Le quotidien de la Chine

LE QUOTIDIEN D’UN VISIONNAIRE…FRANCOIS DAUTRESME.

par Jean Levantal

François Dautresme en Mongolie intérieure avec WU Xiaolan (fin des années 1990) © Archives Françoise Dautresme

– Massif, pudique, modeste et plutôt secret, François Dautresme avait une innocence jésuite, malicieuse, cousue de fil blanc, qui le mettait en osmose parfaite avec la foule des Chinois qu’il aimait passionnément. L’œil de ce grand collectionneur s’allumait au seul spectacle de la beauté, celle-ci se réfugiant, dans la Chine contemporaine, dans les seuls objets du passé ou de la campagne. Alors, face à une trouvaille, François Dautresme, le descendant d’une longue lignée de grands serviteurs de l’Etat français mais aussi de paysans et de tisserands normands connus sur les rives de Criquebeuf-sur-Seine pendant plus de dix générations, s’accroupissait comme un paysan chinois, mettait le monde entre parenthèses et, face au propriétaire, il rusait, prêt à tout, sans la moindre précipitation. « Je venais de loin, et je m’intéressais à ce qui n’intéressait qu’eux (les paysans), les objets de leur vie quotidienne, de leur travail et de leurs traditions » soulignait-il. C’est ainsi qu’en trente-cinq ans, « Lao DU / Monsieur DOU », comme l’appelaient ses amis de Pékin ou de Canton, a amassé une collection de 50.000 objets et photographies, la mémoire de la Chine de MAO et de ses prédécesseurs.

Contre le bon goût des notables de l’époque, son arrière grand-oncle Lucien, ministre du Commerce et de l’Industrie, secondé par son grand-père David, avait contribué à imposer la construction de la tour Eiffel, dans le cadre du Commissariat Général de l’Exposition Universelle de 1889.  Ouvert à leur suite au sentiment de l’Universel et à son foisonnement – comme Guimet en un autre siècle – François Dautresme, devant les objets ramenés de Chine par son oncle Jacques Dautresme, capitaine au long cours, fut très tôt saisi et empoigné, d’une fascination si inextinguible qu’il ne voyait plus qu’eux.

Alors faire les grandes écoles, comme c’était de coutume dans la famille ? « Je n’avais pas le temps, j’avais, tout petit, le goût des objets », disait-il. Il devint donc homme d’affaires, pour les besoins de la cause, car la passion nécessite quelques moyens…

Dans le sillage de Robert Bordaz et de Jacques Duhamel, le voici d’abord en URSS, en Chine, en Iran, puis, plus tard, au Mexique, au Brésil, où, à la tête de la société Technor, il aménage clefs en mains des expositions industrielles, scientifiques et techniques, à Pékin, Shanghai, Téhéran, Mexico, São-Paulo, et œuvre à plusieurs pavillons nationaux dans les expositions universelles (France et Iran, à Montréal en 1967 – France, Algérie, Belgique, Monaco, Iran-Turquie-Pakistan, à Osaka en 1970).

En Chine, ce faisant, il découvre dès 1963, un art populaire merveilleux; et le génie inventif de ce peuple, la beauté simple des objets usuels, l’harmonie élégante qu’il perçoit, relèvent du coup de foudre. Avec ses cousins Françoise et Gérard Dautresme, enfants de Jacques, il fonde en 1966 La Compagnie française de l’Orient et de la Chine : d’un coup, 800.000 râpes à gingembre se retrouvent dans les cuisines des Français !

Dès lors, François Dautresme sillonne la Chine plusieurs fois par an, s’enfouissant dans les campagnes, s’émerveillant toujours de ses découvertes. Il a compris que la fabrication des objets inspirés par une tradition millénaire et dont la fonction a souvent créé la forme, répond à une demande locale et se fait sur place, dans les villages, les bourgades, les villes et les régions qui vivent en autarcie – et que quand le marché local disparaît, l’objet meurt lui aussi.  Alors François ne laisse rien passer. En marge de son commerce, il se laisse aller à son engouement, il achète tout ce qu’il trouve beau, les meubles, les souvenirs de famille, les pièces archaïques, les objets de la vie courante, leurs emballages étonnants d’équilibre et d’ingéniosité, les stocks de robes de Shanghai des années vingt, le décor de la Banque de Chine en 1965, les instruments pour élever les scorpions, des pierres de rêve et des cercueils pour les crickets combattants… Son œil est infaillible. De retour, il entasse ses trésors dans des dépôts, en plein Paris.

François Dautresme et un marchand de grillon, 2000, Pékin © Archives Françoise Dautresme

Et cette jonque, dont il  acquiert les plans en vue de la faire construire ? N’était-elle pas appelée à devenir l’Arche porteuse des rêves déjà éteints de Jacques Dautresme autant que de ceux, toujours enflammés, du neveu ? Et – pourquoi pas – appelée à remonter un jour à son tour jusqu’à Criquebeuf les rives de la Seine où un ancêtre, quatre cents ans plus tôt, avait été marinier ??

En 2001, François Dautresme a la joie de voir une partie de ses collections montrées à la Cité interdite. « L’art populaire est la terre nourricière de tous les arts d’élégance », avait écrit en préambule de l’exposition Monsieur Xin YANG, le directeur de la Cité interdite, « grâce à la disposition et au choix ingénieux de Monsieur Dautresme, ces œuvres d’art populaire semblent également avoir un lien avec l’art moderne ».

François Dautresme s’est éteint le 19 août 2002, à São Paulo, à 77 ans, après avoir inauguré au Brésil une autre exposition de ses collections, en compagnie de Jean-François Jarrige, le directeur du Musée Guimet.

En dépit d’une exposition posthume remarquable à Paris, aucun musée, en capacité d’en assurer la sauvegarde en totalité, n’a cependant recueilli, quand il en était temps, l’ensemble exceptionnel qu’il avait constitué au fil d’années de recherches et dont une large part a dû être démembrée.

François Dautresme et Françoise Dautresme © Archives Françoise Dautresme

Un choix de pièces très significatives – parfois uniques – heureusement sauvegardé de la dispersion, trouve aujourd’hui ancrage  en la « Chapelle-musée » des Pénitents Blancs de Lodève avec le concours de la fille de Jacques Dautresme, le marin. Ce choix témoigne brillamment, de l’image attachante, telle que François Dautresme, le globe-trotter, l’a offerte au monde, de ce « Quotidien de la Chine » qu’il a aimé (et fait aimer), avec une sensibilité que n’ont pas pu manquer de lui léguer ceux de ses aïeux qui avaient vécu le « Quotidien normand ».

Un ancrage en Occitanie qui rappellera peut-être à certains que ce même David Dautresme, le grand-père, de François, après avoir été chef de Cabinet de l’arrière grand-oncle Lucien, fut aussi préfet des Pyrénées Orientales en 1906/1907  – mais brièvement et surtout chaudement  – pour avoir voulu y faire respecter la loi récente de séparation des églises et de l’État…et suggéré aux viticulteurs en crise de planter des abricotiers à la place de leurs vignes !!!…ce qui lui valut de devoir se réfugier avec sa famille sur le toit de la Préfecture de Perpignan convertie en bûcher par des manifestants en colère.

Un siècle après cette escale tumultueuse, les Dautresme hissent à nouveau pavillon en Occitanie  – avec Lodève pour port d’attache.  La collection qu’ils y livrent au public mérite de sa part un accueil à nouveau chaleureux…mais sans flammes.

Le 1er juin 2018.

 

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