Propos de calligraphie contemporaine (2). Quelques réflexions automnales

par SUN Chengan[1]

Dans une précédente livraison (Sciences et art contemporain, 3 sept. 2022), introductive à la calligraphie contemporaine et à sa diversité, les calligraphies de trois calligraphes ayant répondu à l’appel du futur Corridor des écritures du Qinghai avaient été reproduites.

Pour mémoire, la récente annonce de la finalisation d’un Corridor des écritures dans la province chinoise du Qinghai, en fait, d’un musée constituant une collection de calligraphies tracées en Extrême-Orient et en Occident sur un texte bien précis, relance la question relative à l’importance de cette forme d’expression, dans les situations ordinaires de la vie quotidienne, comme pour les nombreuses approches, populaires ou élitistes, liées à différentes formes de création.

Ce deuxième volet permet de présenter les derniers calligraphes ayant remis une œuvre dans ce contexte particulier.

De la place de la calligraphie au 21e siècle, une notion différente en Chine ou en Occident

L’homme reste attaché à des valeurs justement traditionnelles et constituant la richesse de sa civilisation. Plus celle-ci est ancienne, plus l’approche en est riche et complexe. A contrario de civilisations plus récentes qui, d’une part ont une politique raisonnée de collecte d’œuvres représentatives d’autres zones culturelles du monde aboutissant à regrouper ces acquisitions dans des réserves appelées musées pour, de l’autre, faire la promotion de nouvelles formes de création ou jugées comme telles.

Parler — dans ce contexte précis — de la création calligraphique en Chine exclue a priori d’autres formes artistiques comme la peinture, le dessin, … La calligraphie est et reste l’âme d’interrogations sur la place des signes, sur leur raison d’être et de subsister. A contrario d’un certain parallélisme occidental qui peut cultiver autant une discipline que son contraire et tout autant, mêler des approches pluridisciplinaires mettant tout autant en valeur le signe. Ainsi en va-t-il de ce signe écrit occidental devenu omniprésent mais qui peut être sacralisé autant dans un document publicitaire, religieux ou de toute autre nature. Cette évolution extrême n’est pas si surprenante dans la mesure où d’un couvercle de sarcophage (ill.1) inscrit de caractères en pâte de verre du 4e s. à la simple page de punition qui oblige un enfant à répéter plusieurs fois la même ligne, — souvent une page ! (ill.2) -—, les esthétiques sous-jacentes sont surprenantes. Alechinsky sait réduire ces approches en utilisant des signes calligraphiques (ill.3) devenus des éléments d’œuvres dont la raison d’être reste celle d’une recherche, toujours susceptible de changement.


Ci-dessus, de gauche à droite. (ill. 1) Couvercle de sarcophage (4e s av. JC), hiéroglyphes en pâte de verre, musée égyptien, Turin. (ill. 2) Papa veut que je sois poli, page de cahier, mai 1944, musée national de l’éducation, Rouen. (ill. 3) Alechinsky, Mise en train (1981), aquarelle sur papier du 18e s. MNAM Paris.


A propos des calligraphes

Frédéric Harranger – Compositeur, dessinateur et graveur, créateur de livres d’artistes, il participe à des événements où musique et beaux-arts convergent vers une création ouverte. Ce botaniste, amateur de végétaux souvent devenus des tranches de vie observées au fil de ses gouaches et gravures, sait remettre en situation tel élément qui devient le centre d’une œuvre, d’un multiple ou d’un livre d’artiste. Sa création reflète des préoccupations d’ordre esthétique formelles où l’équilibre des rythmes renvoie aussi à des préoccupations de compositeur sachant saisir et capter le moment opportun pour laisser la trace de sa présence au monde. « Cette calligraphie a été précédée d’essais qui m’ont permis de prendre la mesure de l’espace, tandis qu’avec le pinceau, j’ai pu moduler l’intensité et la densité du noir » explique-t-il dans un entretien récent.


Marie-Paule Peronnet – Femme de lettres, spécialiste de l’histoire du livre et du signe, notamment du livre de création et d’artiste et de la bibliologie moderne et contemporaine occidentale, l’autrice est collaboratrice à la revue AML depuis quatre décennies. « La réalisation de cette œuvre est pensée, pour l’occidentale que je suis, comme une synthèse entre des conformités diverses. Certes, la présence dominante du signe alphabétique, dont on voit qu’il sombre facilement dans un lexique uniquement graphique. La couleur m’a semblé une évidence signifiante, un complément nécessaire à l’œuvre. La répétition tout aussi présente rappelle le signe rythme, en fait, tout concourt au plaisir de ce graphisme individuel qui oublie les frontières ».


Régis Sénèque – (1970, Paris), plasticien, fresquiste et photographe. Un site constamment mis à jour livre des propos de toutes périodes. Pour celle-ci, on trouve les éléments suivants : Aujourd’hui, tout en reprenant mes interrogations passées ancrées dans le réel, l’intention est d’ouvrir mon travail vers de nouvelles réflexions. Des réflexions où il est question de mises en lumière, d’histoires – petites ou grandes -, de mémoire.

D’un travail dirigé vers l’intérieur, le quotidien, l’intime, celui-ci a pris un nouveau chemin, orienté dorénavant vers l’extérieur, l’autre et le Monde.

Dans cette nouvelle perspective, l’utilisation de l’or, que ce soit par la couleur ou l’utilisation du métal précieux, est envisagée symboliquement pour sa capacité d’ouverture des sens, des valeurs culturelles et matérielles.
Par la lumière et son interaction, l’emploi de l’or ou de sa couleur à comme dessein d'(ré)orienter les regards vers des morceaux d’histoires aussi bien que des matières empreintes d’histoires. Il a également le désir de susciter une réflexion sur l’absurde tant par cette volonté de (re)mise en lumière que la recherche de mise en valeur. Enfin, il interroge la doctrine comme la manière de vivre qu’est le matérialisme. Ce dernier – dans son sens premier – rejetant l’existence d’un principe spirituel, comme – dans son sens second – faisant état d’un état d’esprit orienté vers la recherche des satisfactions matérielles, de plaisirs, chers dans nos sociétés contemporaines.


Ci-dessus. Régis Sénèque, Les trente-neuf caractères (2022), encre et or sur papier chinois de calligraphie, 136 x 68 cm. A gauche, vue de l’œuvre centrée sur les feuilles de papier collées ; à droite, vue en plan rapproché.


Site de Régis Sénèque : http://www.regisseneque.com

[1] Le titre complet de la 4e édition (1999) est Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays par un groupe d’écrivains spécialistes français et étrangers. Il comporte 13 440 pages pour 175 000 noms

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