A propos de « LACAN l’Occidenté, accidenté d’être à l’Ouest ? » de Nathalie Moshnyager

Les Editions des crépuscules & la librairie des Presses Universitaires de France vous invitent à la présentation du livre de

Nathalie Moshnyager, Lacan l’Occidenté, accidenté d’être à l’Ouest ?

Un voyage vers la Chine des temps anciens, d’où Lacan serait lacanien d’avoir fait de la théorie psychanalytique une véritable clinique de l’écriture psychique. Introduction de Jean-Jacques MOSCOVITZ

La présentation aura lieu le mercredi 1er Juin à partir de 18 h 30, 60 rue Monsieur le Prince, 75006 PARIS. Contact : jeanmichelgentizon@gmail.com

J.J. Moscovitz

Extrait de la préface.

« Lacan l’Occidenté[1], accidenté d’être à l’Ouest ? » est le titre de l’ouvrage de Nathalie Moshnyager qui en témoigne avec passion, tant le goût de l’écart, de l’énigme, la tient. Elle nous transmet ainsi son approche sur le départ de ce qui s’écrit pour le futur dans le présent, qui nous permet de nous situer dans les temps passés de nos morts, de ceux que nous avons aimés. Je pense entre autres à Alain Didier-Weill avec qui, souvent, nous plaisantions allègrement sur une boutade en posant la question « Freud était-il chinois ? », pour signifier alors une limite de la psychanalyse. Nous voilà à tenir cette boutade pour une vraie prédiction aujourd’hui en cours. De même avec Michel Guibal qui rencontre depuis l’association Psychanalyse Actuelle de Paris, Huo Datong fondateur du Centre psychanalytique de Chengdu (CPC), centre en plein essor, comme d’autres groupes d’obédience lacanienne en Chine.

Nathalie Moshnyager nous offre une novation dans l’abord de l’écrit comme science de ce que Lacan nomme le Réel. Soit comment la pratique analytique est de l’ordre du sens certes, mais aussi et désormais comme étant une pratique du réel. C’est là où l’écriture chinoise dans son non-rapport au dit, au phonème, nous surprend et nous enseigne l’impact à reconnaître du fait que l’inconscient ça se lit, sans bruit ni fureur, et ainsi fait trace, terme d’écriture indo-européenne tout autant que chinoise. La trace appelle à son déchiffrement car un chiffrage par le symptôme que l’analysant produit, fait image, figuration dans un rêve. Tout en s’entendant se dire à lui-même le récit et les images de son rêve, au moment où il l’adresse à son analyste dans ses séances. Car là surgit un signifiant fait de lettres vues et de sons silencieux, qui se conjoignent et font accéder l’analysant à son histoire intime, celle qui est si souvent cachée derrière la Grande Histoire de son peuple, et aussi bien enfouie dans celle de sa famille. C’est ainsi que le réel vient à pâtir du signifiant.

Et dès lors se dégage une autre part de ce réel, que Lacan promeut, à juste raison selon Nathalie Moshnyager, depuis le nœud borroméen à trois ronds, nouage entre l’Imaginaire, le Symbolique et le Réel.

[1] Jacques Lacan, D’un discours qui n’est pas du semblant, 12 mai 1971, p119 : « Je suis en train de vous faire un essai de sibériétique. Cet essai n’aurait pas vu le jour si la méfiance des Soviétiques, c’était pas pour moi, c’était pour les avions, m’avait laissé voir les industries, les installations militaires, qui font le prix de la Sibérie. Mais enfin, cette méfiance, c’est là une condition que nous appellerons accidentelle. Pourquoi même pas occidentelle, si on y met de l’occire un peu ; l’amoncellement du Sud Sibérien c’est ça qui nous pend au nez ! »

« Lituraterre » In Autres Ecrits, p.16 : « Rature d’aucune trace qui soit d’avant, c’est ce qui fait terre du littoral. Litura pure, c’est le littéral. La produire, c’est reproduire cette moitié sans paire dont le sujet subsiste. Tel est l’exploit de la calligraphie. Essayez de faire cette barre horizontale qui se trace de gauche à droite pour figurer d’un trait l’un unaire comme caractère, vous mettrez longtemps à trouver de quel appui elle s’attaque, de quel suspens elle s’arrête. A vrai dire, c’est sans espoir pour un occidenté. »

 

Nathalie Moshnyager

Quelques lignes précédents les lignes imprimées de mon livre….ou bien : comme se fit le lit de cet ouvrage.

Ce livre se propose d’être en quelque sorte un tissage fait du fils des fentes tracées sur écailles divinatoires et lignes graphiques en résultant, et du fils des lettres des écrits de Lacan. C’est une écriture sur les traces et lignes de coupure.

L’écriture de Lacan, ses Écrits, ses mathèmes, ses graphes, l’écriture borroméenne, sa topologie nous révèlent ce qui fait trou dans la structure. Ce trou par lequel toute la structure peut s’articuler, ne peut pas se signifier, est hors signifiant. Ce trou ne peut être révélé que par une écriture qui laisse entrevoir son ek-sistence.

La parole par son fil et son dessin fait écriture elle aussi.

Il y a coupure entre vérité et savoir ; le procès divinatoire trame un « dit » à effet assertif : le pronostic qui est tout à la fois symbolique et imaginaire. Il vient couvrir cette coupure, ce réel entre vérité et savoir ; la psychanalyse, elle, est d’un autre tenant fait des silences, scansions et mi-dire interprétatifs qui laissent subsister cette coupure dont l’effet tourbillonnaire (troubillonnaire) dynamise les mouvements de l’inconscient.

Pour signifier la différence d’avec le signifiant, Lacan a utilisé la lettre chinoise et non une autre. Pourquoi cela ?

Mon hypothèse dans cet ouvrage est que cette lettre serait pour Lacan le mieux représentée par la graphie qui vient révéler le réel du creux de la craquelure divinatoire. Pourquoi ? parce que la gravure de ces lettres est faite de traits creusés par l’écho d’une incantation signifiante … l’écho est un écart qui modifie et transfigure, métamorphose son, sens et forme. Cet écart est un vide, un réel qui transforme, transmet, et réalise tout en modifiant la trace ou le trait initial ; c’est une voie de transmission du réel de la perception.

Lacan, était connaisseur de ces pratiques divinatoires et les évoqua en 1971 dans Un discours qui n’est pas du semblant :

«  Il y a une chose marrante-hein ? c’est que quand même on les a ces signes, depuis les Yin…les Yin, y a une paye-hein ? ça fait encore, alors là deux mille ans de décrochés, mais d’avant, hein ? …et on en a encore de ces signes. Ce qui prouve que quand même pour l’écriture, ils en savaient un bout. On les trouve sur les écailles de tortues, il y avait des gens, des devins, des gens comme nous, qui grafouillaient ça, comme ça, à côté d’autres choses qui s’étaient passées sur l’écaille de tortue, pour le…commenter en écrit. Ça a probablement donné plus d’effet que vous ne croyez. …. Mais il y a quelque chose en effet qui ressemble vaguement……on le suit parce que vous savez l’écriture, ça ne vous lâche pas du jour au lendemain, …c’est le support de la science, la science va pas quitter son support comme ça… C’est quand même dans des petits grafouillages que va se jouer, se jouer votre sort, comme au temps des Yin, des petits grafouillages que les types font dans leur coin, des types de mon genre, il y en a des tas. »

En effet, dans la divination, il y aurait un savoir sur la vérité, ce serait le pronostic ; l’acte interprétatif serait celui du devin graveur qui donne figuration à l’incantation du mandat par le creux de la graphie dans lequel chemine le réel du savoir bordé du littoral de la lettre graphique. C’est par cet acte représentatif que va se jouer le sort, que va se résoudre l’énigme.

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