partiellement. Ce premier type d’assemblage introduit d’abord une notion de rythme à la composition, ensuite il suggère, l’idée du recouvrement, et du palimpseste, par le montrer-cacher des présentations successives, pouvant faire varier la composition en incitant au questionnement, et enfin, il permet de « déborder », d’étaler les éléments de la composition. Ce faisant il accompagne le cadre architectural et donne sa spécificité murale à l’assemblage. En second lieu, l’assemblage de papier avec l’intégration de la troisième dimension par l’ajout d’éléments rapportés. D’abord, dans ce deuxième type d’assemblage, les éléments viennent ponctuer la composition, le plus souvent dans ses parties évidées en prenant la place du papier sur la surface blanche du mur. Ensuite, ils ajoutent des objets concrets qui proposent une double lecture de l’œuvre. Une première lecture frontale, planimétrique et une seconde lecture topographique, permise par la permutation des points de vue. Enfin, le dialogue entre objets et images peut être perçu par analogie et correspondance.

Alain Cardenas-Castro, Musée de l’Homme in situ (2013)                                                                Acrylique et encre de chine, mur Nord niveau 2 de la Galerie de l’Homme, Musée de l’Homme, 50 m2 © Alain Cardenas-Castro / Jean-Christophe Domenech

Alain Cardenas-Castro, Musée de l’Homme in situ (2013)                                                                Acrylique et encre de chine, mur Nord niveau 2 de la Galerie de l’Homme, Musée de l’Homme, 50 m2, état du mur en 2014                                             © Jean-Christophe Domenech

  • FRESQUES ÉPHÉMÈRES

L’occasion de réaliser une peinture monumentale éphémère s’est présentée pendant l’été 2013. J’ai réalisé cette peinture murale en tant que plasticien, en parallèle de mon activité de muséographe, travaillant alors à la conception du nouveau Musée de l’Homme. Elle a été réalisée sur le mur septentrional situé au niveau deux du pavillon de tête de l’aile Passy du palais de Chaillot. Cette expérience, m’a permis d’abord, de tester la possibilité d’intervenir plastiquement sur le chantier de rénovation du musée. Ceci afin de mettre en place avec différents artistes, un événement reliant art et sciences, en tenant compte des conditions de réalisation et du programme scientifique émergeant. Ensuite, elle m’a permis d’affirmer ce lien entre sciences et art que j’entretiens encore actuellement, en menant des projets scientifiques et culturels en tant que médiateur du Muséum national d’Histoire naturelle.

 

  1. LES PEINTURES MURALES PORTABLES
  • Du monumental au petit format

La conception d’une peinture murale portable de petite échelle, fait partie des autres approches de l’art mural que je développe. Le mur est remplacé par une paroi en papier transportable. La peinture murale vecteur de message au plus grand nombre, se décline à petite échelle pour un individu. Ce concept de peinture portable fait l’objet d’un pan de ma recherche et j’ai eu l’occasion de le proposer sous la forme d’un projet de résidence en Chine. Ce projet intitulé : « Du livre au mur, de la lettre vers l’image » (titre provisoire) comprend les réalisations d’un livre d’artiste monumental et d’une peinture murale portable, inscrivant le projet dans la compréhension des liens qui les unissent. En préambule de ce projet :

Le mur, est le support privilégié de l’Homme depuis qu’il se questionne sur sa présence au monde en ressentant ce besoin qu’il lui est propre de s’identifier et de décrire ce qui l’entoure. Depuis des temps immémoriaux il lui fait face et s’y confronte. Peignant, dessinant, gravant ses images sur la paroi.

Le livre propose une histoire avec des lettres assemblées qui forment des mots afin de constituer un texte. Il est souvent accompagné d’images. Un objet en trois dimensions qui est composé d’un présent quand il est ouvert à la page du moment, d’un passé avec les pages déjà feuilletées et celles restant à venir. (Carnets, in : propos inédits)

Alain Cardenas-Castro, Courroies (2015) Textes Christophe Comentale, 1 sur 2 ex. Acrylique, encre, stylo feutre, 32 x 32 x 2,5 cm. Coll. A. Cardenas-C.                                                              © Jean-Christophe Domenech

Alain Cardenas-Castro, Peinture murale portable (2015)                              Acrylique sur papier, 30 x 30 cm. Coll. privée                                               © Alain Cardenas-Castro

Alain Cardenas-Castro, mandorles & … tnemeriotagilbO (2010)                Acrylique, encres, graphite, typographie sur carnet à spirales «Earthbound sketchbooks-Daler-Rowney-100% papier recyclé», 178 x 254 mm. Ex. unique, couverture cartonnée, 58 p.                        Coll. A. Cardenas-C. © Alain Cardenas-Castro

 

Éléments de bibliographie et sites

Références bibliographiques

  • La peinture contemporaine au pigment à Dunhuang. Beijing : BSAC ; Raphael’s Legend, 2018, 116 p. ill. coul. (Ce catalogue accompagne l’exposition relative à la peinture aux pigments qui a lieu au centre culturel de Lodève du 1er au 29 septembre 2017).
  • Segré Monique. L’École des Beaux-arts, XIXe-XXe siècles, Paris : l’Harmattan, 1998, 307 p. (Col. Logiques sociales)
  • Saint-Savin-sur-Gartempe, Exposition 1976 Poitiers. Catalogue, textes : De Maupeou Catherine, Christen Marie-France, Paris : Caisse nationale des monuments historiques et des sites, 1976, 28 p. ill. en noir et en coul.
  • Les fresques de Tavant, introduction de Paul-Henri Michel, Paris Les éditions du Chêne, 1944, 12 p. pl. en coul.
  • Toubert Hélène. Une scène des fresques de Tavant et l’iconographie des Mois. In: Cahiers de civilisation médiévale, 16e année (n°64), Octobre-décembre 1973. pp. 279-286.
  • Demus Otto, Hirmer Max. La Peinture murale romane, Paris : Flammarion, 1970, 230 p. ill. en noir et en coul.
  • Retables italiens du XIIIe au XVe siècle, Exposition 1977-1978, Musée du Louvre. Catalogue, textes : Ressort Claudie, Béguin Sylvie, Laclotte Michel, Paris : Réunion des musées nationaux, 1978. 68 p., ill. en coul. (Col. Les Dossiers du Département des peintures / Musée du Louvre ; 16.
  • Claritas, Das Hauptaltarbild im Dom zu Siena nach 1260. Die Rekonstruktion. Exposition 2001, Lindenau-Museum Altenburg. Catalogue, textes : Penndorf J., Manzke H., John B., Lindenau-Museum Altenburg, 2001. 155 p. ill. coul. Plans.
  • De la Vega Garcilaso, Commentaires royaux sur le Pérou des Incas. Paris : F. Maspero, 1982
  • Poma de Ayala Felipe Guaman. « Nueva corônica y buen gobierno », codex péruvien illustré. Paris : Institut d’ethnologie, 1936, 1182 p., ill. noir et blanc. (l’illustration de l’inca Manco capac en page 86, a contribuée à fixer sa représentation dans la première séquence de la fresque Composition.)
  • La lettre de la Société des amis du Musée de l’Homme, janvier 2014, n° 76, Art in situ

Sites

  • http://www.palais-portedoree.fr/les-fresques-du-forum
  • Paulette Hugon et Dominique Martos, « Étude scientifique des peintures murales de Saint-Savin-sur-Gartempe », In Situ [En ligne], 22 | 2013, mis en ligne le 15 novembre 2013, consulté le 13 septembre 2017. URL : http://insitu.revues.org/10632 ; DOI : 10.4000/insitu.10632
  • Marie-Geneviève de La Coste-Messelière, « PRÉDELLE», Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 07 septembre 2017. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/predelle/
  • Cardenas-Castro Alain (2017), « Peintures murales : de la diversité des approches Est-Ouest », in blog : Sciences & art contemporain IN – MH – OUT – OFF, août 2017. URL : https://alaincardenas.com/blog/oeuvre/peintures-murales-de
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