par Alain Cardenas-Castro
L’esprit des lieux : de l’ancien au nouveau Musée de l’Homme
Le nouveau Musée de l’Homme est issu d’une histoire complexe. Il est d’abord l’héritier du Musée d’ethnographie du Trocadéro fondé en 1878 qui s’est métamorphosé ensuite en Musée de l’Homme grâce à son fondateur Paul Rivet.
Nous pouvons constater aujourd’hui que ce nouveau musée réaffirme le concept unique de musée laboratoire du musée de l’Homme, créé en 1937, par une approche pluridisciplinaire de l’Être humain au croisement des sciences naturelles et des sciences humaines.
Depuis son ouverture, le nouveau Musée de l’Homme, animé d’une volonté de pluridisciplinarité, propose au public des événements culturels reliant l’art et la science, tout en laissant une place nouvelle à l’art contemporain.

Alain Cardenas-Castro, Musée de l’Homme in situ (2013), Acrylique et encre de Chine, 50 m2 État de la peinture murale en septembre 2014 © Jean-Christophe Domenech – MNHN
Le projet Art in situ
C’est dans ce cadre ouvert aux expérimentations que, pendant la période de fermeture du musée pour rénovation, plusieurs manifestations artistiques ont vu le jour. Parmi ces différents projets qui ont émergé durant les années 2009 à 2015 dans l’aile Passy du Palais de Chaillot, certains sont restés totalement confidentiels[1].
L’un d’eux intitulé Art in situ a été visible, l’espace d’une journée, lors d’un événement de relation presse le 9 février 2014. Cet événement a été organisé par la direction de la communication du Muséum pour que les professionnels de la presse découvrent les futurs espaces du musée. Cet événement a permis à un public restreint, d’avoir le privilège d’accéder au bâtiment fermé pour rénovation, afin de suivre les visites guidées proposées par le nouveau Musée de l’Homme alors encore en chantier. Le parcours de ces visites, ponctué par les réalisations artistiques du projet Art in situ, s’est révélé être, d’une part, un support de communication idéal pour présenter le nouveau musée et son ouverture prochaine, et, d’autre part, le modèle à reproduire, emblématique de la programmation culturelle jusqu’à aujourd’hui.

Alexandre Soria et Aurélien Lamour de Caslou Affichage (2010) Hall du Musée de l’Homme © Alexandre Soria

« Cartel-affiche » L’événement et l’affiche ont été créés par A. Soria et A Lamour de C. Ce document a été affiché dans le hall du MH en 2010 © Alain Cardenas-Castro
1. L’idée
Mon double statut d’artiste plasticien et de muséographe a été déterminant pour définir la création de ce projet artistique éphémère et pour accompagner son développement.
Avant d’entreprendre sa conception, j’ai pu évaluer la faisabilité de réalisations artistiques au sein d’une institution muséale en construction en constatant qu’en 2009 l’artiste Georges Rousse avait pu donner corps à une de ces œuvres anamorphique dans le chantier du musée. A partir de là, j’ai entamé une réflexion pour déterminer le point d’ancrage possible afin de fixer le projet au sein de cette institution remarquable.
Ce point d’ancrage est la première réalisation artistique éphémère à l’origine du projet.

Vue du chantier de rénovation du Musée de l’Homme le 4 août 2013. Au fond Musée de l’Homme in situ en cours d’exécution. © Alain Cardenas-Castro

Musée de l’Homme in situ (2013) Vidéo, 1mn 43 Exposition Hors limites, (2013) Centre Albert Chanot, Clamart, Domenech et Cardenas-Castro devant la vidéo le jour du vernissage © Jean Christophe Domenech – MNHN
Cette réalisation à vu le jour à l’occasion d’une invitation, qui m’a été faite, à participer en tant qu’artiste plasticien, à l’exposition thématique intitulée Hors limite, au centre d’art Albert Chanot, en 2013 à Clamart.
Afin de traiter le sujet du « hors limite » — deux mot repérés par les artistes et choisis comme thème de l’exposition —, j’ai décidé pour l’occasion de réaliser une peinture monumentale dans le chantier du musée de l’Homme et présenter la vidéo de son processus de réalisation pour l’exposition thématique du centre d’art.
Cette réalisation originale s’est révélée être un prototype[2] et aussi un type d’événement tout à fait possible à réitérer, et ce, pour différentes raisons.
D’abord, cette réalisation s’est déroulée de manière à ne pas gêner la bonne marche du chantier, ensuite, elle a prouvé, la faisabilité d’interventions artistiques d’envergure et de qualité, enfin, le projet scientifique et culturel du musée et son histoire pouvaient être traduits plastiquement ou du moins être pris en compte par un plasticien.
2. Le développement
A partir de là, définir le projet apparaissait clair et évident : créer un événement culturel consistant à faire intervenir des artistes. En leur donnant non pas carte blanche, mais plutôt — sur le modèle de la première réalisation — de la matière à réfléchir à partir d’un protocole de principe validé par l’institution lors du premier test concluant.
Les éléments de ce protocole ont été définis dans un cahier des charges remis aux artistes afin que leurs propositions tiennent compte, d’abord du programme scientifique du futur musée, ensuite, de l’esprit des lieux et de son histoire, enfin, des contraintes de réalisation pendant les travaux du chantier dans sa phase de gros œuvre.
Ces conditions d’intervention ont été intégrées par les artistes dès le début de leurs réflexions. Elles ont contribué à rendre leurs propositions riches de liens avec les différentes facettes du projet de rénovation, qu’elles soient scientifiques, architecturales ou historiques.
Cette opération ayant pour but de relier les domaines de l’art et des sciences a été explicitée, par les définition et planification de ses différentes composantes. Les étapes consécutives à l’élaboration de ce projet se sont succédé chronologiquement comme suit.
a – Le commissariat d’exposition
La première étape qui consiste à choisir des artistes en fonction du projet défini est fondamentale. Cette phase importante, du commissariat d’exposition, a pour objet de rassembler des créateurs et leurs productions autour d’un événement. Cette étape m’a été facilitée, d’une part, grâce à mes connaissance et expertise du monde de l’art en tant qu’artiste plasticien, et plus précisément de l’art contemporain et de ses réseaux, et d’autre part, avec l’appui de mes compétences que j’ai pu renforcer et actualiser par le suivi de la formation universitaire « Sciences et techniques de l’exposition » de l’unité de formation et de recherche, Art plastiques et sciences de l’art de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Je tiens à préciser que le commissariat d’exposition pour le projet Art in situ en a été une étape primordiale. Il a consisté à entreprendre un travail de repérage, afin de sélectionner des artistes dont les pratiques artistiques pouvaient répondre aux conditions testées lors de la première réalisation. A savoir, en premier lieu, une aptitude à fournir une proposition suivant un cahier des charges, en deuxième lieu, l’aptitude à considérer les conditions de travail sur un chantier, en troisième lieu, prendre en compte l’aspect monumental dans le rendu de sa réalisation, en quatrième et dernier lieu, et non des moindres, travailler « pour l’amour de l’art ». En effet, suivant le principe suivi dans de nombreux lieux dédiés à la culture, les artistes plasticiens n’ont pas été rémunérés pour leur travail, l’institution considérant l’invitation faites aux artistes d’intervenir et de produire une œuvre en échange de prestige comme équilibrée. Ce point de vue peut s’expliquer par la récurrence du stéréotype de l’artiste bohème vivant « d’amour et d’eau fraiche ». Ce cliché fait partie des mythes fondateurs de la modernité en tant que construction artistique, et nous pouvons constater qu’il est toujours d’actualité. (Voir en bibliographie)
b – Des conditions de travail sur un chantier.
La difficulté de réaliser un événement comme Art in situ est due au principe même d’intervenir sur un chantier. Les interventions artistiques au sein d’un chantier architectural sont vécues par les ingénieurs des entreprises du bâtiment et les différents corps de métiers à leur service, comme des incursions néfastes au bon déroulement des travaux, se répercutant sur leur avancée. Des préceptes à respecter ont été définis et rappelés aux artistes intervenants avant même la phase de conception de leurs projets. En premier, intervenir lors des temps d’arrêt du chantier, les week-ends et jours fériés, en deuxième, porter la tenue obligatoire de chantier : casque et bottes, en troisième, ne pas emprunter un quelconque matériel de chantier : échafaudage, outils. Enfin, il convient d’évoquer le repérage et l’attribution des lieux d’interventions. En amont de leur travail de recherche et afin qu’ils proposent leur synopsis de présentation de leur projet à réaliser, les artistes ont d’une part visité les espaces du chantier et d’autre part des clés de lecture du projet scientifique et culturel leur ont été fournies. Ces éléments essentiels et fondamentaux à leur réflexion ont été enrichis de leurs notes, doublées par les prises de vues des espaces choisis pour leurs interventions. Ces espaces choisis pour être investis plastiquement, ont été d’abord validés en un premier temps par la conservation du bâtiment, suivant en cela la nature des espaces interdisant toutes interventions sur les surfaces patrimoniales classées au titre des monuments historiques. En un deuxième temps, la validation a été donnée par les responsables de la conduite des travaux, en tenant compte de la disponibilité des emplacements, ensuite attribués, en suivant les disponibilités d’une part, des artistes qui ont pu intervenir en premier et d’autre part en respectant l’adéquation entre leur intervention et la configuration des espaces aptes à les recevoir.
3. La réalisation
La réalisation s’effectue en suivant les propositions des artistes, validées dans un premier temps par un accord de principe et dans un second temps par une convention entre l’artiste et le Muséum. Chaque proposition a donc tenu compte des conditions de réalisation et du programme scientifique. Ces conditions d’intervention, intégrées par les artistes dès le début de leurs réflexions, ont contribué à rendre leurs propositions riches de liens avec les différentes facettes du projet de rénovation, qu’elles soient scientifiques, architecturales ou historiques.
- Six artistes intervenants ont été présentés in situ
Suivant le protocole donné, les artistes se sont référé, soit à l’Histoire du bâtiment ou aux grandes lignes du parcours scientifique, soit encore aux matériaux ou à la vie du chantier et à ses ouvriers. La pertinence et l’adéquation de leurs recherches et productions plastiques mis en regard du projet de rénovation architectural et muséographique, ont confirmé la pertinence et la grande qualité de cette sélection mettant en évidence un large éventail dans la manière d’appréhender d’abord leur recherche, ensuite son rendu formel, enfin les outils et procédés utilisés.
Leurs réalisations artistiques, rendent compte de la variété des modes d’expression sans distinction de génération, de genres, de reconnaissance.
Les artistes Intervenants, titre et nature des œuvres, lieux d’interventions :
- Alain Cardenas-Castro (peinture) / Jean Christophe Domenech (photo), Musée de l’Homme in situ (2013), œuvre de collaboration, acrylique et encre, 50 m2 (peinture), Impression fine art, 10 ex. (photo), Galerie de l’Homme, niveau 2

Alain Cardenas-Castro, Musée de l’Homme in situ Essai de composition en positionnant une esquisse sur le mur © Jean Christophe Domenech – MNHN

Musée de l’Homme in situ, détail (2013) Acrylique et encre de chine, 50 m2 © Jean Christophe Domenech – MNHN
Alain Cardenas–Castro est un artiste plasticien et muséographe né en 1961. Il vit et travaille à Paris. Diplômé de l’École nationale supérieure des beaux arts et titulaire d’un master « Sciences et techniques de l’exposition » à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, il a réalisé une peinture murale sur l’un des murs du chantier. Cette peinture traduit sa vision symbolique du projet de fabrication de ce futur musée auquel il participe en tant que membre de l’équipe muséographique, révélant ainsi la dynamique et l’émergence de ce projet.
Expressions de l’élaboration du parcours muséographique, les empreintes de deux petites mains peintes en positif, sont les seuls éléments réalistes de la composition. Elles paraissent sortir d’un trou du mur, des fondations…
Cette peinture monumentale a été recouverte d’un coffrage pour laisser place à l’architecture intérieure du nouveau musée. Elle sera certainement découverte un jour, comme ce pot de confiture en verre retrouvé sur le chantier derrière un mur et contenant un tract daté de 1937 appelant à la grève, et sur lequel un ouvrier avait griffonné ses impressions du moment. (voir en bibliographie).
- Sylvain Sorgato, Musée de l’Homme, Sans titre (simultaneous) (2013), Dessins, Escalier 4, du rez de jardin au niveau 5

Les dessins de Sylvain Sorgato sur les murs de l’escalier n°4, du Rez de jardin au niveau 5 du Pavillon de tête de l’aile Passy du Palais de Chaillot. © Alain Cardenas-Castro

Sylvain Sorgato dessinant sur les murs de l’escalier n°4, du Rez de jardin au niveau 5 du Pavillon de tête de l’aile Passy du Palais de Chaillot. © Alain Cardenas-Castro
Sylvain Sorgato est un dessinateur né en 1965. Il vit et travaille à Maison-Alfort. Diplômé de la Villa Arson à Nice, il a exposé son travail à la Maison rouge, fondation Antoine de Galbert, à Paris en 2009.
Il se soumet à un protocole de dessin particulier en dessinant les yeux fermés. « Cette méthode, apprise d’un autre, il la partage volontiers, il considère qu’elle ne lui appartient pas, et s’il la trouve intéressante et même émancipatrice, c’est qu’elle permet d’obtenir un dessin qui s’en tient à ce qu’il est, plutôt que le résultat d’une série de jugements, de corrections et d’adaptation à un savoir-faire ».
Au Musée de l’Homme il a démultiplié ses dessins, les répartissant le long de l’escalier de secours, qui constitue une colonne vertébrale, desservant les différents niveaux du bâtiment. Cette frise pariétale dialogue à sa manière avec les inscriptions ou dessins apposés par les ouvriers eux-mêmes. Elle est composée de graffiti au sens archéologique du terme, des dessins à lire et à déchiffrer.
- Diana Quinby, Musée de l’Homme, Corps (2013), Dessins, Arches Davioud, Pavillon de tête, niveau 1

Arche de l’architecture du Palais du Trocadéro construit en 1878 par les architectes Gabriel Davioud (1823-1881) et Jules Bourdais (1835-1915) © Alain Cardenas-Castro

Diana Quinby dessinant un corps de femme sur un pan de l’arche de l’architecture du Palais du Trocadéro © Alain Cardenas-Castro

Dessins de corps d’une femme faisant face à un homme sous une des arches de l’architecture du Palais du Trocadéro © Jean Christophe Domenech – MNHN

Dessins de corps d’un homme faisant face à une femme sous une des arches de l’architecture du Palais du Trocadéro © Jean Christophe Domenech – MNHN
Dessinatrice, Diana Quinby est née à New-York en 1967. Elle vit et travaille en France depuis 1993. Elle est titulaire d’une maîtrise en « techniques impression » de l’Université de l’État de New York à Albany et d’un doctorat en Histoire de l’art contemporain à l’université Paris I Panthéon – Sorbonne.
Elle a participé à la 8eme biennale internationale de la Gravure contemporaine de liège en 2011.
Une exposition personnelle, « La femme entière », lui a été consacrée en 2013 à l’Espace d’art contemporain Eugène Beaudoin à Antony, avec la participation de la Maison d’art contemporain Chaillioux de Fresnes.
Diana Quinby pratique le dessin de manière réaliste représentant le corps nu avec un rendu très
précis par lequel on arrive à percevoir les plis et replis de la peau, les poils, les cheveux, créant ainsi une proximité une intimité avec la chair et les corps. Ses portraits et autoportraits de nus sont déclinés sur un support papier, et le plus souvent en grands formats au travers d’angles de vues et de cadrages originaux.
Sa réalisation au Musée de l’Homme représente un homme et une femme nus, flottants, profitant de deux murs étroits du chantier se faisant face, à la jonction des deux palais imbriqués constituant le Palais de Chaillot pour figurer l’équivalent de deux cariatides monumentales, mais qui n’ont rien à soutenir.
- Kasia Ozga, Musée de l’Homme, Dessins de Poussière (2013), Intervention plastique, Galerie de l’Homme, niveau 2
Kasia Ozga, artiste plasticienne américano-polonaise, est née en 1981 à Varsovie. Elle vit et travaille à Paris et elle est titulaire d’une licence en relations internationales de l’Université de Tufts à Boston. Formée aux écoles des Beaux-arts de Boston et de Cracovie, elle est titulaire d’un doctorat en Arts plastiques de l’université Paris 8. De plus, elle a reçu une bourse de la Casa Vélasquez en 2011.
Kasia Ozga, travaille à partir de nombreux supports, souvent in situ, concevant aussi ses projets avec la participation du public et suivant des protocoles précis.

Prise d’empreintes de main sur le chantier par Kasia Ozga © Alain Cardenas-Castro

Kasia Ozga Musée de l’Homme, Dessins de Poussière (2013) En cours d’exécution © Alain Cardenas-Castro

Kasia Ozga Musée de l’Homme, Dessins de Poussière (2013) En cours d’exécution © Alain Cardenas-Castro
Son projet Dessins de Poussière s’est articulé en plusieurs temps. D’abord, la collecte, d’une part, d’empreintes des mains des ouvriers du chantier et d’autre part de poussière générée par les travaux, ensuite, la fabrication de pochoirs correspondant aux empreintes de mains collectées, enfin, le dessin à la poussière, de mains reportées en positif ou en négatif sur le mur à l’aide des pochoirs. Ces impressions murales rendent hommage aux ouvriers qui ont contribué à sa construction, tout en évoquant les empreintes de mains de l’art pariétal de la Préhistoire.
- Jean Denant, Musée de l’Homme, Mappemonde (2013), Impact de marteau sur mur, Galerie de l’Homme, niveau 1
Jean Denant est un artiste plasticien né en 1979 qui vit et travaille à Sète. Il a étudié aux Beaux-arts de Toulouse et de Cracovie. Il est représenté par la galerie Anne de Villepoix à Paris.

Jean Denant à l’essai sur le premier mur repéré Niveau 1 de la galerie de l’Homme © Alain Cardenas-Castro

Jean Denant commençant le martelage de la Mappemonde Niveau 2 de la galerie de l’Homme © Alain Cardenas-Castro

Jean Denant et un assistant sur le martelage de la Mappemonde Niveau 2 de la galerie de l’Homme © Alain Cardenas-Castro

La Mappemonde martelée de Jean Denant dans la perspective de la Galerie de l’Homme © Jean-Christophe Domenech – MNHN
C’est le processus de fabrication qui importe dans le travail de Jean Denant, c’est à dire le chantier en lui-même, avec ses matériaux de construction, ses plans et ses maquettes qu’il intègre dans ses réalisations. Ce planisphère qu’il a proposé, gravé et martelé à même le mur, est une proposition cartographique interrogeant l’avenir. Sa vision du monde a fait écho au programme muséographique, en rappelant la dimension mondiale de l’histoire de l’espèce humaine, d’une part, sa capacité à avoir occupé toutes les zones de la planète, d’autre part, la mondialisation qui conditionne aujourd’hui son avenir. Le procédé technique qu’il utilise, consistant à enlever de la matière pour faire apparaître son dessin, rend également visible les différentes strates de l’histoire du bâtiment et du musée, dans lesquelles prend place le projet de rénovation actuel.
- Martine Vallée, Musée de l’Homme, Planisphère (2013), Projection vidéo, performance, dessin, Local de stockage, rez de jardin et Galerie de l’Homme, niveau 2

Martine Vallée rattrapant par le dessin la transformation de son Planisphère, Performance filmée le 15 décembre 2013 Niveau 1 de la Galerie de l’Homme © Alain Cardenas-Castro
Martine Vallée, artiste plasticienne, née en 1960, vit et travaille à Paris. Elle a été formée à l’École Nationale Supérieure des Beaux-arts où elle a fréquenté assidument l’amphithéâtre de morphologie où elle a eut comme enseignants Jean-François Debord et Philippe Comar. Elle a développé un travail de sculpture à Londres pendant sept ans.

Martine Vallée, Musée de l’Homme, Planisphère, Projection vidéo, 9 février 2014, Local de stockage, Rez de jardin © Jean Christophe Domenech – MNHN

Martine Vallée, Musée de l’Homme, Planisphère, (2013) Projection vidéo, 9 février 2014, Niveau 1 de la Galerie de l’Homme © Jean-Christophe Domenech – MNHN
Les recherches formelles de Martine Vallée, issues de l’assemblage de différentes techniques et matériaux, ont en commun des ossatures (colonnes, vertèbres), des architectures (cônes, planisphères). Ses derniers travaux considèrent l’empreinte écologique, d’une part, des pollutions atmosphériques et d’autre part, des modes de productions énergétiques et de leurs conséquences. A partir de là, ces productions prennent la forme de dispositifs soit de diapositives ou soit de vidéos projetées qu’elle élabore elle-même. Les deux œuvres présentées au musée de l’Homme ont été réalisées à partir de ses vidéos récentes : Atmosphère et Réaction en chaine, l’une servant de support pour une performance filmée, l’autre faisant l’objet d’une projection vidéo dans un espace de stockage du chantier. Ces deux interventions, sont venues confirmer les liens que l’artiste entretient, dans ses dernières recherches, avec la dernière partie du parcours muséographique qui interroge l’avenir de l’humanité sur une terre transformée par les activités humaines.
- Le calendrier des 6 interventions :
- La première intervention d’Alain Cardenas-Castro a eu lieu les 3 et 4 août 2013.
- Les interventions de Sylvain Sorgato et celles de Martine Vallée les samedis et dimanches 14 et 15 décembre 2013.
- Celles de Diana Quinby, Kasia Ozga et Jean Denant, les samedis et dimanches 11 et 12 janvier 2014.
- La coordination et le suivi du projet
A l’automne 2013, la Directrice du projet de rénovation m’a permis de partager mon temps de travail dédié à la conception du nouveau Musée de l’Homme, pour suivre et coordonner le projet que j’avais initialement conçu. J’ai donc entrepris la préparation de chaque intervention en aidant d’une part à leur fluidité et d’autre part à leur intégration dans les espaces en chantier. Tributaires de l’avancée des travaux, ces espaces changeant en permanence de taille, de forme, et d’aspect, jusqu’à ne plus exister ont été difficilement appréhendés. La fugacité des emplacements ont déterminé leur choix. Les endroits choisis dans le bâtiment pour certaines d’entre eux ont été localisés dans des espaces inattendus, mais au final, toujours sur un plan vertical. Ces murs choisis ont permis de recevoir premièrement des peintures, deuxièmement des dessins, troisièmement des empreintes, et quatrièmement des projections. Une dernière proposition, sonore et lumineuse, programmée le soir de l’événement de relation publique, n’a pu être réalisée. Le retard pris dans la rénovation de la verrière de l’atrium a rendu impossible l’utilisation de l’échafaudage sur lequel reposait le concept de cette intervention.
Les œuvres ainsi réalisées ont disparues au cours de l’évolution des travaux de rénovation. Pour en témoigner, le processus de réalisation de chacune des interventions a fait l’objet d’enregistrements photo et vidéo par le photographe du projet qui l’a accompagné, depuis la réalisation de la captation de la première intervention jusqu’aux ultimes clichés fixant les dernières traces visibles des œuvres recouvertes par les peintures et les enduits.
Le bâtiment du Palais de Chaillot a abrité sur ses 16 000 m2 un chantier architectural qui a généré une activité de travaux de gros œuvre, de structure et d’agencement intérieur. Tous ces éléments sont devenus des ressources propices à l’inspiration des artistes. Que ce soient les ouvriers, les matériaux, ou l’architecture du bâtiment et son histoire,, ces substances se sont révélées des matières précieuses pour les plasticiens. En les assimilant, elles ont fait partie intégrante de leurs œuvres.
4. L’événement de relation presse

Événement de relation presse le 9 février 2014, Ouverture au public du chantier de rénovation du Musée de l‘Homme © Jean-Christophe Domenech – MNHN
L’événement de relation publique a été programmé finalement le dimanche 9 février 2014. Le public répondant à l’invitation faite sur le réseau social Face book du Musée de l’Homme pour les 300 premières personnes inscrites. 10 visites se sont succédées pendant une après-midi de découverte d’un musée en chantier. Ces portes ouvertes ont accueillies un public qui a découvert les coulisses d’un musée en chantier tout en appréciant des œuvres d’art contemporain commentées par les artistes.
5. Une expérience à transmettre
Faire appel à des étudiant peut relever d’un procédé qualifié de facile pour un profit réalisé en l’absence de possible rémunération. En l’occurrence, il était opportun de faire participer les étudiants de la formation que j’avais suivi dans un esprit de transmission d’expérience. C’est pour cette raison que j’ai présenté le projet Art in situ à la promotion du master STE en octobre 2013 pour relater une expérience professionnel et proposer aux étudiants d’y participer. Deux d’entre eux, répondant à l’appel ont pu expérimenter lors des visites du chantier l’assistance aux artistes d’une part et la participation aux médiations des œuvres, d’autre part.
6. La valorisation du projet
Renouant avec une tradition d’échanges et de partages pluridisciplinaires, héritée des musées d’Ethnographie du Trocadéro et du Musée de l’Homme, qui ont habité le bâtiment, ce projet a été l’occasion de provoquer à nouveau des rencontres entre ressources artistiques, intellectuelles et scientifiques, préfigurant le futur musée.
Dans ce cadre et afin de faire connaître le projet Art in situ, j’ai pris l’initiative d’organiser quelques visites spécifiques du parcours artistique. Ces visites ont été destinées à un public d’étudiant, d’une part, en art ou en architecture et, d’autre part, en muséologie. Ces visites se sont échelonnées pendant la période située entre l’événement de relation publique en février 2014 et l’ouverture du nouveau Musée en octobre 2015. Les dernières visites ont été effectuées à l’aide d’un support numérique animé par les captations vidéo des réalisations éphémères, afin de pallier l’absence des œuvres devenues invisibles et remplacées par les enduits et les cloisons recouvrant les murs.
Un prototype à l’origine des « Parcours artistiques » du Musée de l’Homme
Projet artistique de type éphémère, qui s’est déroulé sur une période de 6 mois, entre la première intervention artistique et l’opération de relation publique, Art in situ s‘est avéré être un prototype, annonçant les Parcours artistiques de la programmation culturelle du Musée de l’Homme à venir. D’abord dans le choix des artistes qui s’est fait en fonction des liens entre leur travaux de recherches plastiques et les thèmes et propos du lieu dans lequel ils ont du intervenir, autrement dit, le projet scientifique et culturel du Musée de l’Homme. Ensuite dans les différents espaces investis. En premier, suivant des critères patrimoniaux, en deuxième par des considérations d’ordre esthétique et architectural.
Les Parcours artistiques au Musée de l’Homme
L’intitulé Parcours artistiques a été défini afin de différencier ces événements des expositions de formats temporaires, elles-mêmes différenciées des Accrochages afin de ne pas oublier la hiérarchie effective de différentes natures, au sein d’une grande institution nationale[3].
Ces Parcours artistiques, d’une part, se différencient des expositions thématiques temporaires — officielles ou non officielles — qui ont pris place dans les espaces d’expositions dédiés, depuis l’ouverture du musée, parce qu’ils relèvent spécifiquement du domaine de l’art contemporain, et d’autre part, ont adopté une forme particulière. On le constate, car en premier lieu, les œuvres qui constituent ces parcours prennent place dans différents espaces du musée. Il est possible de retrouver des œuvres d’art, disséminées depuis les cimaises du Centre de ressources Germaine Tillon, jusque dans la Galerie de l’Homme, en passant par le balcon des sciences, le Foyer de l’auditorium, ou l’Atrium Paul Rivet. En second lieu, ces emplacements sont parfois des « espaces frustrés[4] »
qui ne sont pas initialement destinés à l’exposition et qui peuvent s’avérer incongrus, voir décalés par rapport aux emplacements d’exposition convenus pour une œuvre d’art.
S’agissant des artistes, comme il se doit, les parcours artistiques ont la particularité d’abord, de présenter ceux dont le travail entre en résonance avec les thématiques du Musée de l’Homme, et ensuite, de se dérouler à travers différents espaces du musée, comme détaillé plus haut.
Il est à noter, qu’en premier lieu, les trois artistes choisis jusqu’à présent, Pascale Marthine Tayou à l’ouverture du musée, Frans Krajcberg en 2016, et Théo Mercier à présent, sont des hommes, bien que le pseudonyme de l’un d’entre eux Jean Appolinaire Tayou[5], vienne brouiller l’identité avérée de ce plasticien.
En second lieu, ces artistes ayant été choisis pour les liens qu’ils entretiennent chacun avec les thématiques abordées au musée de l’Homme, en travaillant sur des thèmes communs, ont généré des œuvres de nature et type différents, par l’utilisation de procédés et techniques variés.
Le musée de l’Homme : présent, passé et à venir
La présentation de ce projet Art in situ que j’ai initié, conçu et réalisé en le coordonnant sur une période allant du 3 août 2013 au 9 février 2014, en tant que plasticien et muséographe, a été aussi un travail de collaboration avec de nombreuses personnes. Certaines ont porté le projet, d’autres l’ont accompagné soit comme acteur ou soit comme assistant. Je mentionnerai également les mauvaises volontés qui ont pu mettre en péril une action favorisant l’ouverture d’esprit et le mélange des genres au détriment de ce fantastique musée-laboratoire.
Ce projet laissant place à l’expression de six artistes plasticiens qui ont pu concevoir et réaliser chacun un projet artistique au sein du Musée de l’Homme pendant le temps de sa rénovation, a été résumé par un habile détracteur comme étant une « tarte à la crème ». Une réponse du même registre par sa banalité serait que « la critique est aisée, mais l’art est difficile ! ».
[1]Alexandre Soria (photographe) et Aurélien Lamour de Caslou (ingénieur travaux), sont les auteurs de l’un des projets artistiques qui sont restés confidentiels pendant la période de rénovation du Musée de l’Homme. Ce projet a consisté en une scénographie éphémère du hall du Musée de l’Homme en affichant sur les murs les photographies des différents acteurs du chantier architectural (cf photo)
[2] Le modèle de ces interventions a fait l’objet d’un test les 3 et 4 août 2013 par Alain Cardenas-Castro, artiste plasticien et acteur de la conception du musée et Jean-Christophe Domenech photographe associé au projet, tous deux membres de l’équipe-projet du nouveau Musée de l’Homme en construction. Ce test est la réalisation de la peinture murale «Musée de l’Homme in situ», exécutée à l’intérieur du chantier et définissant le principe du projet qui a pu être poursuivi.
[3] Pour rappel, le Musée de l’Homme dépend du muséum national d’histoire naturelle, établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel placé sous la double tutelle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et de l’innovation et du ministère de la transition écologique et solidaire. Il regroupe en un même lieu des collections de préhistoire, d’anthropologie biologique et culturelle, ainsi qu’un centre de recherche, d’enseignement, de formation et de diffusion sur l’évolution de l’Homme et des sociétés.
[4] Un espace frustré est un espace qui n’est pas originellement dédié à l’exposition. Ce concept a été défini par Pascale Marthine Tayou, l’artiste invité à présenter son travail lors du premier parcours artistique à l’ouverture du Musée de l’Homme le 17 octobre 2015. Ses œuvres pouvaient parfois se retrouver placées à proximité d’un panneau indiquant une issue de secours ou à côté d’un extincteur.
[5] Pascale Marthine Tayou, a repris les prénoms de ces parents pour former son pseudonyme. Un acte militant pointant la discrimination des artistes femmes.
Références bibliographiques :
Éléments de bibliographie :
- Desmoulins Christine. Musée de l’homme au Trocadéro : palimpseste : histoire d’une renaissance : Brochet-Lajus-Pueyo & Emmanuel Nebout architectes. Archibooks + Sautereau éditeur, 2016, 112 p. ill. en coul.
- Catalogue de l’exposition Esprit des lieux : du Trocadéro au Palais de Chaillot. Archives nationale/Cité de l’architecture et du patrimoine, 2011, 140 p. ill. en noir et en coul.
- Catalogue de l’exposition Bohèmes, RMN – Grand Palais 2012, 392 p. ill. en coul.
- La lettre de la Société des amis du Musée de l’Homme, janvier 2014, n° 76, Art in situ
- La lettre de la Société des amis du Musée de l’Homme, septembre 2017, n° 87, Trois artistes contemporains au Musée de l’Homme par Cardenas-Castro Alain
Sites :
- Grognet Fabrice. Du Trocadéro au Jardin des Plantes, de 1878 à 1938 : le Musée d’ethnographie du Trocadéro et le Musée de l’Homme face ou dans le Muséum ? Entre ruptures et ajustements, 22 janvier 2015, conférence dans le cadre du séminaire « Muséum, objet d’histoire » (Paris, Muséum national d’histoire naturelle). URL : https://objethistoire.hypotheses.org/655
- Cardenas-Castro Alain (2017), « Parcours d’un fresquiste : formation, expériences et approches autres», in blog : Sciences & art contemporain IN – MH – OUT – OFF, août 2017. URL : http://alaincardenas.com/blog/compte-rendu/parcours-dun-fresquiste-formation-experiences-et-approches-autres/
- http://polop-blog-blog.tumblr.com
- Denant Jean. Site de l’artiste, URL : https://www.jeandenant.fr/site/jean_denant.html
- Vallée Martine. Site de l’artiste, URL : http://martinevallee.com
- Ozga Kasia. Site de l’artiste, URL : https://kasiaozga.com
- Sorgato Sylvain : http://archives.lamaisonrouge.org/spip.php?article661
- Cardenas-Castro Alain. Site de l’artiste, URL : http://www.alaincardenascastro.com
- Quinby Diana. Site de l’artiste, URL : http://dianaquinby.blogspot.fr
- Art in situ, événement 28/02/2014, Musée de l’Homme – MNHN, URL : http://www.museedelhomme.fr/fr/musee/actualites/art-situ
- Cardenas-Castro Alain. Art in situ, un projet art (mural) et science au Muséum national d’Histoire naturelle : symposium Empreintes pariétales de l’Est et de l’Ouest : fresques, peintures murales, arts rupestres, polychromies, arts in situ, 23-28 octobre 2017 (séance 3/3), Paris, École Nationale Supérieure des Beaux-arts, ENSBA, MAU, MNHN, IRPD. URL : https://www.beauxartsparis.fr/newsletter/2017_10_1/2017_10_1_fr.html