Des statues de culte domestique chinoises

par Christophe Comentale

La récente publication d’un ouvrage sur les statues de culte chinoises permet un regard autre sur un sujet délicat et encore confidentiel. Eléments de réflexion après lecture.

Alain Arrault, A History of Cultic Images in China. The Domestic Statuary of Hunan ; trad. de Lina Verchery. EFEO / Chinese University of Hong Kong Press, 2020. 188 p. : ill. (coll. Coéditions ; 19). Bibliog. Index.

Pourquoi les négociateurs de l’art en Occident n’ont-ils toujours pas pu introduire le concept si flou et paradoxal d’arts premiers en Asie ? Une des causes en est et reste le manque de stock de pièces ethnologiques, locales, populaires, devenues disponibles dans un contexte particulier… Ce qui renvoie, en quelque sorte, à la conquête occidentale du monde au XVIIIe siècle. Sans refaire l’histoire, a contrario des stocks de pièces africaines qui ont abouti à la création du musée de l’Homme, un des départements du Muséum, très peu d’exemples chinois y sont conservés pour ce qui a trait à la statuaire, les pièces provenant de ces régions étant souvent encore protégées ou exilées au fin fond de réserves excentrées quand elles n’ont pas rejoint celles du Musée du Quai Branly – Jacques Chirac… Pour Lyon, au musée des Confluences, les pièces de la collection De Groot, à Lodève, quelques pièces provenant de la collection Dautresme et parfois, la volonté de collectionneurs désireux de léguer des souvenirs de missions en Chine, souvent du sud et des provinces côtières ou insulaires (Fujian, Taiwan,…).

Il en va tout autrement du splendide travail de terrain et d’enquête dû à un chercheur sinisant, Alain Arrault. Ce travail, auquel a participé Lina Verchery, se situe dans la lignée de recherches entreprises notamment par Kristofer Schipper et Patrice Fava. Cette approche permet, d’une certaine façon, de comprendre pourquoi ces œuvres restent aussi rares que mystérieuses. C’est aussi une façon très frontale de rappeler les différences qui subsistent dans les présences de l’homme au monde.

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Les Editions du Fenouil. Naissance d’une nouvelle collection, « Réceptions », des monographies entre Est et Ouest

par Christophe Comentale

 

Lieu de diversité textuelle et iconographique, creuset de sujets entre textes et image, les éditions du Fenouil ont fait leur apparition en 1985. Depuis plusieurs années, elles ont acquis une visibilité saisonnière ou plus vivace qui contribue de donner vie à des livres de types différents.

 

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Portraits d’hier et de demain (5) « Au-delà de l’indigénisme. Manuel Gibaja, un passeur de culture »

par Alain Cardenas-Castro

Afin de poursuivre la galerie de portraits choisis dans le panorama de la création plastique contemporaine péruvienne, j’ai décidé de faire écho à l’exposition intitulée Global(e) Resistance, programmée au centre Pompidou. Mon choix s’est porté sur le plasticien péruvien, Manuel Gibaja, grand oublié parmi cette sélection d’artistes effectuée par les commissaires d’exposition, Alicia Knock, Yung Ma et Christine Macel[1] suivant la thématique proposée.

(ill. 1) Cusqueñita, aquarelle de Manuel Gibaja

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De la conception chinoise du paysage dans l’étymologie du terme fengjing 風景

par HU Jiaxing[1]

Résumé

Si le terme bien connu shanshui 山水, renvoie par deux éléments concrets, « montagne » et « eau », à une forme classique de peinture de paysage, et encore à une pensée esthétique, il existe un autre terme pour « paysage », fengjing 風景, couramment utilisé mais beaucoup moins étudié. Ses deux caractères signifient littéralement « vent » et « lumière/ombre », matières abstraites, dans l’étymologie desquelles se trouvent un animal et le soleil. Quelle est la conception chinoise du paysage contenue dans ce terme mystérieux ? Les sources classiques littéraires et mythologiques, les découvertes archéologiques des temps modernes nous permettent de dévoiler une pensée symbolique de l’établissement cosmogonique de l’espace et du temps derrière les images de l’animal et du soleil. Cette conception du paysage constituant une mémoire collective a été profondément ancrée dans la vision du monde socioculturel des élites chinoises et a fortement contribué à former leurs sentiments envers le monde naturel.

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Un paysage de Juan Manuel Cardenas-Castro : le portrait d’un rocher (11)

par Alain Cardenas-Castro

L’un des plus anciens témoignages connus de la représentation d’un paysage est celui d’une roche gravée qui remonte à la période néolithique (ill. 1). Réalisée comme certaines peintures d’aborigènes d’Australie, en « vue de dessus », ce dessin gravé décrit un territoire, à l’identique des planisphères qui révèlent une partie du monde autrement impossible à voir[1].

En observateur curieux de son environnement, l’Être humain s’est continuellement appliqué à détailler le pays dont il est originaire tout autant que d’autres lieux découverts au fil du temps. La cartographie en témoigne ainsi que les réalisations artistiques qui, de la représentation de morceaux de pays, ont fini par définir un genre pictural : le paysage. C’est, d’ailleurs, en observant ces paysages de villégiature ou des sites reproduits en peinture qu’il est possible, en opérant ces transferts virtuels ou physiques d’un lieu à un autre, de ressentir une même sensation. Le dépaysement peut ainsi produire des émotions surprenantes de bouleversement, de malaises et, à contrario, des états allant du ravissement jusqu’à l’enchantement ou l’émerveillement.

De mémoire, le premier paysage fascinant que j’ai pu observer a été celui d’un tableau qui par sa singularité et son exotisme m’intriguait. Ce paysage virtuel — une reproduction d’un territoire qui m’était alors inconnu — était accroché dans l’atelier de mon père[2] au milieu de nombreuses peintures exposées qui figuraient le plus souvent des personnages. Quelques-unes de ces peintures comportaient un arrière-plan paysager, mais le plus souvent, les personnages étaient les principaux éléments des compositions. Il m’arrivait de regarder longuement cette peinture de paysage étrange, elle me paraissait extraordinaire car elle représentait un bloc rocheux gigantesque qui devenait à lui seul, et malgré la présence de plusieurs personnages, le protagoniste de la composition. Mon père avait ainsi réalisé le portrait d’un rocher (ill. 2).

(ill. 2) Juan Manuel Cardenas-Castro. Sans titre (s. d.), huile sur toile, 94 x 81 cm (coll. privée)

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A propos d’une œuvre de Daniel Dezeuze « Du châssis primordial il ne reste que quatre baguettes. »

par Boris Millot[1]

Art Paris 2020 a été un cru favorable à la redécouverte d’artistes rares, déjà consacrés au fil d’un œuvre singulier. Tel fut le cas de cette composition de Daniel Dezeuze.

Daniel Dezeuze, Triangulation, 1975, 132 x 121 cm, Galerie D. Templon

Du châssis primordial il ne reste que quatre baguettes, trop fines pour en assurer la rigidité mais suffisamment solides pour en maintenir l’ossature. Une traverse décentrée, qui aurait perdu sa fonction initiale, vient en partager inégalement le champ et en souligner la transparente vacuité. De la toile attendue, il ne reste que deux étroites bandes tissées, chacune fixée de biais sur l’un des montants verticaux et posée sur la barre transversale. Ainsi l’artiste semble avoir tracé, dans ce qui se rapproche d’un carré, les fragments décalés de deux diagonales. L’absence de toile ne se fait, cependant, pas sentir, le mur, support absolu, étale sa surface et vient par sa blancheur s’y substituer, créant, par contrastes chromatiques, une composition faite d’obliques et d’orthogonalités. Les jeux de déconstruction, menés par le groupe des douze[2], à ses débuts, semblent avoir, ici, perdu un peu de leur virulence au profit d’une nouvelle esthétique. Certes les plans se superposent et se confondent, (dé)mêlant toujours supports et surfaces, mais les lignes structurelles émergent et s’imposent par leur évidence. De la même façon, la matérialité s’exprime et refuse toute abstraction radicale. Le bois et le tissu s’affirment par leur teinte et leur texture et, par leur nature, rendent incertain le dessin. Ces subtiles déformations donnent au motif une grande vivacité, à la façon d’une figure angulaire tracée à la pointe du pinceau et non plus à la règle…

Daniel Dezeuze suit, une fois encore, ses premiers principes, lorsqu’il se présentait comme le partisan du châssis. Ce sont toujours ces mêmes cadres de bois, réduits à leur expression minimale, pour ne pas oublier que derrière le tableau se cache toujours une autre réalité… En souhaitant inverser les rôles, le choix des baguettes offrait l’occasion de malmener ce châssis immuable et de lui donner une souplesse habituellement réservée au tissu ainsi les lignes flottantes se tordent et les surfaces dépourvues s’animent… Les genres peu à peu s’entremêlent dans une grande confusion. Les volumes du tableau se désarticulent et le bois devient dessin quand la sculpture devient toile… C’est dans ce désordre apparent que l’imaginaire trouve sa place et ouvre toutes les voies du possible… défiant les grands discours pour plus de ravissements.

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A propos du colloque et de l’exposition « De la Terre au Ciel », Musée chinois du quotidien, Lodève

Entre deux événements, entre deux années

par Alain Cardenas-Castro et Christophe Comentale

Conformément aux grands axes que se sont fixés les acteurs du bâtiment polyévénementiel des Marches du Palais lorsque l’idée a germé de fonder un Musée chinois du quotidien, des expositions, des séminaires et d’autres actions concertées permettent une mise en valeur des collections et également des rencontres croisées sur des pôles complémentaires à ceux initialement constitués qui sont enrichis progressivement de dons de pièces spécifiques acceptées avec la plus grande prudence.

Pour l’année 2020, en raison de la complexité des procédures, le nombre des événements a été considérablement limité. La présente manifestation, De la Terre au Ciel, permet de faire le point sur l’activité de créateurs très différents, mais, tous,  attirés par la diversité de la Nature, vaste sujet qui draine des techniques et des théories différenciées.

Les contributeurs présents à ce colloque viennent d’horizons différents, leurs interventions restent des approches complétées par des bibliographies succinctes.

Pour l’été – automne 2021, une exposition sur les caractères et l’imprimerie Est-Ouest est prévue. Elle présentera d’une part un florilège d’œuvres du musée et sera complétée par des pièces provenant de collections privées. Des ateliers animés en concertation avec les établissements scolaires de la ville seront un prolongement destiné à apporter des dimensions pédagogique et culturelle fortes.

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Une symphonie de couleurs : l’exposition Yang Ermin au musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq de L’Isle-Adam

par Marie Laureillard

Le musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq de L’Isle-Adam propose une exposition intitulée Yang Ermin : la réapparition de la couleur du 19 septembre 2020 au 14 février 2021, accompagnée d’un catalogue publié aux éditions Faton (« coup de cœur » de la Librairie le Phénix). Présenté pour la quatrième fois en France, cet artiste chinois est l’un des tenants de la peinture « néo-lettrée » ou peinture au lavis, à laquelle il confère délibérément une riche polychromie. Il se situe ainsi dans la lignée de Lin Fengmian (1900-1991), Liu Haisu (1896-1994) et Wu Guanzhong (1919-2010), peintres qui tous étudièrent en France dans le courant du XXe siècle et opérèrent en leur temps une harmonieuse synthèse entre traditions picturales chinoise et européenne : la volonté de Yang Ermin d’exposer en France, symbole suprême d’art et de culture à ses yeux, pays de Monet, Bonnard ou Matisse, ne relève donc pas du hasard et l’inscrit directement dans cet héritage.

(ill. 1) L’Aube sur les monts Taihang (2012), lavis à l’encre sur papier Xuan, 113 x 80,5 cm, collection particulière.

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Mémoire d’une triste histoire familiale sous un couvercle d’urne funéraire conservé au Musée chinois du quotidien

par Christophe Comentale et Hu Jiaxing

Remerciements à Françoise Dautresme

Fig.1 Couvercle d’urne funéraire. Céramique, diam. intr 13 cm, diam. extr 17 cm. Musée chinois du quotidien, Lodève

Depuis sa préfiguration en 2017 puis son inauguration officielle le 11 juillet 2018, et après plusieurs années de préparation et de vicissitudes diverses, un florilège des fonds du musée occupe actuellement les 2e et 3e niveaux du bâtiment de la chapelle des Pénitents blancs. Différentes publications ont évoqué la richesse des fonds, près de trois mille pièces, données par Françoise Dautresme pour d’une part rappeler l’originalité de ce créneau chronologique constitué par les pièces rassemblées et, de l’autre, rendre témoignage de l’action de François Dautresme en Chine, qui a, avec constance, permis de faire connaître un pays surprenant et dont la définition du quotidien a fort bien anticipé la force de ce que ce pays a révélé depuis trois décennies. Peu à peu, le comité scientifique étudie les fonds encore en réserve. Chaque pièce est une surprise et digne de l’intérêt le plus soutenu. Comme le rappelle la formule si parfaite de Françoise Dautresme, connaisseuse avertie de ce pays où elle a résidé,

« il ne viendrait pas à l’idée d’un Chinois de fabriquer quelque chose de laid. Pour lui un objet beau étant un objet bien fabriqué, et l’objet bien fabriqué étant un objet utile, seul l’utile est beau et le beau est forcément utile. L’économie dicte le geste. L’artisan prend ses ordres auprès du matériau. Le matériau donne une seule réponse. Le génie va de pair avec la récupération. Et comme en Chine tout se tient et que les contraires font bon ménage, on admet qu’une maison et sa cour, correctement orientées, représentent le monde, que trois perspectives opposées puissent coexister sur une peinture de paysan, que tous les matériaux aient le droit d’exister, que la langue écrite soit un artisanat qui rend service à la réalité des choses et que le mot soit fabriqué comme un objet ». Françoise Dautresme, Le voyage en Chine, Paris : FD, 1976.

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