DESCRIPTION, À propos d’un porte-baguette chinois, Fleur et boutons de magnolia propitiatoire

par Christophe Comentale

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Accessoire du quotidien, omniprésent dans la société chinoise, l’ustensile ou casier à baguettes [ kuaizilong筷子籠 ] fait l’objet d’une production importante. Les artisans ont pu, selon leur imagination et aussi selon les demandes, fournir des modèles de porte-baguettes très prisés de la clientèle populaire, dans les campagnes et dans les villes.

Les ustensiles ou casiers à baguettes sont fabriqués le plus souvent en bois, en bambou, ou en céramique. Ce dernier matériau est apprécié par sa facilité d’entretien qui prime sur sa fragilité.

Nombreux jusque dans les années 60, les ustensiles ou casiers ou encore porte-baguettes sont, à partir de cette période, progressivement remplacés par des accessoires en plastique, en inox ou en autres matériaux composites jugés plus modernes par la clientèle de masse, et cela, au détriment des pièces fabriquées en matériaux plus traditionnels. A cela s’ajoute alors la volonté de changer de valeurs sociales et donc esthétiques. C’est ce qui est prôné par Mao Zedong lors des Interventions aux causeries sur la littérature et l’art à Yenan en 1942. Il n’empêche que le design chinois reprend, depuis une dizaine d’années, ses marques afin de continuer d’intégrer des motifs propitiatoires à ces objets utilisés si souvent. Les modèles implicites sont ces accessoires anciens (ill.2 sq) qui restent la base d’une inspiration raffinée. Des motifs de fleurs de prunus indiquent le Nouvel an, de longévité aussi, ils sont traduits par des svatsikas ou des animaux fabuleux stylisés, comme le phénix ou le dragon. Il existe aussi des casiers doubles afin de ranger d’autres accessoires comme les cuillers à long manche. Bien souvent des ouvertures plus ou moins nombreuses permettent aux baguettes, le plus souvent en bambou, de sécher et au trop plein d’eau de couler directement dans l’évier. Ici, les accessoires sont à déterminer par l’usager.

Dans la cuisine traditionnelle chinoise, cet ustensile est bien souvent fixé par un clou ou un crochet au mur. On en trouve aussi qui sont posés, et de forme circulaire ou carrée, voire polygonale.  La couleur verte caractéristique de cette pièce dont le motif de fleur de camélia (ill.1)  enveloppe les baguettes qui y seront glissées,  renvoie au vert,  l’une des trois couleurs  avec l’ocre et le jaune, employées pour la céramique Tang en glaçures dites en trois couleurs, (san cai 三彩 ).

Ensemble de quatre pièces de la collection Max Liu Chiwai [Liu Qiwei]


Les potiers de l’époque Tang continuent à utiliser des glaçures plombifères dont l’usage remonte à l’époque des Royaumes Combattants. Ce revêtement se vitrifie à une température relativement basse – entre 600 et 800° – et peut être décoré avec des oxydes métalliques. Si on ajoute à cette composition de l’oxyde de cuivre, on obtient une glaçure verte plus ou moins bleutée, selon le degré d’alcalinité du mélange. Au cours des années, l’humidité pénètre sous ce revêtement qui présente alors des irisations argentées ou nacrées.

On note aussi ce vert caractéristique sur certaines pièces à glaçure trois couleurs de la dynastie Liao (907-1125), de même que l’époque contemporaine reprend ce ton à la fois chaud et sobre ;  par ailleurs, une production de pièces à glaçures identiques existe au Maroc, celles-ci sont d’un usage semi-courant et, parallèlement sont prisées des potiers qui veulent développer une création personnelle plutôt que des formes traditionnelles (vases, bols, gobelets, plats,…).

Le choix du magnolia 玉蘭花 (Yülanhua, orchidée d’or, ou 望春花Wangchunhua, fleur annonciatrice du printemps) n’est pas innocent mais à remettre en contexte avec tout son substrat social, notamment en raison de son importance dans la pharmacopée chinoise.

Grand arbre à fleurs odorantes, originaire du Nord-Est et du centre de l’Asie, notamment de l’Inde et de la Chine, on utilise en Asie et beaucoup en Chine l’écorce et les bourgeons floraux du Magnolia officinalis.

En médecine traditionnelle chinoise, LI Shizhen, 李時珍 (1518-1593) médecin, herboriste et naturaliste Ming, indique dans son Grand Traité de Matière Médicale (Bencao gangmu ou 本草綱目) que l’écorce de magnolia est réputée pour favoriser la circulation de l’énergie — le Qi —, assécher l’humidité et dissoudre les amas.

Plus largement, les médecines traditionnelles chinoise et japonaise peuvent, avec son écorce, traiter l’anxiété, la nervosité, la toux, l’asthme, les troubles du sommeil, les spasmes intestinaux, les ballonnements tandis que les bourgeons floraux font disparaître la congestion des voies nasales et la sinusite. C’est ce dernier aspect qui a été repris par l’artisan auquel est due cette pièce céramique.

Ensemble de quatre pièces de la collection Max Liu Chiwai [Liu Qiwei]


Renvois bibliographiques

  • Beurdeley, Michel et Cécile, La Céramique chinoise : le guide du connaisseur / [Cécile et Michel Beurdeley ; [dessins de Danica Peter. Fribourg : Office du livre ; Paris : Vilo, 1974. 318 p. : ill. en noir et en coul. Bibliogr. p. 305-311. Index
  • Dautresme, Ma Li et Christophe Comentale, Les trésors du musée chinois du quotidien In : Institut Confucius, 50 (sept. 2018), pp. 20-29 : ill. Texte en français et en chinois. Bibliog. p. 29 中国民俗博物馆  杜玛丽、 柯孟德著
  • Exposition. Bordeaux. Musée des arts décoratifs.2004. Mémoire de la Chine. Hommage à François Dautresme. Bordeaux : Musée des arts décoratifs, 2004. 79 p. ill.
  • Liu Qiwei [Max Chiwai Liu], Taiwan tuzhu wenhua yishu, Taipei : Xiongshi tushu, 1980. 199 p. : ill. 劉其伟  台湾土著文化艺术
  • Liu Wensan, Les origines de l’art populaire de Taiwan (Taiwan zaoqi minsu). Taipei : Xiongshi tushu, 1978.256 p. : ill. 劉文三  台湾早期民俗
  • Mao Zedong, Interventions aux causeries sur la littérature et l’art à Yenan [Yan’an]. Beijing : Shangwu yinshuguan, (1966) 1972. 115 p. Texte chinois-français 毛泽东  在延安文艺座谈会上的讲话 (汉法对照)

 

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