Portrait reconstitué. CHENG Fu-Lung, la tentation de l’Occident

par Christophe Comentale et Alain Cardenas-Castro

Comme de nombreux créateurs, notamment asiatiques, Chinois ou Taiwanais, après avoir effectué son service militaire obligatoire et une fois son diplôme de l’Académie nationale des arts en poche, section peinture, Cheng Fu-Lung [ZHENG Fulong郑富隆] grâce à l’aide de la famille décide de découvrir la France vers la fin des années 80..

Cheng Fu-Lung, La chambre (1985), Huile sur toile, 130 x 196 cm.

Eléments biographiques

Né le 4 avril 1959 dans la ville de Jee-lung 基隆 « un port au nord de Taiwan », Cheng Fu-Lung grandit au sein d’une société qui laisse filtrer des modèles de vie, en particulier pour les artistes, qui contrastent fortement avec le quotidien quasi militaire imposé par le couvre-feu et les rondes incessantes de la police de la sécurité publique.

Cela n’affecte nullement le jeune homme, plein d’espoir et d’énergie.

En 1986, il a alors à son actif plusieurs expositions, une au musée d’art moderne de la ville de Taipei qui a acquis son Autoportrait III, une au musée national d’histoire où est une autre œuvre, Destin, une troisième à la galerie Hsiung Shih de Taipei.

Une autre œuvre, La nuit du fleuve Chin-Ming entre dans les collections de l’Académie nationale des arts où il a été étudiant.

Le séjour parisien

Durant le séjour parisien, qui débute en 1986, le jeune homme, sec et un peu raide, de cette raideur que donne le manque de familiarité avec une langue, s’aperçoit très vite que les différences d’éducation et surtout les difficultés de communication sont des contraintes quotidiennes. Il a du mal à se faire des amis, ne peut échanger avec les artistes occidentaux, chacun de ceux-ci étant préoccupé par l’évolution de sa propre carrière.

A cela s’ajoute le fait que l’aide matérielle de la famille est limitée dans le temps, l’aspect financier gâte aussi la quiétude qui semblait aller de pair avec cette venue.

Débrouillard, il a quelques contacts avec la communauté taiwanaise, il trouve à se loger au 3, rue de la Collégiale dans le 3e arrondissement de la capitale, quartier qui correspond très bien à sa vision de Paris.

Journal (1986, fol. 1), Feutre sur papier aquarelle

Ces dix folios sont rédigés sur le verso de fiches de présentation de ses œuvres par l’artiste. Cheng fait lui-même tous ses documents de présentation d’œuvres qu’il montre aux galeries parisiennes lors de ses rendez-vous. Il récupère les fiches et les transforme en journal de notes.

Un Journal du quotidien

Méthodique, introverti, sauf lorsqu’il parle de peinture, plus largement d’art, Cheng Fu-lung prend des notes (Journal) qui disent cette découverte permanente qui est la sienne. Son étonnement, son intérêt pour la création occidentale qui s’avère un creuset d’enrichissement constant sont un des moteurs de ce contenu pour le moment encore inédit.

Quant à son œuvre peint, Chambre reste la seule en notre possession. Les Nabis, Matisse, autant de moments de l’art qui sont des enrichissements pour une esthétique et une pratique personnelles.

Le retour au pays

D’après différents documents relatifs à la communication, Cheng Fu-Lung a continué sa carrière de peintre à Taiwan. Il est encore actif en 2011 où a lieu une exposition de ses peintures à l’huile du 15 au 27 avril. Les thèmes traités mêlent la vie quotidienne, le regard sur les autres. Il a aussi toujours le goût de la couleur, des sortes de rapiéçages aussi.

On note chez l’artiste taiwanais –  Composition (2010 ca) – comme dans l’œuvre de son confrère péruvien, – une nature morte, Torito de Pucará (1943) – , des sources d’inspiration communes.

Cheng Fu-lung, Composition (2010 ca), Huile sur toile

José Félix Cardenas-Castro, Torito de Pucará (1943)

 

 

 

 

 

 

Pour la forme, chez l’un,  le recours à un camaïeu de gris dévié par la présence du motif propitiatoire du taureau de Pucará dont le rendu renvoie au plaisir et à la curiosité d’un symbole qui introduit aussi le plaisir d’une polychromie inattendue. Chez l’autre, l’utilisation de tissus traditionnels sur lesquels des citations-collages viennent transcender les bornes d’un réel narratif autre. Chacun de ces deux artistes a eu le choix d’un imaginaire quelque peu modifié par un séjour, par une vie en France.

Chacune de ces deux scènes de vie, traduite en une nature morte, surprenante impose avec quiétude la mise en espace de jeux formels ; la présence des motifs qui enrichissent le propos esthétique là pour traduire le plaisir de ce qui est sous le regard. Le côté énigmatique de l’œuvre de l’artiste péruvien réside en le fait qu’il a juxtaposé sans aucune hiérarchie dans un espace clos, dans une pièce surchargée, des objets quelque peu hétéroclites, comme un cendrier, une statuette sur fond de rideau en filet ajourés d’éléments géométriques. Ces éléments d’ameublement, de décoration intérieure, étaient présents dans bien des demeures jusque dans les années 50. L’approche de ces « choses inertes », leur mise en phase, est largement facilitée par l’approche du surréalisme et du cubisme qui mettent en lien des éléments disparates. La force de ces compositions n’a pu que séduire des peintres en constante réflexion sur les formes de leur œuvre in nuce. Ce qui fait dire à Giorgio de Chirico « j’aime quand le réel se déconnecte et fait aller ses éléments en tous sens ».

Une dernière chose en commun pour ces deux artistes : à l’heure actuelle, seule une photographie des œuvres subsiste grâce à un site relatif à l’activité de ces créateurs.

Au fil des années, il est bon de mettre de l’ordre dans des notes, des documents épars, de voir si après l’intensité de vivre, de faire carrière, de se construire sur le monde qui compte, face à la pression sociale, à cet éternel jeu du pouvoir, le hasard, les rencontres, les réseaux constitués au fil du temps auront joué en faveur de tel ou tel artiste.

Eléments bibliographiques

Remerciements

Chen Kuangyi, He Zhengguang, Wu Chih-Chung.

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